De l’exercice !
Il faut croire que nous avons mal choisi le moment de notre départ de la Bay of Islands. Dès notre première relâche, dans la baie de Whangamumu, le vent en profite pour tourner au sud-est, et la pluie pour s’abattre sur tout le Northland. Il faut dire que l’extrémité nord du pays est vraiment sujette à un climat subtropical – et nous avons pu constater à quel point la végétation naturelle y est luxuriante – tant et si bien que les Kiwis la surnomment « the winterless North ». Et alors que le printemps est déjà bien avancé, pas de chance, nous subissons les effets de bord d’une jolie dépression tropicale tandis que le reste du pays est sous le soleil… Rageant, et le surlendemain nous profitons que la météo annonce une accalmie du vent contraire pour essayer de trouver le salut dans la fuite vers le sud.
Plutôt qu’une fuite, cette journée s’avère être un combat, puisque nous sommes cueillis à la sortie par des conditions un peu plus mouvementées que ce que laissait prévoir la météo. Et au terme d’une journée de louvoyage dans la pluie et les vagues, lessivés et dépités, nous ne pouvons inscrire à notre actif qu’une progression de quatorze milles. Heureusement, le mouillage de Mimiwhangata Bay est effectivement mimi tout plein, même en teintes de gris. Tandis que la pluie battante nous avait découragés de débarquer à Whangamumu, c’est ici la houle qui contourne la pointe et qui vient nous interdire de mettre le pied sur la belle plage qui s’étend devant notre étrave, et ce même s’il ne crachine plus que par intermittence. Qu’à cela ne tienne, nous compensons le manque d’exercice en nous rabattant sur la cuisine, et parmi les bons petits plats que nous concoctons se trouve notamment une délicieuse tarte aux noix des Grisons.
Notre prochaine étape débute encore dans un vent contraire, mais par temps maniable. Nous voulons rallier Tutukaka, petit port qui se situe à 17 milles dans le sud, mais il faudra tirer des bords. Qu’à cela ne tienne ! Pour une fois se trouve au bout de notre premier bord de près une destination intéressante : les Poor Knights Islands. En plus, il fait beau au large et couvert à terre, c’est décidé, nous faisons un petit détour du côté de ces falaises surgies de l’eau et célèbres pour leurs sites de plongée. Nous ne mettrons pas la tête sous l’eau, guère incités par une eau à 16°, sans parler des méduses, mais nous longeons sur trois milles ce superbe sanctuaire naturel. Interdiction de débarquer pour ne pas déranger ce fragile écosystème, mais nous apercevons sur les pentes les superbes pohutukawa. Surnommés « l’arbre de Noël kiwi », les pohutukawa sont de magnifiques arbres, particulièrement lorsqu’ils fleurissent au début de l’été et qu’ils se parent alors d’une robe rouge écarlate. En cabotant autour des Poor Knights Islands, nous admirons aussi de nombreuses arches taillées dans la roche par les vagues : elles sont sans doute une demi-douzaine au moins, allant de la petite discrète à la gigantesque et massive.
Et puis au terme d’un deuxième bord, nous atteignons la baie de Tutukaka, d’autant plus abritée que le vent est maintenant complètement tombé. Nous y ferons le lendemain une jolie promenade – histoire de se dégourdir un peu les jambes après cinq jours à bord – qui nous mène sur l’îlot qui déborde la pointe nord du port. La vue est belle et la végétation toujours aussi surprenante. Nous nous rendons ensuite en annexe « en ville » – qui n’est en fait qu’un petit village – pour refaire un léger avitaillement ponctuel. Quelle n’est pas notre surprise, cinq minutes à peine après avoir débarqué, de tomber nez à nez avec Lily, notre amie australienne d’origine chinoise rencontrée aux Tonga trois mois auparavant ! Le monde est vraiment très petit, surtout entre voyageurs. Nous déjeunons ensemble et c’est l’occasion de se raconter nos aventures respectives depuis lors : la Nouvelle-Calédonie pour nous, l’Alaska et le Canada pour elle ! Le hasard fait vraiment bien les choses…
Et puis le lendemain, nous levons l’ancre en pensant rejoindre Great Barrier Island, le vent devant souffler du sud-ouest toute la journée. Finalement il s’essouffle peu de temps après et appuyant nos voiles bordées plat au moteur, nous remettons alors le cap vers le sud car nous ne parviendrons pas à couvrir la distance pendant la journée. En début d‘après-midi, Fleur de Sel passe sous les falaises imposantes de Bream Head et vient s’immobiliser dans Urquarts Bay, un joli petit havre paisible à l’entrée de la rivière qui mène à la ville de Whangarei. Sur l’autre rive se trouve une raffinerie, mais cette rive-ci est en grande partie une réserve naturelle. Nous nous empressons de nous rendre à terre et filons tout d’abord par la route vers la côte est. Nous admirons d’abord en chemin les paysages champêtres et ensuite la belle plage d’Ocean Beach (il fallait l’inventer !) Une voiture nous prend en stop sur une partie du trajet retour, si bien que nous en redemandons et nous partons faire une deuxième promenade dans la réserve naturelle sur la pointe. Les chemins sont ici encore très bien aménagés et on admire autant les superbes arbres (les pohutukawa notamment) que les oiseaux.
Cette fois-ci nous avons eu notre dose d’exercice ! Et pourtant, ce n’est qu’un début, car le lendemain le temps est enfin propice à la grande traversée que nous projetons. Le vent vient toujours du sud-ouest, ce qui rendrait une progression vers Auckland un peu pénible. En revanche, nous pouvons visiter Great Barrier Island avant de nous rendre en ville, ce qui permettra d’éviter les hordes de touristes qui viennent fin décembre. Il nous faut parcourir presque 50 milles, et nous partons donc tôt, en passant d’abord par les Hen and Chicken Islands, puis non loin de Little Barrier Island – qui en dépit de son nom est remarquablement haute et majestueuse, et surtout il s’agit d’un sanctuaire naturel très protégé. Enfin, nous atteignons son altesse Aotea – le nom maori de GBI comme on l’abrège parfois – et nous nous faufilons dans Port Fitzroy, un immense port naturel accessible par deux passes étroites et fabuleusement bien protégé. Nous y essaierons quatre mouillages parmi la douzaine au moins qu’on peut y trouver.
Au cours de notre séjour, le temps d’ouest sera capricieux, avec des fronts se succédant tous les deux jours environ, accompagnés de la traditionnelle bascule nord-ouest sud-ouest et retour. Nous jonglons donc avec la météo pour randonner dans les meilleures conditions, car c’est bien l’attrait principal de cet île érigée en grande partie en réserve naturelle. De l’exercice, nous en aurons sur Aotea, et nous commençons doucement par le Old Lady Track qui nous mène au-dessus du village de Port Fitzroy, avec une jolie vue sur le petit port. Puis nous enchaînons avec le Warren’s Track, qui nous permet de découvrir de superbes cascades et d’observer de nombreux oiseaux : les kaka (perroquets, difficile à immobiliser sur la pellicule), les kereru (très placides), et encore les nombreux tui.
Dans la soirée, nous nous carapatons dans la baie de Wairahi, tout au sud de Port Fitzroy, pour laisser passer un front un peu nerveux (rafales à 40 nœuds) et pendant que nous bricolons un peu, que nous cuisinons aussi, nous sommes régulièrement interpellés par le Paf ! d’un fou austral qui vient de plonger de trente, quarante, peut-être cinquante mètres de haut pour pêcher. Le spectacle est à la fois superbe et d’un comique sans nom. Des cormorans et quelques sternes nous tiennent aussi compagnie, jusqu’à ce que le temps s’améliore. Nous nous remettons alors en jambe en grimpant au sommet du Maungapiko, un sommet que l’on atteint au travers d’une superbe forêt de fougères et de nikau – ce cocotier sans noix de coco ! – et du haut duquel nous avons une vue superbe sur le sud de l’île.
Mais la grande marche est celle que l’on entreprend le lendemain, le jour où le temps est le plus dégagé, puisque nous souhaitons grimper au sommet de l’île – qui porte le nom maori de Hirakimata ainsi que le nom anglais de Mount Hobson. Nous parvenons à nous faire prendre en stop par le camion pompier de l’île – qui se rend au village principal de Claris pour le défilé de Noël en ce 1er décembre ! – et qui nous dépose sur la côte est, au départ du sentier de Windy Canyon. La première partie du sentier passe dans ces très belles gorges et nous nous élevons ensuite dans une belle végétation de maquis bien plus sec que la forêt vierge sur le versant ouest. La fin de la montée est éprouvante, car il s’agit pour la plupart d’escaliers – même s’ils sont très bien aménagés, pour ne pas abîmer les habitats d’oiseaux comme le pétrel noir. Mais la vue du sommet est magnifique ! A 626m de haut, on domine toute l’île, dont on prend la mesure : plus longue que l’île d’Oléron et deux fois plus longue que Belle-Ile. On voit au loin la péninsule montagneuse du Coromandel, même si elle se perd quelque peu dans la brume de beau temps. La descente est encore plus ardue, les nombreuses marches finissant par avoir raison de nos genoux. Mais la forêt dense est toujours aussi spectaculaire.
Sur ce versant, nous passons près de deux barrages à kauri, symboles à la fois de l’ingéniosité et du manque de scrupules des colons européens. Le kauri, que nous avions déjà rencontré dans le Northland, se prête admirablement bien au bûcheronnage, mais il pousse lentement. Après avoir abattu les kauri faciles d’accès, les bûcherons ont avancé vers le haut des collines et abattu les kauri les uns après les autres. Transporter ces géants était une autre affaire, et ils ont construit avec habileté des barrages qui inondaient les vallées avant d’être basculés, et qui permettaient que les troncs gagnent la mer, dévastant évidemment tout sur leur passage tumultueux ! Heureusement, il reste encore quelques uns de ces beaux arbres, et la végétation reprend le dessus, ce qui permet aussi aux oiseaux de retrouver leur habitat. Et puis, à partir de là, la pente devient plus douce mais nous terminons la randonnée sur les rotules néanmoins.
Pourtant, nous n’avons pas fini, car les choix de sentiers sont nombreux, et le soir même nous changeons de mouillage pour atteindre Whangaparapara, plus au sud que Port Fitzroy, et qui nous donne accès à d’autres chemins. Après un peu de repos (et du mauvais temps), nous nous embarquons sur une dernière exploration d’Aotea, qui devrait être plus facile cependant. Partant par la Tramline Track, qui suit un ancien chemin de fer qui permettait, vous l’aurez deviné, de transporter des kauri à travers l’île, nous gagnons de petits sommets dégagés qui descendent ensuite sur des sources chaudes en bordure d’un marais. L’odeur d’œuf pourri nous rappelle que partout où nous allons, l’activité volcanique n’est pas très loin. Certains se baignent là, mais les algues nous semblent finalement peu engageantes et nous retournons à Whangaparapara par la piste gravillonnée, où malheureusement pas une seule voiture ne passe pour nous prendre en stop. La marche aura donc duré près de cinq heures, et nous sommes prêts, après avoir traîné nos pieds sur 40km de sentier, à déclarer que nous avons fait assez d’exercice.
Le vent tourne enfin au nord, ce qui nous permet de faire route vers Auckland le lendemain, bien qu’à allure réduite car la prévision a été optimiste. Des îles, il y en a encore partout alors que nous entrons dans le mythique Hauraki Gulf, et nous aurons ici encore de quoi assouvir notre soif d’exploration !