Brésil, premières

Brésil, premières

On ne pourrait presque pas imaginer plus grand contraste qu’entre nos deux premiers atterissages brésiliens. Fernando de Noronha, la petite île paradisiaque, ne ressemble pas beaucoup à Salvador da Bahia, la mégalopole afro-brésilienne, l’âme du Brésil. C’est par ces deux portes d’entrées que nous avons pris contact avec ce pays-continent.

Après le Pot-au-Noir, les alizés nous ont propulsé un bon moment, au cours d’une navigation relativement agréable. Vent, soleil, poissons-volants, quelques grains de temps en temps. La traversée océanique tropicale par excellence. Dans les dernières 24 heures, en revanche, les grains ont commencé à devenir plus nombreux, pour transformer la nuit en noirceur obscure, dépourvue de toute étoile et de Lune. Nous avons jeté l’ancre vers 8 heures du matin, au large du port de Santo-Antônio, accueillis par les cabrioles de dauphins joueurs, et heureux d’avoir traversé l’Atlantique.

Bien-sûr nous n’en avions pas encore tout à fait terminé, n’ayant pas encore atteint le continent. Mais en débarquant après quelques heures de repos, il est bien évident que nous avons atteint un autre monde. Le portugais que l’on entend ici est bien différent de celui du Portugal ou du Cap-Vert. Pour faire les formalités, il nous faut rencontrer toute une série d’officiels (immigration, douane, marine, etc.). A Fernando de Noronha, c’est agréable, ils sont tous pas trop loin, ils se connaissent tous, viennent tour à tour nous rendre visite au bureau du port, et nous aident même s’il le faut, comme par exemple les deux compères de la marine qui nous embarquent dans leur voiture jusqu’à l’aéroport, seul endroit où il est possible de retirer de l’argent avec une carte. Il faut dire qu’on ne peut pas vraiment faire l’impasse sur la partie pécuniaire.

On aurait pu se passer d’acheter quelques fruits et du pain frais, car tout est cher de toutes les façons (nous sommes à 200 milles de la terre ferme). Mais autrement plus chers encore sont les droits de mouillage et de visite de l’île, qui est une réserve naturelle. Afin de décourager les visites, et plus particulièrement les visites en bateau, la redevance “écologique” est simplement monstrueuse. Nous décidons malgré tout de nous octroyer une journée de visite et une journée de repos, ce qui fait trois avec la journée de formalités. Plus de 600 réais à débourser par le malheureux voyageur de passage, soit presque 300 euros. Pour ce prix là, nous avons le droit de profiter d’un mouillage superbe, certes, mais terriblement rouleur. La récupération physique de la traversée sera loin d’être complète, vu la danse nocturne de Fleur de Sel.

Voici ce que donne la pluie à Fernando de Noronha...
Voici ce que donne la pluie à Fernando de Noronha…

Inutile de dire que le tarif nous incite fortement à profiter au maximum de l’île, et nous l’avons donc arpentée presque d’un bout à l’autre, aidés par des locaux et des touristes, qui nous ont spontanément proposé de nous déposer plus loin grâce à leur “buggies”.

Après avoir visité le village principal, Vila dos Remédios, dont le palais et l’église sont de style clairement colonial, nous avons traversé vers la côte sud, à la Baía de Sueste, haut-lieu de la reproduction et de l’alimentation des tortues. Tout cet écosystème est bien protégé, et la plongée extrêmement réglementée. De toute manière, il a beaucoup plu dans la nuit (c’est la saison des pluies), et la visibilité n’est pas bonne. Nous continuons donc notre tour vers une superbe plage battue par le vent et les vagues, Praia do Leão. Le paysage marin est simplement beau.

Afin de profiter un peu de la plage et de l’eau, nous voici repartis pour la côte nord, plus abritée. Sur la Praia Cacimba do Padre ont lieu des compétitions de surf l’été. Nous sommes en hiver austral, et les vagues sont donc plus abordables, mais avec nos palmes, masque et tuba, il nous faut malgré tout passer quelques rouleaux avant d’aller plonger au pied des Dois Irmãos, les “deux frères”, deux pains de sucre jumeaux. Nous nageons un moment avec les poissons rayés, et nous en observons quelques autres au passage. Puis, fourbus par cette journée un peu sportive au sortir d’une longue traversée, nous allons nous récompenser avec un bon repas et une coco gelée. De retour à Vila dos Remédios après une bonne marche dans la gadoue (il a toujours plu abondamment dans la nuit), nous faisons quelqu’avitaillement avant de regagner le bord. Le lendemain, nous profiterons de nous reposer avant de repartir à l’aube le surlendemain, lorsque le délai de 72 heures arrive à expiration.

Un grain : l'impression que quelque chose se prépare dans notre dos...
Un grain : l’impression que quelque chose se prépare dans notre dos…

En remontant l’ancre, nous restons un peu sur notre faim, car il nous aurait fallu plus de temps pour découvrir cette île superbe, et nous aurions aimé aussi pouvoir rester un peu plus longtemps à profiter des couchers de soleil sur le Morro do Pico, ce piton imposant qui domine la côte nord de l’île. Mais lorsque le racket est organisé de la sorte, on ne peut s’empêcher d’avoir en permanence une horloge dans l’arrière de la tête. Les mouillages plus loin seront gratuits.

Aussi, vogue la galère, nous nous élançons pour l’ultime tronçon de notre traversée. La météo est plutôt coopérative, du moins au début, puisqu’elle nous assure un vent de travers assez soutenu, et nous alignons de bonnes moyennes.

Plutôt que de rallier la pointe nord-est du Brésil, distante d’à peine 200 milles, et de descendre après la côte en navigation côtière, nous avons décidé de pousser directement jusqu’à Salvador. 700 milles restent à parcourir, mais nous profiterons ainsi de courants portants en restant 70 milles au large, tout en évitant les pêcheurs. Ils mouillent par quasiment 100 mètres de fond et sont très difficiles à repérer la nuit, car ils n’allument aucun feu.

Sur notre route, en revanche, nous ne croiserons que quelques cargos, et un voilier, argentin, en route directement des Antilles pour Rio ! Une navigation presque sans histoire, donc, et rapide. Nous fêterons d’ailleurs le 14 juillet à notre manière : en dépassant pour la première fois le mur des 150 milles en 24 heures, soit plus de 6,25 noeuds de moyenne. Malheureusement, le beau temps ne devait pas durer, et une fois de plus les grains sont devenus plus nombreux et plus conséquents. Les nuits de quart à manoeuvrer sont alors éreintantes, avec réduction de voilure, empannages, accélérations avant le déluge, puis ballotage par la houle une fois le vent tombé à l’arrière du grain. Et une demi-heure plus tard, c’est reparti.

Nous sommes d’ailleurs arrivés à Salvador dans la brouillasse, ne voyant surgir la barre d’immeubles qu’épisodiquement entre les grains. Nous contournons la pointe de Barra au jour tombant, pour remonter le long de la ville portés par la fin du courant de marée. C’est vendredi soir, nous sommes fatigués, et plutôt que d’aller s’amarrer à la marina de nuit, nous choisissons de mouiller près du Forte São Marcelo. C’est plus facile à faire, nous serons plus au calme pour nous reposer, et de toute manière il faudra attendre lundi matin pour les formalités.

Une fois l’ancre crochée dans 4m de fond, tout est trempé à l’intérieur par nos va-et-vient incessants, mais peu nous importe maintenant le crépitement de la pluie au-dehors. Nous pouvons enfin nous effondrer dans un lit, horizontal et immobile pour la première fois depuis longtemps. Ce n’est vraiment que le lendemain que nous admirerons pour la première fois la ville basse (quartier du Comercio), surmontée de la ville haute (quartier du Pelourinho), et que l’Elevador Lacerda relie l’une à l’autre.

Mais doucement, nous sommes à Bahia (on prononce ba-HI-ya, et non pas ba-ya), et nous découvrons donc la ville tranquillement. A Bahia il ne faut pas être pressé, alors adaptons nous. Nous avons donc attendu le dimanche soir pour aller nous amarrer à la marina Terminal Nautico. Nous y retrouvons Marc, sur son Shag II, que nous avions déjà rencontré à Mindelo. Le lendemain matin, nous faisons le tour des officiels, qu’il faut aller chercher dans leurs bureaux. Immigration ici, douane là, plus besoin de passer à la santé, et enfin la capitainerie dans les locaux de la marine. Trois heures sans histoire [NDLR : mais voir l’article sur les formalités de sortie pour une mise en garde néanmoins nécessaire], si ce n’est la chaleur suivie de la climatisation, et ponctuées d’averses dehors. Du pain béni pour attraper une saleté.

Réapprovisionnement après la transat
Réapprovisionnement après la transat

Sur le ponton, nous profitons aussi d’eau à volonté, chose que nous n’avons plus connue depuis les Canaries ! Inutile de rincer le bateau, le ciel s’en charge toutes les trois heures, et de toute manière les voiles et le gréement l’ont déjà bien été pendant la dernière semaine de navigation. En revanche, nous nous en donnons à coeur joie pour le lavage du réservoir d’eau, qui contient la fin de l’eau imbuvable chargée à Mindelo, ainsi que pour les lessives. Malgré les averses, le linge parvient sans mal à sécher, car quelques heures de soleil et de petite brise vous évaporent tout cela mieux qu’un sèche-linge.

Etape suivante de l’atterissage, refaire le plein de vivres, et surtout de produits frais. Sur les recommandations de la marina, nous prenons donc le bus pour le “méga-marché” Mercantil Rodrigues (c’est le niveau au-dessus de l’hyper-marché !) Les rayons font 30m de hauteur, et le magasin est immense. Mais il nous faut nous habituer aux produits radicalement différents de ce que l’on trouve en Europe. Sans que le choix soit démesuré, les fruits nous sont pour certains inconnus (pomme de cajou, acerola, …), mais à notre grande surprise, on ne trouve pas un seul pamplemousse. Le lait frais n’existe pas plus ici qu’au Cap-Vert, les confitures sont rares et chères, tandis que le pain se vend pour… une bouchée de pain. Les céréales matinales semblent être exotiques, mais les ananas sont très bon marché, sans parler des citrons verts qui sont 10 fois moins chers qu’en Europe ! Nous y voici donc bel et bien. Cette fois-ci c’est certain, nous sommes de l’autre côté de l’Atlantique, et nous allons commencer à adapter nos habitudes alimentaires pour manger local.

Locale aussi, sans doute, cette fièvre que j’ai depuis quelques jours. Mais pas trop non plus, nous l’espérons, car je n’ai aucune envie d’avoir attrapé la dengue, qui traîne dans la région. Nous devons reporter notre croisière dans la Bahia de Todos os Santos, car j’ai mis plusieurs jours à récupérer de cette grippe, qui m’aura bien assommé une semaine durant. Auparavant, nous avons accueilli Hana Iti, qui arrive directement du Cap-Vert, et que nous avions rencontré là-bas. Didier qui est médecin veillera sur moi pendant le plus fort de la fièvre, tandis que nous les aidons à réparer leur pilote automatique qui a fait défaut à 48 heures de l’arrivée. Echange de bon procédés, c’est ainsi que l’on fonctionne lorsque l’on fait avec les moyens du bord. Les apéros s’enchaînent sur le ponton du Terminal Nautico, et nous devisons parfois fort tard dans la nuit avec les équipages de Hana Iti, de Shag II, ou encore de nos voisins Echo et Magalyanne. Finalement, je vais peut-être croire aux vertus soignantes de la caïpirinha !

La vieille ville de Salvador a du charme
La vieille ville de Salvador a du charme

Un petit tour dans le Pelourinho nous fait découvrir le coeur de cette vieille ville attachante. Eglises baroques un peu décrépites, ruelles pavées où alternent petits restaurants pour touristes, vendeurs de tableaux colorés et clubs de capoeira (l’art martial et choréographique local). En plus des touristes brésiliens et étrangers, on croise alternativement des policiers armés à chaque coin de rue et des bahianaises en costume traditionnel qui cherchent à rabattre le chaland vers un restaurant ou un magasin de vêtements. Les maisons du Pelourinho, toutes peintes de couleurs forment un ensemble superbe, au milieu duquel dénote un échaffaudage. La plus célèbre église, Nossa Senhora do Rosário dos Pretos, construite par les esclaves noirs pour leur usage – car ils avaient interdiction de fréquenter l’église de leurs maîtres – est malheureusement pour nous en rénovation, sans doute bien méritée. Mais sur les autres places, les églises sont légion, et on raconte qu’il y en a 365 dans la ville. Dans un petit stand, nous goûtons à l’acarajé, ce sandwich bahianais typique : un beignet de haricots frit au dendé (l’huile de palme) et fourré de multiples condiments et sauces, dont des crevettes et des noix de cajou. Presque bourratif !

Nous avons aimé croiser les pêcheurs en équilibre sur leur pirogue
Nous avons aimé croiser les pêcheurs en équilibre sur leur pirogue

Ca y est, après presque deux semaines passées à Salvador, nous larguons enfin les amarres. Ca fait du bien de vérifier que Fleur de Sel sait encore naviguer. Sa coque commence d’ailleurs à se salir, vu l’eau chaude de ces latitudes, où les algues poussent vite. Une fois n’est pas coutume, nous n’allons pas affronter la houle, qui nous accompagne depuis le départ. Nous nous enfonçons dans la baie de tous les saints, cette Bahia de Todos os Santos, qui a donné son nom à la ville et à l’état.

Nous nous régalons du mouillage paisible de l’Ilha de Bom Jesus, du marché du samedi matin de Maragojipe, de la remontée du Rio Paraguaçu. Egalement du mouillage en face de la cascade d’Itororo, même si notre ballade en kayak autour de l’île de Matarandiba a tourné court (ou plutôt long) : après avoir fait 80% du trajet, soit 3h de pagaie, et alors que la nuit tombait, cul-de-sac ! En effet, une route qui n’est pas sur les cartes barre le passage, et il nous a fallu rebrousser chemin dans la nuit, et retourner au bateau après 3 nouvelles heures de pagaie, et une expérience hors du commun. Nous avons croisé et discuté avec des pêcheurs de calamars qui attrapent leurs céphalopodes dans 50cm d’eau, de nuit, avec des filets posés en descendant de leurs pirogues.

Pendant nos navigations plus conventionnelles, ce sont des saveiros que l’on croise, de grands chalands à voile de la baie, rapides, peu profonds, et qui transportent tout et n’importe quoi sans moteur. Dans les fleuves, ce sont des pirogues de pêcheurs que l’on croise. Ils agitent vivement les bras pour nous saluer à notre passage, interrompant quelques instants le maniement de leurs pagaies ou la remontée de leur filets à crevettes. Le tout en équilibre instable dans un morceau de tronc creusé, et ne dépassant pas 60cm de large… L’eau au fond de la baie est plate, le bateau oscille simplement au rythme de la marée dans un sens ou dans l’autre, mais on se croirait hors du temps, mouillé face à une église surgie de nulle part, ou entre deux îlots de palétuviers. Ah qu’elle est bonne la récompense de tant de milles de traversée.

Le mieux c’est que nous allons y retourner, après un petit retour à Salvador le temps de récupérer mes parents et de visiter un petit peu plus la ville avec eux. Notre séjour à Bahia se poursuit donc pour le mieux, et c’est tant mieux.

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