Faux départ
Nous étions lancés. Quittée la petite île de Væroy vers 22h avec un bon vent portant, destination les Iles Féroé à environ 600 milles nautiques au sud-ouest. Le soleil offrait son spectacle de feu en déclinant doucement pour se lever sur les Lofoten 3h30 après son coucher, juste alors que nous passions la drôle d’île de Røst : les lumières des habitations se distinguent au raz de l’eau, ainsi qu’une énorme antenne radar, mais plus au sud des falaises sortent de l’eau qui nous rappellent que nous sommes à la porte de sortie des Lofoten.
Et voilà passés les derniers phare et caillasses de la pointe sud de l’archipel. Ce sera probablement la dernière fois que nous aurons quasiment 24 heures de lumière du jour. Et nous retrouvons nos amis les fulmars boréals que nous n’avions presque plus revus depuis notre traversée des Shetlands jusqu’à Bergen. Ces petits oiseaux adorent planer au raz des vagues et jouer avec notre génois. A chaque fois on pense que l’un d’entre eux va finir par se le prendre, mais ils ont l’air de maîtriser leurs jeux. Un goéland essaie d’imiter ses cousins, mais le résultat est nettement plus maladroit. Non, il n’a pas transpercé notre génois, mais c’était une voltige plus saccadée et moins téméraire.
Avant de partir, Nicolas a épluché toutes les cartes météo, de vent, de pressions, de vagues, photos satellite. La prévision à 5 jours avait l’air correcte et notre trajet était estimé à 6 jours. Sur la fin, il y aurait peut-être une petite dépression qui se forme proche des Féroé. Mais qu’en sera-t-il vraiment ? Les prévisions aussi loin dans le temps ne sont jamais 100% fiables. A surveiller, mais on tente.
Première nuit, premier jour. Tout va bien. Les fulmars boréals sont de plus en plus nombreux sur l’eau et volent autour de nous. L’heure arrive pour capter les cartes météo que nous pouvons recevoir par fax via la BLU, même loin des côtes. Donc prévisions à 24h, 48h, 72h et 96h Et, ah! Pas bon. Pas bon du tout ce qui nous attend à l’approche des Féroé dans 3-4 jours. La petite dépression à surveiller s’est transformée en monstre qui non seulement vient plus rapidement que prévu, mais se creuse dangereusement. Août n’est certes plus un des mois les plus idéaux statistiquement, mais nous pouvons trouver de meilleures conditions pour faire cette traversée. En effet, cette dépression a l’air particulièrement virulente sur le papier et couvre une très large zone. Nous décidons donc de ne pas vouloir nous y frotter et nous avons heureusement l’option de revenir sur la côte norvégienne en attendant une fenêtre météo plus appropriée. La route sera allongée, mais nous ne sommes heureusement pas trop pressés par le temps.
Alors virage au sud-est et dès cette deuxième nuit, un petit front que nous avons déjà repéré, mais qui semblait maniable, nous montre comme les éléments peuvent devenir inconfortables sur un petit voilier. Donc on ne dort pas vraiment, on n’est jamais très à l’aise pour s’endormir et laisser l’autre de quart seul, mais il le faudrait. Malheureusement, je n’y arrive pas et mon petit ventre semble vouloir faire la concurrence aux vagues désordonnées. Pas de gros mal de mer, mais suffisant pour être bien assommée et pas très utile. Heureusement, pendant la 3ème journée en mer, le vent et les vagues se tassent et nous pouvons avancer au portant et Nicolas peut vraiment se reposer un peu. Les prévisions météo de ce jour nous confortent dans notre choix.
Il faut noter quand même que les Féroé ne sont pas des îles faciles d’accès et même la navigation sur place est exigeante. Nous sommes heureux de ne pas nous y retrouver avec un vent et des vagues qui ne seront pas maniables. Nous verrons bien si nous trouvons le moyen d’y aller ou s’il nous faudra complètement modifier nos projets. Ce serait dommage car ces îles ont l’air superbes et ce serait une bonne occasion pour les visiter, mais d’autres options sans doute très belles aussi sont envisageables si jamais la météo ne le permet pas.
Finalement, nous voilà en vue de des rochers qui protègent l’île de Sula sur la côte de Norvège après à peu près 72 heures de navigation. Ce n’était pas la destination initialement prévue, mais le résultat pour le moment n’est pas désagréable. Le soleil a sorti sa palette et ses pinceaux pour nous privilégier d’un des superbes spectacles dont il a le secret. Nous nous réjouissons d’une nuit au “calme”: toujours sur le bateau et à devoir surveiller le mouillage, mais sans devoir surveiller la route du bateau et les éventuels obstacles sur le chemin. Dans ce petit mouillage bien abrité, le bateau bouge beaucoup moins. C’est tout de même moins éprouvant physiquement et psychologiquement. Nous jetons l’ancre sous le petit phare blanc qui surveille l’horizon depuis le haut d’une butte. Il surplombe l’adorable village de cette île reculée. Et on retrouve peu à peu des petites choses qui ont valsé joyeusement dans le bateau lors des moments mouvementés de notre traversée, mais il n’y a pas eu de casse. On allume un bon petit poêle et on va se mettre au chaud pour une vraie nuit de sommeil ininterrompu.
D’ailleurs, en levant les yeux, le ciel s’est bien assombri. Ce sera aussi pour cette raison notre première “vraie” nuit. Le soleil de minuit est définitivement derrière nous. Hier, Nicolas a vu deux étoiles pendant son quart, les premières pour nous depuis quelques semaines.
Allez, et la phrase du jour est: “we made it, not were we wanted to, but we made it”. On est bien là et on verra demain pour le reste. Et plus tard où le vent nous portera. Bonne nuit !