Pot-au-Noir, bonsoir !
Tout a commencé 3 jours après avoir quitté Brava. Le vent mollissant devenait irrégulier, et le ciel s’est progressivement chargé d’humidité. Tant et si bien que nous nous sommes fait surprendre par une sensation étrange : des gouttes de pluie, chose que nous n’avions plus vue depuis fin mars en arrivant au Portugal ! Après cette séquence vaporisateur, la deuxième averse fut un déluge. Fleur de Sel s’est fait rincer et nous avons fait de même, profitant de cette douche gratuite ! En fait, la dépression que nous redoutions a accéléré et s’est évaporée, pour n’être qu’une petite onde tropicale, et en quelques heures c’était réglé. Le ciel n’était plus du tout le même, lavé de son sable en suspension. Fini les couchers de soleil jaunâtres, on retrouve toute la palette des couleurs. On revoit une multitude d’étoiles la nuit. Nous avons le sentiment d’être passés de l’autre côté de quelque chose.
C’est dans la nuit qu’ont eu lieu les présentations, le vent ayant viré vers le sud, il s’est évanoui dans l’obscurité après un nouveau grain. Bonsoir Pot-au-Noir. Cette nouvelle connaissance porte aussi le nom moins poétique de ZCIT (zone de convergence intertropicale), mais pour faire simple, c’est en quelque sorte l’équateur climatique de la planète. Là où les alizés des deux hémisphères se rencontrent, là où l’air n’a d’autre porte de sortie que vers le haut, très haut. Gigantesque serpent entourant la Terre, il monte vers le nord en été, et descend vers le sud en hiver, lorsque c’est l’été dans l’hémisphère sud. Mais pour nous autres, marins, cantonnés à la surface des océans, cela signifie petits airs, soleil de plomb au-dessus des têtes, averses diluviennes et parfois orages violents. Tout un programme ! Evidemment, ce n’est pas l’endroit idéal pour une croisière, mais pour passer d’un hémisphère à l’autre, il faut malgré tout passer par là.
Le cinquième jour de mer aura donc été notre introduction gentillette au pot-au-noir, comme le surnomment les marins. Calmes entrecoupés de quelques averses, vagues désordonnées venant mourir ici après avoir descendu l’Atlantique Nord ou remonté l’Atlantique Sud. C’est un peu une surprise pour nous. On parle habituellement des rafales violentes qui accompagnent les orages, mais elles semblent nous épargner. En revanche, on ne parle que rarement de cette mer résiduelle qui est tout sauf une mer d’huile. Rien de très méchant, cependant, et pendant la nuit suivante, alors que le ciel est limpide pendant quelques heures, nous avons l’inhabituelle vision de l’étoile polaire juste dans notre sillage, maintenant toute proche de l’horizon.
Sixième jour de mer, et pas plus de vent que la veille. Nous continuons donc au son du ronronnement Yanmar, qui se trouve providentiellement épaulé dans sa propulsion par un courant d’un nœud nous portant au sud. Sorti d’on ne sait où, ce n’est pas grave, il est le bienvenu, et nous aide à égrener les degrés de latitude. 8° la veille, ce sont aujourd’hui les 7ème et 6ème parallèles que nous franchissons, alors que les grains continuent de nous passer une fois devant, une fois derrière, une fois dessus… Par endroits, la mer est calme, à d’autres des vagues ballotent le bateau sans qu’on ne sache très bien d’où elles viennent. Un peu chaotique cette masse d’eau. En tout cas, elle est chaude, le thermomètre ayant atteint 31,4° !
Cette nuit-là, après deux jours de moteur, nous commencions sérieusement à nous demander jusqu’où s’étendait la ZCIT, espérant qu’elle ne nous suivrait pas trop loin vers le sud dans ses ondulations quotidiennes. En tous les cas, nous étions bien dedans, puisque le ciel s’était bien chargé et assombri à la tombée de la nuit. Tout en surveillant au radar le déplacement des grains, on ouvre les panneaux de pont quand il ne pleut pas pour les refermer quelques minutes plus tard au risque d’avoir la douche directement dans le bateau. C’est qu’il fait chaud, et qu’on suffoque vite dans cette torpeur humide. Et crac, pourtant nous n’allons pas trop vite, mais nous venons de nous faire flasher. Et re-crac ! C’est confirmé, il y a bien de l’orage dans l’air. Suivent quelques heures à slalomer entre les grains, alors que les éclairs illuminent le ciel d’encre d’un côté, de l’autre, et ailleurs encore. On n’est jamais très rassuré lorsqu’on entend le roulement du tonnerre en mer.
Et puis, quelques grains pluvieux plus tard, après un bon dernier rinçage, et alors qu’on n’y croyait plus, le bateau se met à giter. Le vent souffle, du sud évidemment, puis du sud-est, ce qui est bien mieux. Après cinquante heures de moteur à s’en casser les oreilles, on coupe les gaz et on règle Fleur de Sel pour un long bord de près bâbord amures. Restent 680 milles à courir jusqu’à Fernando de Noronha, en négociant au mieux le courant équatorial. Nous faisons donc nos adieux : Pot-au-Noir, bonsoir !
Position à 16h30TU 4°02’N 25°09’W
En route au 208° à 3,8 nœuds