Une baie, des îles

Une baie, des îles

Un océan de possibilités s’offre à nous. Maintenant que nous sommes arrivés en Nouvelle-Zélande, il nous faut envisager l’avenir sous un œil différent. Jusqu’ici nos efforts s’étaient concentrés vers le fait d’atteindre Opua, le port d’entrée le plus au nord du pays, au fond de la Bay of Islands. Désormais, qu’allons-nous faire ? Quand, comment ? Ce sont les questions qui viennent doucement se glisser dans notre esprit tandis que nous sombrons dans un long sommeil récupérateur. Cette traversée n’aura pas été de tout repos, surtout durant les trois jours où nous avons fait « usage », de façon peut-être un peu cavalière, d’une dépression quasi-stationnaire, pour gagner au sud-est. Mais au final, nous sommes contents d’avoir atteint la Nouvelle-Zélande sans autre encombre qu’un inconfort passager.

Nous l’apprendrons plus tard, d’autres bateaux, partis des Tonga à peu près au moment où nous approchions de la Nouvelle-Zélande, ont subi une bonne tempête qui en a abasourdi plus d’un – difficile de savoir exactement les conditions rencontrées, les estimations de vent et de vagues variant allègrement d’un récit à l’autre. Toujours est-il qu’un voilier a même du être abandonné en mer et son équipage recueilli par un cargo avec l’assistance d’avions venus de Nouvelle-Zélande et de Nouvelle-Calédonie. Bref, nous nous en sommes plutôt bien tirés, et nous sommes contents d’être là. Mais pour quoi faire ? Les possibilités ne manquent pas. Mais il faudra choisir, car on ne peut pas tout faire !

Nous commençons nos découvertes dès le lendemain de nos formalités, puisque Marc – qui était équipier à bord de Twelve Moons – nous propose de profiter de la voiture qu’il a louée pour faire un tour ensemble. C’est une aubaine, et nous embarquons ! Heidi fait la navigatrice et pilote Marc vers la forêt de Omahuta. Pendant ce temps, il faut l’avouer, je récupère toujours sur la banquette arrière : le repos d’une nuit n’aura pas été suffisant pour moi ! Arrivés sur place, notre première découverte nous fait beaucoup rire : le premier sentier que nous voyons nous propose d’aller admirer en 5 minutes la « Giant Stump » à 70m de là. Effectivement, nous tombons sur une souche géante, mais si nous avons mis une minute en tout et pour tout, c’est bien le maximum. Mais poursuivons : nous sommes ici pour admirer les kauris, une variété d’arbre géants, endémiques à la Nouvelle-Zélande (comme 80% de la végétation ici, qui nous est donc inconnue pour la plupart).

Après un peu de piste, nous atteignons cette fois-ci le départ d’un autre sentier, un peu plus long (30 minutes). En parcourant ce chemin, nous tombons de temps à autre sur des kauris, de vénérables arbres hauts de cinquante ou soixante mètres, dont le tronc fait bien deux, trois voire quatre mètres de diamètre, et dont certains sont vieux de mille ans ! Malheureusement pour eux, ils sont parfaitement rectilignes et n’ont que très peu de branches transversales, si bien qu’ils sont parfaits pour la menuiserie. Les colons d’il y a un siècle les ont donc décimés et seuls peu d’entre eux survivent ainsi dans les forêts bien protégées. C’est donc tous contents que nous rentrons à Opua cette après-midi là, après un bon pique-nique, satisfaits d’avoir découvert dès notre premier jour de vadrouille quelque chose d’authentiquement kiwi !

La suite du programme, en revanche, est assez floue, et la météo plutôt mitigée. Nous en profitons donc pour faire bon usage des lave-linges efficaces et bon marchés de la marina d’Opua. Et puis, la météo s’assagissant un peu, nous nous remettons en marche. A petite dose seulement, après la longue traversée, et nous n’allons pas loin. D’abord dans le Waikare Inlet, le fond du ria d’Opua, puis nous ressortons pour aller mouiller devant Russell, où nous allons nous promener.

Quoi de plus naturel que de se rendre dans ce petit village coquet et à moitié endormi, dont on peine à deviner qu’il fut la première « capitale » de Nouvelle-Zélande. Il s’agissait en fait de la première demeure du gouverneur de la colonie, et Russell n’est en fait restée capitale qu’un an durant, avant de se faire détrôner par Auckland. Mais ce qui nous fait le plus rire, c’est que le gouverneur ait choisi la rive droite de la rivière pour s’installer : en effet, en face à Paihia s’étaient établis depuis longtemps les missionnaires, tandis que Russell était au contraire réputé dans tout le Pacifique comme lieu de perdition pour les marins en manque de tendresse… On peut légitimement se demander ce qui a bien pu motiver le choix du gouverneur ! Toujours est-il que Russell est aujourd’hui une petite bourgade bien jolie et qu’il nous a été agréable de nous y promener entre les maisons de bois peintes en blanc. Nous avons même poussé jusqu’au Flagstaff Hill, la colline sur laquelle a flotté le premier Union Jack en Nouvelle-Zélande, et qui permet d’embrasser une première fois le panorama sur la Bay of Islands dans son ensemble.

Le lendemain, nous quittons la rive « vicieuse » pour gagner la rive « vertueuse » en gagnant Paihia en face. Direction les commerces, et surtout le supermarché Countdown qui se trouve à un bon quart d’heure de marche. Au retour, nous profitons que c’est jour de marché pour faire quelques provisions de légumes et fruits. Le filet à bord se trouve plus rempli qu’il ne l’a été depuis bien longtemps, surtout de légumes si rares sous les tropiques… Et puis en route vers la baie que nous avons admirée du haut de Flagstaff Hill. Nous allons mouiller d’abord du côté de Moturoa Island, dans un dédale de caillasses de toute beauté, et avec de nombreux moutons sur les collines en arrière plan. Le lendemain, c’est vers Moturua Island que nous nous dirigeons (noter la ressemblance des noms d’îles, mais il s’agit bien de deux îles différentes). Et dans l’après-midi, nous faisons la superbe promenade qui en fait le tour. Il s’agit d’une réserve naturelle, comme nombre d’îles de la baie, et le tout est géré par le Department of Conservation (DoC, dont nous aurons certainement l’occasion de reparler souvent). Le sentier est très bien tracé et entretenu, les pièges à rats sont visibles régulièrement – et visent à s’assurer que cette espèce introduite ne portera préjudice ni à la végétation autochtone ni aux oiseaux. Cette petite balade est vraiment de toute beauté, nous amenant par quatre fois sur les crêtes boisées, pour redescendre ensuite vers quatre des six baies de l’île, chacune différente.

Au cours de cette marche, nous nous amusons en plus à repérer les tui et à essayer des les photographier. Il s’agit d’oiseaux uniques à la Nouvelle-Zélande, dont le chant notamment est si caractéristique. Outre un chant classique, le tui peut également produire des vocalises quelque peu électroniques, des sons guturaux, ou encore mille autres sons impossible ni à reproduire ni même à décrire. Par moments, on a simplement l’impression d’écouter la version R2D2 d’un oiseau ! En plus, ils volent de manière si acrobatique et imprévisible (et leur bruissement d’ailes est fort bruyant), que les attraper sur la pellicule est un redoutable challenge. Mais au bout de notre boucle qui nous a également menés sur la pointe nord de l’île – où se trouvait une pa, une fortification maori qu’on ne voit plus du tout, d’autant que le site est occupé par un blockhaus de la seconde guerre mondiale ! – nous sommes heureux d’avoir encore découvert de nouvelles spécificités kiwis. Et pour ne rien gâcher, dans ce haut-lieu du nautisme kiwi, nous ne serons que deux au mouillage cette nuit-là. Tranquilles…

Le lendemain, samedi, nous faisons un petit saut jusqu’à l’île voisine de Waewaetorea, où nous nous empressons de débarquer pour gagner le sommet. La grimpe est raide mais courte et du haut de ce ballon tapissé d’herbes hautes, nous avons ici encore une vue splendide sur la baie constellée d’îles et de bateaux. C’est le week-end et nombreux sont les navigateurs et pêcheurs de sortie, sans parler des touristes qui font tourner les tour-opérators quel que soit le jour. Et puis après une petite navigation côté nord – donc extérieur – des îles, nous rejoignons notre mouillage du soir, devant la bucolique Urupukapuka Island. Mais le lendemain, le temps qui doit se gâter n’est pas encore mauvais et nous laisse donc rejoindre sans trop de mal Opua, tout au fond de la baie.

Nous y jetons l’ancre avec personne autour de nous, puisque nous sommes dans à peine un mètre d’eau à marée basse. Mais sur un fond de vase, nous ne craignons pas grand-chose avec notre dériveur, ce qui est bien pratique pour trouver une place sans devoir faire de grandes distances en annexe. Nous aurions pu aller à la marina, mais nous préférons finalement le mouillage, même s’il faut composer avec les éléments, à commencer par le courant. En effet, mis à part le fait de pouvoir débarquer à sec, la marina que l’on paierait au final une somme conséquente ne nous apporte pas vraiment d’autre avantage : pour pouvoir se brancher au réseau électrique, il faut passer une certification du câblage électrique qui coûte 120 dollars, on s’en passera. De l’eau, il nous en reste encore de notre plein à Nouméa, même presque 3 semaines après, et avec notre taud, nous parvenons à récupérer un peu d’eau de pluie. En plus on peut se servir sur le ponton de carburant comme nous le ferons en fin de semaine. Bref, c’est à partir du mouillage que nous allons aller et venir à Opua pendant plusieurs jours.

Une semaine, en fait, puisque nous avons décidé de nous inscrire au All Points Rally organisé par la Islands Cruising Association. Plutôt que d’une navigation en flottille organisée comme d’autres rallyes, celui-ci n’est en fait qu’un comité d’accueil en Nouvelle-Zélande. Il s’adresse aux navigateurs comme nous qui rejoignent le pays du long nuage blanc au début de l’été austral, alors que la saison des cyclones s’installe sous les tropiques. Au programme de la semaine, plusieurs soirées qui permettent de faire connaissance avec d’autres équipages, et pendant les après-midi des séminaires traitant de sujets très variés. Nous suivrons notamment ceux concernant les voiles, le gréement, les spécificités kiwies, l’électrolyse, la réfrigération, la météo néo-zélandaise, et les antifoulings. Bref, des sujets qui nous intéressent au quotidien, ce qui permet de remettre les choses en place ou d’en apprendre d’autres !

C’est l’occasion de retrouver certains bateaux croisés cette dernière année quelque part dans les îles, comme Pacific Bliss (croisé aux Marquises et aux Tuamotu), Only Child (Marquises), Seaquest (Marquises aussi) ou Mirabilis (Tonga), ce qui est bien sympa, surtout lorsque chacun a fait son itinéraire dans le Pacifique. Mais nous avons aussi la chance de retrouver un autre équipage (local celui-ci) : Waiora. Nous avions rencontré Wendy, Shayne et leur fille Kaya aux Tonga et ils habitent non loin d’Opua. Shayne travaille actuellement à Auckland, mais Wendy nous a invités chez ses parents Bruce et Elizabeth à Paihia. Outre le plaisir de les retrouver, nous avons droit à un repas traditionnel néo-zélandais : le gigot d’agneau rôti aux patates douces, à la courge, aux côtes de bettes et à la purée de pommes de terre. La gelée de menthe était optionnelle mais intéressante néanmoins ! Pour le dessert, gâteau au citron avec crème fouettée. Le tout arrosé d’un Chardonnay kiwi du meilleur effet. Bref, un régal et nous avons félicité Elizabeth qui était toute fière d’avoir concocté ce repas à notre attention.

Le surlendemain, nous séchons les séminaires de la journée, car nous sommes invités à Kaikohe, chez Wendy et Shayne. Arrivés chez eux, nous observons (et tentons de photographier) l’éclipse de soleil qui a lieu ce jour là, et qui cache près de 90% de la surface du soleil. Pour voir la totalité, phénomène autrement plus dramatique, il nous aurait fallu nous rendre tout à fait dans le nord de l’Australie, chose incompatible avec la saison, ou bien reprendre la mer pour remonter à mi-chemin vers la Nouvelle-Calédonie, vers 30°S. Pas exactement ce que nous souhaitions tenter… Puis, alors que le soleil se redécouvre, nous passons le restant de la journée à découvrir la ferme d’enfance de Wendy, dont elle n’occupe qu’une partie, et qui est exploitée par son frère. Lors d’une bonne promenade durant l’après-midi, nous découvrons les paysages de collines du Northland, et la physionomie d’une ferme d’élevage néo-zélandaise. Moutons et vaches paissent dans divers enclos de tailles très généreuses. Et devant chez Wendy et Shayne se trouve le chantier de leur futur catamaran en aluminium, fait maison. Un impressionnant travail auquel Shayne s’attelle lorsqu’ils ne naviguent pas comme quand nous les avions rencontrés, et quand il ne travaille pas, comme actuellement à Auckland, pour renflouer les caisses familiales. Le bateau est superbe et fait envie, même si tout reste à faire, sauf la coque.

Le lendemain, départ tôt à nouveau, mais en bus avec plusieurs équipages du rallye. Jan, l’une des organisatrices, nous convoie à gauche et à droite pour une expédition shopping. Ateliers d’artisanat local – en bois de kauri et de rimu ou en coquille de paua, un coquillage aux irisations extraordinaires – mais aussi une PME locale qui fabrique des produits cosmétiques 100% naturels ou une chocolaterie. Nous nous arrêtons également au shopping center de Kerikeri, la plus grande bourgade du coin, ainsi qu’en centre-ville, pour faire quelques achats divers, dont de l’alimentation. Et puis petite étape culturelle, nous passons par le Stone Store, le plus ancien édifice de pierre de Nouvelle-Zélande, installé au bord du ria qui remonte jusqu’à Kerikeri. Une bonne journée bien éreintante cependant, mais fort utile pour qui n’a pas de voiture !

En fin de semaine, notre départ d’Opua est un peu retardé par la météo, avec un vent d’ouest qui s’excite un peu, et la pluie qui tombe à verse. C’est l’occasion de sympathiser avec Claire et Yves, qui vagabondent depuis peu à bord de Thala, leur bateau de 19m en aluminium entièrement aménagé par leurs soins… Et puis le vent se calme, aussi sortons-nous mouiller entre Paihia et Waitangi, juste en face du supermarché Countdown, pour ravitailler. Du bateau, nous voyons la Treaty House, où a été signé en 1840 le traité entre les Maoris et les Britanniques – traité au cœur des controverses sur les droits des Maoris encore aujourd’hui. Nous sommes décidément au cœur de la partie la plus historique du pays, même si pour nous européens cela semble être de l’histoire récente ! Et le lendemain nous repartons dans la baie, où après avoir aperçu de loin des dauphins faire des pirouettes, attirant illico les bateaux charter, nous rejoignons l’île de Motuarohia. Un joli sentier, toujours aussi bien aménagé par le DoC, nous mène au sommet d’un escarpement bien raide, qui domine l’île, et qui était ici encore le site d’une pa, une forteresse maori. Dommage, le temps n’est pas aussi beau que le suggéraient les prévisions, et nous décidons de quitter la baie sans plus attendre, pour commencer à avancer vers le sud.

Nous avons hésité sur les destinations de notre croisière néo-zélandaise, et finalement nous en sommes restés à l’idée d’origine qui est de longer la côte est de l’Ile du Nord pour atteindre le Détroit de Cook entre les deux îles. Nous aurions pu tenter de faire le tour dans l’autre sens, descendant illico par la côte ouest, pour remonter la côte est, mais impossible de savoir ce qui sera le mieux, alors en route pour Auckland, avec de nombreux arrêts en chemin. La première marque de parcours est le Cap Brett, qui prend des allures irlandaises, avec son relief, son phare isolé et son rocher qui déborde. Rocher est un mot faible pour ce gros caillou, puisqu’il a une taille de mammouth. Et une silhouette de mammouth aussi, d’ailleurs ! Mais on le surnomme Piercy Rock, puisqu’il est percé d’une belle arche – au travers de laquelle les speedboats charters passent à pleine vitesse, d’ailleurs. C’est véritablement ici que nous quittons la Bay of Islands, et lorsque nous mouillons ce soir là à Whangamumu (on ne prononce pas Ouangamoumou, mais plutôt Fangamoumou, le F étant cependant léger), à deux milles à vol d’oiseau de la baie, et à 10 milles d’Opua, nous avons cependant quitté la protection des îles. Nous sommes maintenant sur une côte exposée à la houle et au vent d’est, et nous commençons notre route vers le sud. Pas de chance, le vent doit souffler du sud-est pendant un moment…

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