Dialogue des Marquises du Nord

Dialogue des Marquises du Nord

[Nicolas] Déjà quatre semaines que nous sommes aux Marquises. Il ne faudrait pas qu’on s’éternise trop !

[Heidi] Oui, mais quatre semaines ce n’est rien si l’on veut un peu découvrir une culture à la fois riche et énigmatique comme celle des Marquisiens.

[N] Evidemment, là il faudrait il y passer des mois, voire des années, et pourtant nous avons aussi d’autres endroits à découvrir plus loin sur la route. De toutes les manières, Nuku Hiva sera de nouveau une grande île, qui plus est avec le siège de l’administration, et l’ambiance sera certainement moins chaleureuse que sur Tahuata ou Ua Huka qui étaient plus reculées.

[H] Effectivement, à Taiohae, c’était un peu ça. Une escale « en ville » qui nous permet en plus de faire quelques achats bien nécessaires de temps à autre, surtout quelques légumes et des produits de base (sucre, farine, lait, œufs). Malgré tout, le village n’est pas si désagréable, même s’il s’étire tout en longueur, et les flamboyants sont bien jolis. C’est surtout le mouillage qui était rouleur…

[N] C’est vrai qu’après la première nuit passée à peu près au calme, les deux matins suivants nous ont trouvés le dos en compote et les cernes sous les yeux. Mais, l’île ne se résume pas à son port et village principal. Heureusement car il a bien fallu fuir la nouvelle fournée de touristes venus avec l’Aranui et les croisiéristes de ce grand paquebot qu’on a découvert au petit matin dans la baie de Taiohae. Sans parler des voiliers qui participent au rallye World ARC…

[H] On a découvert les recoins secrets de Nuku Hiva en passant sur la côte nord ! Anaho…

[N] Eh oui, Brel chantait « Le temps s’immobilise, aux Marquises… » Nous avons été victimes du même phénomène statio-temporel que lui !

[H] En arrivant à Anaho, on a juste croisé les gens du catamaran Motu One Iti, qui sont partis tôt le lendemain. Et ils nous ont dit « On a passé une semaine ici ; vous allez vous régaler ! » On ne pensait pas qu’ils auraient raison à ce point.

[N] Le mouillage est vraiment bon. Bien meilleur en tout cas que tous les autres qu’on a pu essayer aux Marquises. Ce petit crochet rocheux qui protège la belle baie sableuse… En plus, il y a le plus grand récif de corail des Marquises (c’est-à-dire pas grand-chose), qui vient briser les vagues résiduelles et empêcher le ressac. Bref, c’étaient des conditions idéales et on avait bien besoin d’un peu de repos après ces semaines passées à rouler, rouler, rouler !

[H] Oui, mais on n’y aurait pas passé 8 jours si le cadre n’avait pas été si enchanteur…

[N] Il faut dire qu’il y avait les montagnes, si belles avec leurs colonnes basaltiques. La plage, éclatante de blancheur. Et les cocotiers, les bananiers, les citronniers, les manguiers, les arbres à pain pour n’énumérer que les arbres fruitiers. Parce qu’il y a aussi les pandanus, les frangipaniers et les autres. On a fait de belles promenades !

[H] Jusqu’au village de Hatiheu d’abord. Il faut grimper d’Anaho jusqu’au « col des antennes », d’où la vue s’étend sur tout le nord-est de l’île, puis on redescend dans la vallée voisine. A Hatiheu, il y a un site archéologique bien indiqué, avec beaucoup de fondations de maisons et autres édifices publics, le tout dans la forêt avec de beaux banyans. Et quelques jours plus tard vers la plage de Haatuatua, exposée plein est et battue par les vagues, mais c’est surtout les paysages en chemin qui sont sublimes.

[N] A Hatiheu, on a rencontré des gens adorables, comme cet archéologue passionné qui s’occupe en parallèle de la « salle patrimoniale », un petit musée tout nouveau, qui a vu le jour grâce à la volonté d’Yvonne.

[H] Yvonne, c’est la maire adjointe du nord de l’île, avec qui on avait déjà fait connaissance au travers du livre Aux Marquises de Dominique Agniel.

[N] On l’a aussi rencontrée en chair et en os, en allant déjeuner chez elle, c’est-à-dire dans son restaurant. Très rapidement évidemment, nous n’étions pas là pour embêter cette descendante de princesse, mais pour goûter quelques plats bien marquisiens comme la chèvre au lait de coco. Une pause bienvenue après la marche en venant d’Anaho.

[H] A Anaho aussi il y avait des gens adorables !

[N] Le village n’est pas grand, puisqu’ils doivent être huit foyers environ, et qui vivent éparpillés le long de la baie qui fait bien 2km de long. On a croisé quelques personnes aimables, mais le premier avec qui on ait vraiment fait connaissance c’est Raymond. On rentrait d’être allés marcher, et on l’a aperçu devant ses bungalows, au fond de la cocoteraie. Bientôt rejoints par nos voisins de mouillage australiens, on s’est retrouvés à écouter Raymond jouer des chansons polynésiennes avec sa guitare.

[H] Son histoire n’avait pas l’air facile, mais en même temps elle était si typique d’ici.

[N] Ancien contremaître à Mururoa et veuf depuis déjà une dizaine d’années, il a l’air d’être un peu seul. D’autant plus depuis que ses bungalows, installés dans la cocoteraie, au bord de la plage, sont désertés (crise économique oblige). Alors il aime bien les visites des voileux de passage, et il nous a invité à nous servir d’eau autant qu’on en avait besoin, et pareil en citrons qui sont légions non loin de chez lui !

[H] Oui, tu es rentré avec un sac plein à craquer, presque 20 kilos !

[N] Pendant ce temps-là, tu remplissais les bidons d’eau et tu faisais la lessive avec de l’eau tiède qui coulait à volonté ! Un vrai bonheur, et certainement la laverie avec la plus belle vue qui soit, sur les vagues qui brisent sur le récif, non loin de la plage bordée de cocotiers. Et puis on a rencontré Karim, ou Kalim, ou Teike (on n’arrivait pas vraiment à savoir comment il s’appelait).

[H] Drôle d’oiseau que celui-là… Mais il avait des côtés assez admirables tout de même.

[N] Il nous disait avoir la cinquantaine, mais on lui aurait donné dix ans de moins. Descendant d’Hawaïens, de Marquisiens, et de dix autres origines encore, il avait l’air d’être surtout l’héritier de ses ancêtres polynésiens. Diplômé universitaire à Hawaï, parlant un parfait anglais, c’est la première fois qu’on rencontre un Marquisien aussi éduqué dans le sens occidental du terme, mais pourtant il vit là, dans sa cabane construite dans les cocotiers, au bord de la plage en direction de Haatuatua. Et surtout, il en est à la construction de sa troisième pirogue double, dans la tradition des anciens polynésiens. 18 mètres, tout de même, et avec les précédentes qui étaient plus petites, il a déjà fait trois fois le trajet entre Hawaï et les Marquises. Le tout en naviguant sans instruments, sans GPS, sans même un compas. Seulement avec les étoiles, avec la direction de la houle, et en observant les oiseaux. Chapeau en tout cas !

[H] Bon, mais tu oublies tout de même une des raisons majeures qui nous a fait rester si longtemps à Anaho.

[N] Eh oui, Anaho était un mouillage plaisant où c’était un peu mieux ventilé qu’à Taiohae, et du coup on avait un peu moins chaud. Mais en plus, vu que ça bougeait nettement moins, nous en avons profité pour travailler.

[H] Vu comme ça, tu vas faire s’effondrer le mythe ! Travailler…

[N] Entre les marches, les baignades, les balades en kayak et les rencontres à terre ou avec nos rares voisins de mouillage (les Australiens de Eva Louise IV puis les Néerlandais de Seaquest), nous avons fait…

Des chevaux costauds dans des paysages rudes...
Des chevaux costauds dans des paysages rudes…

[H] … de la couture !

[N] Tu avais déjà quasiment terminé les cagnards commencés à Fatu Hiva. Il commençait à y avoir un peu trop de monde dans les mouillages pour se sentir bien à l’aise chez soi dans le cockpit. Mais jusqu’ici ce n’était pas ça qui nous faisait fuir à l’intérieur.

[H] C’est la chaleur ! L’eau de mer est à 30°, le soleil est presque au-dessus de nos têtes à midi. Alors de 8h à 16h, la chaleur est vraiment violente, et je ne vous raconte pas les coups de soleil ! L’idée est de faire un taud de soleil et taud de pluie conjoint. C’est-à-dire qu’il doit nous protéger du soleil et recueillir l’eau de pluie !

[N] Ce projet-là était déjà dans les cartons depuis un moment. Depuis 2 ans, plus ou moins, mais on n’avait jamais eu le temps et l’occasion de s’y mettre. En plus, en Patagonie c’était moins nécessaire ! Mais là, ça devenait plus qu’impératif ! Nous avions rapporté le matériel de voilerie en revenant d’Europe en janvier, et le tissu nous attendait à Tahiti. Il avait juste fallu démêler l’histoire avec la douane qui nous avait fait des chichis, mais bref, le rouleau de 18 mètres sur 1m50 était à bord depuis deux mois. A l’attaque !

[H] Ciseaux, règle, machine à coudre, sangles et aiguilles pendant une semaine à mi-temps. Ca n’a pas été facile surtout par manque de place : un plancher de voilerie aurait été pratique ! Sans parler des suées à travailler dans le carré aux heures chaudes.

[N] Et on y est arrivés. Il ne manque que quelques finitions, mais on est bien plus au frais dans le cockpit, et même à l’intérieur du bateau, depuis que notre beau taud magique nous abrite. On l’aime bien notre beau taud qui nous fait de l’ombre, et il devrait y avoir 9m²supplémentaires pour collecter l’eau, même si évidemment depuis qu’il est en place il ne pleut plus ! De toutes les manières, on a pu remplir le réservoir avec la bonne eau prise chez Raymond, presque sur la plage : pratique ! Mais il a fallu compenser tout ce temps passé à Anaho…

[H] Oui, on est passés plutôt vite sur le reste de Nuku Hiva. Une bonne journée de mer nous a fait faire le demi-tour de l’île jusqu’à Hakatea, l’autre bon mouillage de l’île, au SW.

[N] On en a surtout profité pour faire rapidement la randonnée jusqu’à la cascade de Vaipo. C’est l’une des plus hautes chutes d’eau du monde, puisque l’eau se précipite du plateau situé 600m plus haut jusque dans la vallée de Hakaui en contrebas.

[H] Ce qui est dommage c’est qu’il n’y a pas d’endroit d’où on peut voir la cascade dans son ensemble. Elle est coincée au fond d’un goulet sinueux et lorsqu’on arrive au pied, on ne voit que le bas de la chute. Mais l’endroit est impressionnant !

[N] Et encore fallait-il y arriver ! On a du traverser plusieurs rivières les chaussures autour du cou ou carrément les chaussures dans l’eau, en se tenant aux branches pour ne pas (trop) glisser ! Mais la randonnée était belle, pas si difficile que ça pour le reste, et les vues sur la vallée valaient bien le coup, surtout celle où on voyait le haut de la cascade bien avant d’arriver au goulet. En revanche, c’est là surtout qu’on a souffert des nonos…

[H] Aaaargh !

[N] Ils sont minuscules au point d’être invisibles, ils piquent et ça démange horriblement.

[H] On ne peut pas s’empêcher de gratter les boutons, qui s’infectent et qui vont mettre des semaines à disparaître. On n’avait heureusement pas encore eu trop affaire à eux jusque là…

[N] C’est surtout sur Nuku Hiva qu’ils sont pénibles, et particulièrement sur la côte sud. Les nonos existent en deux variétés, les noirs qui peuplent les fonds de vallées humides et boisés, et les blancs qui adorent les plages, surtout de sable blanc. C’est la hantise des visiteurs des Marquises, et on comprend bien pourquoi !

[H] Ils font partie du paysage, même si on ne les voit pas. Mais en l’occurrence c’était une bonne raison supplémentaire pour presser un peu le pas.

[N] Alors après avoir passé seulement deux nuits à Hakatea, on a complété le tour de l’île pour revenir à Taiohae. Avitaillement, internet, et formalités, voilà ce qui nous a occupés.

[H] Sans oublier la messe du dimanche de Pâques à la cathédrale des Marquises. Une construction moderne plutôt réussie. Bien aérée, spacieuse et décorée de motifs et sculptures marquisiens. Les chants, surtout, étaient superbes.

[N] Et puis nous revoilà partis dans l’après-midi, cap au sud vers Ua Pou. Dans le sillage nous laissons Nuku Hiva, et nous en emportons de superbes souvenirs. Jusqu’ici, Nuku Hiva n’évoquait pour nous que les récits de Melville, Stevenson et Jack London, qui l’ont décrite chacun à leur manière. Hiva Oa avait été choisie par les artistes francophones (Brel et Gauguin), Nuku Hiva était un peu le repaire des anglophones.

[H] C’est drôle que Ua Pou n’ait pas inspiré plus de monde, d’ailleurs, parce qu’elle a tout de même un relief particulier !

[N] C’est sûr, avec ses pitons rocheux qui s’élancent à la verticale, jusqu’à plus de 1’200m d’altitude, le paysage est grandiose ici aussi. Malheureusement, cette fois-ci nous sommes vraiment à court de temps. Et la météo semble parfaite pour traverser vers les Tuamotu. Alors après deux nuits à Hakahau, le village principal de Ua Pou, et en ayant complété l’avitaillement, on a levé l’ancre.

[H] La vue sur l’île était très belle le long de la côte ouest, mais ce jour là les colonnes de basalte sont restées cachées dans les nuages.

[N] Alors adieu Marquises, archipel mythique et envoûtant. Terres brutes et rudes, aux lumières dures, au relief abrupt, et aux baies à la merci des houles de tous horizons.

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