Hawaiki Nui

Hawaiki Nui

Quatre jours après être partis de Rurutu, Fleur de Sel se réveille un matin en vue des Iles de la Société. Et encore, ce piètre temps de parcours pour une distance de 380 milles cache en fait deux jours quasi-entiers passés au moteur, par une mer à peine ridée. Contrairement à notre habitude, nous n’avons pas pu choisir notre météo pour cette étape. Ayant prolongé le séjour dans quelques unes des Iles Australes, il ne nous restait plus de « mou » dans notre planning, et il fallait coûte que coûte rallier Raiatea pour ne pas être en retard pour la « Hawaiki », comme on la surnomme.

A peine le temps de profiter du joli petit mouillage de Tipaemau, qui sera notre halte repos, et le lendemain matin nous quittons déjà le motu paisible à l’aube. Nous voici sortant du lagon par la Passe Teavapiti, et tirant quelques bords de près en attendant. Au bout d’une bonne heure enfin, les voici ! Il serait difficile de les louper, tant la masse des bateaux suiveurs et spectateurs s’épaissit. Et pourtant, dans la houle qui fait bien 1m50 de haut, on ne les aperçoit que par moments, ces équipages de rameurs. Ils sont six bonshommes par bateau, et ils mènent leurs va’a de main de maître. Nous poussons Fleur de Sel au maximum de sa vitesse, au moteur pour être manœuvrant et sous voilure réduite pour essayer de suivre la cadence sans pour autant évoluer trop dangereusement pour les autres bateaux alentour. Heidi fait chauffer l’appareil photo, en tentant de synchroniser l’obturateur avec les coups de pagaie et les vagues.

Pour ma part, après quasiment un an de navigation dans des coins reculés, où les bateaux que nous croisions – voiliers de voyage, pêcheurs ou cargos – se dénombraient sur les doigts d’une main parfois pendant de longues semaines, j’ai ici droit à une séance magistrale d’anticollision ! Heureusement, la centaine de va’a, qui sont déjà en course depuis près de trois heures, arrivent relativement espacés, mais les spectateurs se trouvent sur les hors-bords suiveurs, sur les catamarans de location ou sur quelques yachts un peu plus luxueux, et tout ce petit monde souhaite bien entendu s’approcher des héros du jour.

La recette : 120 va'a, 4 îles et de la houle
La recette : 120 va’a, 4 îles et de la houle

Malgré l’approche de la passe, qui agit comme un entonnoir, tout se passe bien, et nous sommes ébahis par le spectacle de ces sportifs qui cravachent sur un parcours de 44,5 km en mer entre Huahine et Raiatea, utilisant dès qu’ils le peuvent la houle pour faire surfer leur va’a, la traditionnelle pirogue à balancier polynésienne. L’équipier le plus à l’arrière est le barreur, il pagaie aussi, mais par moments il utilise sa pagaie pour modifier le cap. Un équipier au milieu du va’a écope par moments, car l’eau ne manque pas de remplir la pirogue, en raison des vagues et des coups de pagaie. Mais le reste de l’équipage rame sans relâche, en suivant la cadence du rameur avant. Très régulièrement, tous changent en même temps le côté où ils donnent leurs coups de pagaie. Le spectacle du ravitaillement est lui aussi ahurissant, le bateau suiveur larguant quelqu’un dans l’eau, muni d’un gilet de sauvetage et d’une bouteille d’eau. La pirogue déboule alors, et le ravitailleur passe entre la coque et le balancier, tendant la bouteille à un rameur. Il s’agit de ne pas se faire assommer par les bras de liaison ! Et puis le bateau suiveur récupère l’homme à la mer entre les autres bateaux…

Suivant le flot, nous atteignons Uturoa, la ville principale de Raiatea, où a lieu l’arrivée de cette première étape de la Hawaiki Nui Va’a. C’est aussi là qu’en début d’après-midi est donné le départ de la course femmes et juniors, une boucle de 27 km à l’extérieur et à l’intérieur du lagon de Tahaa et Raiatea. Nous assistons au départ, puis nous filons vers le nord à la rencontre des concurrents. Dans le lagon, il est plus facile de les suivre, mais pour les rameurs la tâche est presque plus ardue, car les vagues ne peuvent pas les aider à avancer, surtout lorsqu’ils terminent contre le vent. Pourtant, ils et elles maintiennent de belles moyennes, souvent à 5 ou 6 nœuds ! Le lendemain matin, c’est un peu un spectacle similaire auquel nous assistons, toujours devant Uturoa : la course masculine se joue en trois manches, et la seconde mène les va’a de Raiatea à Tahaa au cours d’une étape exclusivement en lagon et longue de 26 km. De toutes les manières nous ne pourrons pas suivre le rythme, et nous choisissons donc de n’assister qu’au départ, ce qui nous offrira ensuite une petite pause avant le lendemain.

Le dernier jour de la course, les pirogues parcourent la plus longue étape de toutes : 58,2 km de Tahaa à Bora Bora. Nous attendons les concurrents au niveau de la Passe Paipai, et nous sommes loin d’être les seuls ! Entourés d’un tourbillon de sillages, les premiers va’a passent les balises, quittant le lagon abrité pour la mer ouverte. Nous sommes sous le vent de Tahaa, et il n’y a guère qu’une longue houle qui vient du sud, rien qui ne permette encore aux rameurs de surfer, mais les images d’eux emmenant leur frêle embarcation si étroite devant les rouleaux qui brisent sur le récif sont belles. Plus loin, ils pourront certainement profiter d’une mer un peu plus haute et le spectacle en sera meilleur, mais déjà les derniers nous dépassent et nous faisons demi-tour. Car nous n’irons pas à Bora Bora, où aura lieu l’arrivée de la plus mythique des courses de pirogues polynésiennes, la remise des prix, et certainement aussi la traditionnelle bagarre qui lui fait suite. Comme d’autres l’ont dit, c’est presque normal, avec un tel « concentré de testostérone » ! Quatre heures plus tard, la « Hawaiki » sera terminée, mais pour nous c’est déjà le cas, et nous allons retrouver un semblant de calme sur un motu de Tahaa.

Note : La course, vous l’aurez compris, s’appelle Hawaiki Nui Va’a. Le va’a, c’est la pirogue polynésienne, et dans ce cas-ci, ce sont des V6, c’est-à-dire pour six personnes. Il en existe également d’autres pour une, deux, trois ou quatre rameurs. Quant à Hawaiki Nui – autrement dit la Grande Hawaiki – c’est la mythique île originelle de Polynésie, qui est traditionnellement assimilée à l’île de Raiatea. Sans doute car c’est à Raiatea que seraient arrivés les premiers peuplements polynésiens, et de Raiatea qu’ils auraient essaimé à travers tout le Pacifique, de l’Ile de Pâques à Hawaï et même vers la Nouvelle-Zélande. C’est aussi à Raiatea que se trouve le sanctuaire le plus sacré de Polynésie, le marae de Taputapuatea. Pour plus d’informations sur la course : fr.wikipedia.org/wiki/Hawaiki_nui_va’a .

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