Plongeons et dragons

Plongeons et dragons

En longeant la côte de Flores, on prend toute la mesure du danger que représenterait ici une navigation de nuit. Comme souvent sur les îles volcaniques, le littoral est le plus souvent très abrupt – c’est-à-dire qu’assez souvent le sondeur, qui porte toutefois jusqu’à 180m de profondeur, arrête de capter les fonds dans les minutes qui suivent la sortie du mouillage. Et pourtant, on trouve des DCP (dispositifs de concentration de poissons, en anglais FAD, fish aggregating devices) mouillés à parfois des milles au large ! Ils peuvent prendre diverses formes, allant du simple baril, à la simili-cahute flottante, ou encore au beau flotteur surmonté d’une feuille de palmier ou d’une perche de bambou. Une chose est certaine, de nuit ce serait un obstacle sérieux. Il y a des zones où il y en a partout. Ailleurs il y en a moins, sans doute parce que les fonds atteignent des milliers de mètres, mais comme la bathymétrie est particulièrement imprécise sur les cartes du coin, difficile de savoir.

Un autre monde

Un autre monde

Nous sommes entrés dans les eaux indonésiennes à la nuit tombante, juste après avoir passé le talus continental australien, et une trentaine de milles plus loin nous devions passer au niveau de la fosse qui sépare Timor de l’Australie. C’est là que nous avons vécu notre première expérience indonésienne : nous avons eu l’impression de nous faire entourer par une horde de bikers aquatiques ! A tenter de percer la noirceur de la nuit, j’ai fini par discerner aux jumelles quelques silhouettes d’embarcations, une douzaine peut-être, et à m’apercevoir que la plupart étaient équipées d’une lampe flash bleue, rouge ou blanche – feux que j’avais bien du mal à voir à l’oeil nu, le bruit signalant bien mieux la présence de ces pêcheurs. Quelques coups de lampe frontale pour leur signaler que je les ai vus, auxquels ils me répondent avec leur lampe, et le croisement se fait sans heurts. Dans le restant de la nuit, la veille fut nettement plus assidue qu’auparavant (et plus auditive !), mais les seuls autres pêcheurs croisés étaient, eux, très éclairés. Sans doute s’agissait-il de “squid boats”, des pêcheurs de calamars, qui sont plutôt des arbres de Noël ambulants !

La plus inhospitalière des côtes [2] : Ningaloo Reef, Pilbara et Broome

La plus inhospitalière des côtes [2] : Ningaloo Reef, Pilbara et Broome

En un peu plus de 24 heures d’une navigation pour une fois agréable et sans histoire, nous passons de la région de Shark Bay à celle du Ningaloo Reef. Nous retrouvons alors le domaine de la grande houle, qui constitue un paramètre essentiel pour l’exploration de cette côte difficile. Ici aussi, de nombreux navires ont terminé leur course, et malheureusement, lorsque nous approchons de Coral Bay, le petit village touristique du sud du Ningaloo, nous tombons en pleine opération de recherche en mer : deux hommes partis pêcher à bord de leur bateau à moteur ne sont pas rentrés la veille et plusieurs bateaux, un hélicoptère et un avion ratissent la zone plusieurs jours durant. Nous ouvrons l’oeil également, et alors que pour effectuer notre approche nous empannons deux fois le long du récif, nous voyons sans mal comme il peut être sans pitié : la grande houle du large vient terminer sa course au-dessus du corail dans un fracas majestueux et incessant, déployant à chaque rouleau une puissance phénoménale. Malheureusement, nous constatons vite que la passe est bien trop large pour abriter le mouillage de Maud’s Landing vers lequel nous nous dirigeons. Mais nous n’avons pas le choix, car il est interdit de rentrer dans Coral Bay proprement dite, tant elle est damée de corail, bien trop dangereux pour qui ne connait pas bien le coin.

La plus inhospitalière des côtes [1] : Abrolhos et Shark Bay

La plus inhospitalière des côtes [1] : Abrolhos et Shark Bay

Il faut environ 48 heures de mer pour rallier les Iles Abrolhos au départ de Rottnest, mais pour nous cela s’est fait en deux temps. Nous avons en effet fait une halte un peu avant la mi-parcours parce qu’un front assez musclé a décidé de venir perturber notre remontée de la côte ouest. Parmi les rares abris possibles sur cette côte, nous avons opté pour les Green Islands, et nous sommes donc entrés dans le récif frangeant qui déborde la côte au nord de Perth, récif que nous longions quelques milles au large, passant d’ailleurs dans la nuit le site du naufrage du Vergulde Draeck. On peut alors mouiller derrière deux jolies îles (verdoyantes, comme le nom l’indique, et c’est suffisamment rare pour être relevé), que relie un banc de sable à marée basse. L’endroit est rouleur, mais c’est tout ce qu’il existe dans le coin. Nous laissons donc là le vent tourner au nord-ouest, puis à l’ouest, puis au sud-ouest, tandis que nous dansons à chaque marée haute. Enfin, après deux jours, nous nous extrayons de là, non sans subir une nouvelle session de shaker le temps de nous frayer un passage entre les récifs et de sortir du lagon, car la grande houle de sud-ouest est maintenant bien prononcée. Le lendemain, nous approchons enfin des Abrolhos, mais ce n’est qu’à quelques milles à peine que l’on aperçoit enfin ces îlots à fleur d’eau, et découverts par Houtman en 1619.

Escale à Freo

Escale à Freo

Nous sommes déjà le 25 mars, mais nous sommes en passe de réussir notre pari, passer de la côte est à la côte ouest australienne par le sud. Après le South West Cape de Nouvelle-Zélande, le South East Cape de Tasmanie, Fleur de Sel va désormais virer le Cape Leeuwin, l’un des grands caps de la route des clippers, et pour nous le premier des trois grands. C’est dès le lendemain de notre visite par la terre que l’on s’y attelle par la mer, profitant d’une accalmie simultanée de la houle et du vent, si bien que nous osons nous faufiler au travers de la longue chaussée de roches qui débordent le cap – chaussée qui impose en temps normal de passer très au large, très au loin de la côte. En ayant bien repéré notre route sur les cartes et sur de multiples photos satellites, nous trouvons un passage où l’on n’a jamais moins de 7m d’eau, et nous doublons le cap alors que le soleil s’installe. Pour les Australiens, nous venons de changer d’océan, laissant derrière nous le Southern Ocean pour attaquer l’Indien. Et ça s’annonce plutôt rocailleux ! En effet, il faut bien déborder la côte en restant au moins 5 milles au large, sous peine de finir comme l’une des nombreuses épaves de la région.

Course contre la montre vers l’ouest

Course contre la montre vers l’ouest

C’est sans anicroche que nous avons franchi le Great Australian Bight, cette immense golfe ouvert au sud dont nous vous parlions la fois passée. Mais pour autant, il nous a fallu bien jouer avec la météo : la saison ayant avancé, il nous était désormais impossible de bénéficier d’un bel anticyclone à déplacement lent pour nous procurer des vents portant tout au long de la traversée. Pas le choix, nous devions prendre un front à un moment ou un autre, l’essentiel était qu’il soit maniable, et de n’en prendre qu’un seul ! Portés par des vents de sud-est à est, nous avons donc d’abord vogué vers le sud-ouest, jusqu’à atteindre 34°S environ. Le vent ayant continué sa rotation au nord-est, nous avons ensuite empanné pour poursuivre plein ouest, car c’est à cette hauteur que nous souhaitions passer dans la partie la moins musclée du front à venir. Plus au sud, nous aurions été plus proches de la dépression, avec davantage de vents d’ouest. Plus au nord, nous aurions été plus proches du continent surchauffé, avec un risque accru d’orages violents. Nous croisons pendant ces premières journées de mer un pêcheur puis un cargo, et la navigation est très plaisante, sous un beau soleil.

Changement de rythme : accélération !

Changement de rythme : accélération !

Enfin, après une semaine à la vitesse d’un escargot, nous remettions les voiles. A ce rythme-là, nous n’allions pas progresser bien vite. Et pourtant, maintenant que nous avions quitté la Tasmanie, il nous fallait au contraire changer de rythme pour accélérer ! C’est ce que fit Fleur de Sel, dès que nous nous sommes dégagés de la baie de Portland, en passant les superbes Lawrence Rocks entourés de nuées d’oiseaux (et tapissés du guano qui accompagne inévitablement les volatiles…) Doublant les caps les uns après les autres, nous avons ensuite tracé au portant un peu au large de l’extrême côte sud de l’Australie Méridionale (eh oui, après notre bref passage dans le Victoria, nous voici maintenant dans un nouvel état). Nous avons rythmé nos empannages pour la mi-journée et le milieu de nuit, nous rapprochant de la côte en première partie de journée, et nous en éloignant en seconde partie, histoire de profiter alternativement des brises de terre et de mer avec un angle optimal. Le long des côtes, comme toujours, on croise quelques pêcheurs au gros (ou au plus petit), quelques casiers aussi, dont un qui vient se prendre dans la dérive arrière. Heureusement, l’hélice de Fleur de Sel est bien protégée et vu la forme de la coque, ça se dégage sans encombre en relevant la dérive. Enfin, après 48 heures, et comme prévu, le vent nous abandonne quelques heures juste au moment où nous approchons de Kangaroo Island.

Changement de rythme : au ralenti…

Changement de rythme : au ralenti…

Le détroit de Bass nous a donné un aperçu de ce qu’il pouvait faire, en générant une mer courte et hachée, que nous prenions heureusement de l’arrière. Mais rien de bien méchant, juste de quoi nous conforter dans l’idée que nous avions eu raison de le traverser une seconde fois dans des conditions optimales. Le vent a ensuite molli, un peu tôt d’ailleurs, et sur les coups de 8 heures, nous nous présentions devant Port Fairy. Le chenal menant à ce joli petit port est étroit mais agréable, et fort heureusement la houle n’était pas de la partie pour passer entre les brise-lames. Accueillie par le harbourmaster, Fleur de Sel est vite amarrée le long du quai sur la rive ouest, et après un bon dessalage du bateau et un bon brunch, nous pouvons nous reposer. La météo va désormais nous imposer de progresser lentement pendant près d’une semaine : de manière inhabituelle, un cyclone du nord-ouest de l’Australie (Stan) a réussi à traverser le continent et évolue, de manière affaiblie, en Australie Méridionale. Inutile de se battre contre les vents contraires, nous allons relâcher successivement à Port Fairy et à Portland et prendre notre mal en patience. Du large, la côte du Victoria occidental nous fait un peu penser à la côte vendéenne, basse et sablonneuse, si ce n’est que les Britanniques ont planté au XIX° siècle des Norfolk Island Pines maintenant majestueux.

De l’activité à Fremantle !

De l’activité à Fremantle !

Nous serons au menu de la Cruising Topics Night de ce mois-ci !

Pour s’éviter un mea culpa, rien de mieux qu’une bonne diversion, n’est-il pas vrai ? Notre acte de contrition concernant notre silence prolongé attendra donc encore un peu. Grâce à la carte présente en haut à droite de nos pages, vous savez déjà que nous avons atteint avec succès la côte ouest australienne, et vous vous douterez que le rythme soutenu mené le long de la côte sud du continent nous a non seulement laissé peu de temps mais il nous a aussi lessivés. Nous vous conterons donc une autre fois ces contrées très peu courues.

Loin des yeux, mais pas du cœur

Loin des yeux, mais pas du cœur


Plus encore que les autres jours, nous nous sentons aujourd’hui plus Européens et Belges que jamais. Tout comme les attentats de Paris ou d’ailleurs, ceux de Bruxelles nous révulsent, mais peut-être qu’ils nous attristent plus encore tant nous y avons de bons souvenirs. Secrètement nous espérons que Bruxelles restera à l’avenir aussi agréable, belle et joyeuse qu’elle l’a toujours été, même si notre raison nous dit qu’inévitablement rien ne sera plus comme avant. Amis Belges, Bruxellois, Flamands, Wallons, Européens, même si nous sommes loin, nous nous unissons avec vous par la pensée et en prière, et nous souhaitons à tous beaucoup de courage pour surmonter ces difficiles épreuves. Surtout, que Bruxelles garde l’âme qui est la sienne, ce sera notre victoire à tous.