Contrariétés équatoriales
Le voyage d’Iguazú
Ca aurait sans doute pu nous faire peur, mais une fois assis, au contraire, cela nous parait tout confort. 18 heures de trajet en bus, c’est le temps qu’il nous faudra pour rallier Puerto Iguazú au départ de Buenos Aires. C’est long, certes, mais c’est le grand luxe : sièges vraiment inclinables, repas servis à bord, films projetés. Bref, c’est évidemment un peu fatigués que nous arrivons dans l’extrême nord-est de l’Argentine, mais étonnement peu tout de même. Après avoir pris possession de l’appart-hôtel qui nous accueillera quelques nuits, les premières loin de Fleur de Sel depuis longtemps, nous voici déjà à pied d’œuvre, direction las cataratas. Car c’est bien elles que viennent voir tous les voyageurs que l’on trouve dans cette localité un peu far-west.
En temps et en heure
Le chenal qui mène à Rio Grande fait une longueur phénoménale. C’est le seul port de toute la longue côte (sablonneuse) de l’état de Rio Grande do Sul, mais également l’un des plus grands du pays. Le chenal nous fait donc passer devant les terminaux de containers, céréalier, des engrais, pétrolier, et pétrochimique avant de longer ensuite le port de pêche, pour enfin, tout au bout, atteindre le yacht-club, avant que la profondeur ne s’amenuise tant qu’il ne reste plus rien pour naviguer. C’est que le chenal en question joint aussi la Lagoa dos Patos à la mer. C’est la plus grande lagune d’Amérique du Sud, et elle fait quatre fois la superficie du Lac Léman ! Le marnage a beau être très faible, vu la surface du bassin, les courants sont très prononcés. Nous nous présentons donc au milieu de la marée montante en face des deux longues jetées qui s’étendent quelques kilomètres en mer pour constater avec surprise que le courant sort ! Nous revérifions l’horaire des marées, il est 10h30, la mer devrait être haute à 13h. Mais l’heure ici, ce n’est pas l’heure : apparemment, le courant est plutôt dicté par le vent que par la Lune.
Sur la route du sud (brésilien)
Le 3 octobre, le vent du sud s’est enfin essoufflé, après un passage de front quelque peu venteux. Nous avons attendu encore un peu dans le mouillage reculé, mais très bien abrité, d’Ilha Cotia, et c’est à l’aube du 4 octobre que nous avons levé l’ancre. Au programme : la traversée en accordéon de la poche entre Rio et Florianopolis. C’est une grande baie de plus de 400 milles de long, mais qui n’a pas vraiment de nom. Tandis que ses deux extrémités, le Cabo Frio au nord-est et le Cabo Santa Marta au sud-ouest sont connues pour leur temps capricieux (mais quel grand cap ne l’est pas ?), le golfe lui-même est plutôt connu pour ses vents mous. Nous constatons d’ailleurs depuis plusieurs semaines qu’en cette saison c’est un lieu de prédilection pour la formation des dépressions qui vont ensuite balayer l’Atlantique Sud. Elles sont encore jeunes donc peu féroces, mais il va néanmoins nous falloir jouer à saute-mouton, ce qui explique l’accordéon.
Grand bricolage de printemps sur la Costa Verde
Alors que nous attendions du vent, c’est par une belle pétole que nous avons rallié la Costa Verde, et c’est grâce au moteur que nous avons pu mouiller avant qu’il ne fasse noir. Ilha Grande, Angra dos Reis, Paraty, chacun y va de sa préférence pour désigner la baie dans laquelle nous nous sommes rendus, à 70 milles à l’ouest de Rio. Mais nous avons noté que les brésiliens parlent aussi de cette immense zone en la regroupant sous le vocable Costa Verde, ce qui semble très approprié. En effet, pas de doute possible, le vert est ici roi. Imaginez un dédale d’îles elles-mêmes entourées d’îlots, et de baies au fond desquelles se trouvent encore ici ou là de multiples criques (les sacos, alias culs-de-sac), le tout coiffé par la Mata Atlântica. C’est ainsi que s’appelle la forêt tropicale qui couvrait jadis tout le littoral, et qui est aujourd’hui réduite à 11% à peine de sa superficie de 1500, lorsque les Portugais ont découvert le Brésil… Mais sur la Costa Verde, dans la partie occidentale de l’état de Rio de Janeiro, on peut encore bien s’imaginer la vision qu’ont du avoir les premiers explorateurs. Des collines et des montagnes, tapissées d’arbres, d’arbustes, de buissons, d’herbes, qui ont en commun leur couleur émeraude, qui semble même déteindre sur l’eau, comme si la peinture de l’artiste avait coulé vers le bas du tableau.
« Si tu vas à Rio… »
Vitória est la capitale de l’état d’Espirito Santo, qui, malgré son nom inoubliable, est moins célèbre que les deux états voisins, Bahia au nord, Rio de Janeiro au sud. C’est un port bien situé pour une escale en descendant la longue côte brésilienne. L’arrière pays est montagneux, chose que nous n’avions pas encore vue au Brésil, et accélère le vent au large. Ajoutez à cela le Courant du Brésil, qui descend la côte à plus d’un nœud, et vous avez tous les ingrédients du cocktail explosif que Fleur de Sel s’est enfilée pendant 27 heures, le temps d’avaler les 170 milles à faire depuis les Abrolhos.
Mais en arrivant, les prévisions météo étaient sans équivoque. D’ici quelques jours, un front froid viendra nous apporter de forts vents contraires. Il nous faut choisir, soit le repos forcé pendant une semaine, soit on abrège l’escale vitorienne. L’équipage aurait bien souhaité pouvoir se reposer quelques jours, une fois l’avitaillement, le ménage, la lessive faits, sans parler de visiter cette ville bien proprette et policée et de profiter de l’hospitalité du Iate Clube Espirito Santo, qui nous mettait à disposition sa piscine. Mais voilà Fleur de Sel profitant d’une “happy hour” concernant le cocktail susmentionné. Cette fois-ci, la glissade de 200 milles aura duré 32 heures. Record de nouveau battu, à 6,4 nœuds de moyenne, et des pointes à plus de 10 nœuds ! Décidément, Fleur de Sel se croit sur une piste de bobsleigh !
Ouvre les yeux
Il aura manqué deux heures. Au départ, peut-être, où nous avons préféré nous reposer jusqu’au bout avant 270 milles de mer. L’équivalent d’une petite traversée du Golfe de Gascogne, mais à l’échelle du Brésil, ça parait tout petit ! A moins que ce ne soit dans les grains et les sautes de vent du départ que nous avons plutôt essayé de négocier à la voile, quand un peu de moteur nous aurait peut-être fait gagner du temps. Sur la seconde moitié du parcours, difficile de faire mieux, Fleur de Sel se délecte du vent de travers enfin trouvé. A partir d’ici, le vent de sud-est laisse la place à un vent d’est qui deviendra progressivement nord-est. De quoi allonger la foulée, d’autant plus que nous profitons du Courant du Brésil, qui ajoute un demi-noeud, parfois un noeud à notre vitesse. Malgré tout cela, au bout de 36 heures, la nuit nous surprendra encore à une dizaine de milles des Abrolhos. Après moult hésitations, nous avons décidé d’atterrir malgré tout de nuit, sans attendre douze heure au large à capeyer.
Cascade de tranquilité
Une sensation étrange monte en nous. Quelque chose de familier et pourtant un peu oublié. Après plus d’un mois passé dans la Baie de Tous les Saints, entre Salvador, les îles et le Rio Paraguaçu, nous avons redécouvert les vagues. Cela nous rappelle notre passage en Norvège, derrière le rempart d’îles externes, où l’on en vient à oublier l’existence de la houle. Mais la mer nous a prévu une petite session de rattrapage. Histoire de nous remettre dans le bain, pour cette première étape cap au sud, la nuit fut mouvementée. La météo pour la semaine à venir nous semblant favorable, nous avons décidé de faire une croix sur Morro de São Paulo, station balnéaire jolie, parait-il, mais chic et clinquante. Nous préférons nous élancer directement pour la baie de Camamu, deux fois plus loin, et deux fois moins fréquentée, pour le moins.
Tu ne t’inquiètes pas, tu fais du tourisme à Bahia…
De retour d’une petite semaine à Salvador de Bahia, j’ai le privilège d’être la première invitée à écrire sur le journal de Fleur de Sel pour vous faire partager nos souvenirs et impressions. Pas de censure puisque Nicolas et Heidi sont repartis vers la baie de Camamu et l’archipel des Abrolhos. Encore une occasion de se précipiter sur Google Earth pour naviguer, je dirais même surfer, à notre manière.