Montée rapide vers le Cercle Polaire
Ce n’est pas un hasard si les nouvelles ont été rares ces derniers jours. Tout d’abord, nous n’avons pas chômé : plus de 300 milles parcourus en 10 jours, en naviguant tous les jours, et 3° gagnés, malheureusement pas en température, mais en latitude nord. En effet, notre objectif était d’allonger la foulée le long de la partie centrale de la côte norvégienne. Les fjords y sont nombreux, mais moins profonds et moins encaissés qu’au sud-ouest, et le paysage s’admire surtout comme un film qui se déroule devant nos yeux. Quelques étapes intéressantes jalonnent le parcours, mais nous ne nous sommes arrêtés que rapidement aux principales, voulant arriver aux Lofoten sans trop tarder, car la saison avance vite. D’autre part, cette côte présente la particularité de ne pas avoir de grande ville. Sandnessjøen, avec ses 7’500 habitants en est la commune la plus importante. Autant vous dire qu’il n’est pas évident de trouver un accès Internet…
Motivés malgré le vent contraire, nous sommes partis de Brekstad, notre camp de base pour visiter Trondheim, avec l’intention d’avancer un grand coup. Finalement, la fatigue a eu raison de nous après 2 jours de navigation dans le skjærgård (chenaux protégés entre fjords et îlots) et une nuit à tirer des bords plus au large dans le Frohavet. Mais c’était tout de même 1° de latitude de gagné. Du bon boulot, même si nous étions morts. Il faut dire que la beauté sauvage des montagnes, la complexité apparemment inextricable des chenaux et le nombre et la diversité des îles et îlots sont d’un grand réconfort, car malgré la fatigue nous étions toujours émerveillés surtout lorsque la houle s’en mêle et ajoute par son déferlement à la grandeur du spectacle.
On assiste sur ce trajet plus encore qu’ailleurs au ballet régulier des Hurtigruten, ou Express Côtier. Il s’agit d’une ligne de navires mi-paquebot mi-cargo qui dessert de nombreuses villes de la côte entre Bergen et la frontière russe. A raison d’un bateau par jour dans chaque sens, chaque ville voit donc passer les voyageurs montants et descendants tous les jours à la même heure. Les localités desservies la nuit dans un sens le sont de jour dans l’autre sens, de manière à ce que les voyageurs puissent admirer l’ensemble de la côte s’ils effectuent l’entier du voyage. Celui-ci dure 11 jours pour Bergen-Kirkenes-Bergen, et c’est sans doute l’une des plus belles croisières que l’on puisse faire. Vous aurez donc remarqué sans mal qu’ils vont bien plus vite que nous, et en plus ils sont bien plus gros. Donc aux abords de Rørvik ou de Brønnøysund, des localités situées dans d’étroits passages entre les îles, il vaut mieux avoir les horaires en tête pour savoir à quel moment on va les trouver en face de soi, histoire de ne pas être surpris !
Notre escale suivante fut l’île de Leka, à la géologie toute particulière, et que nous avons atteinte au coucher du soleil qui venait embraser la roche déchiquetée déjà rougeâtre en soi. On se serait crus dans un tableau dantesque. Une grotte non loin de notre mouillage abrite des peintures préhistoriques, mais les horaires de visite étant très restreints nous n’aurons pas le plaisir de les admirer. En revanche, la petite grimpette pour trouver la grotte sera l’occasion d’une rencontre insolite avec Ann et Terry, américains, la cinquantaine bien entamée, et visiblement habitués de la Norvège.
Le spectacle continue ensuite avec Torghatten, chapeau d’un troll percé d’une flèche et pétrifié par le lever du soleil. Du moins c’est ce que racontent les légendes scandinaves au sujet d’une île-montagne percée d’un énorme trou d’une vingtaine de mètres de diamètre et de 160m de long ! Celui-ci est bien visible de la mer, mais c’est malheureusement la seule image que nous en garderons. Le troll n’a pas dû aimer être dérangé par notre petite Fleur de Sel, et a fait en sorte de la pluie vienne perturber la représentation. Nous passons donc notre chemin et abandonnons l’idée de la marche, pourtant facile à ce qu’il parait, qui mène à la fameuse perforation.
La journée suivante sera placée sous le signe d’autres personnages du folklore norvégien, les Syv Søstre. Sagement alignées sur une seule île, d’altitudes comparables et espacées presque régulièrement, voici les Sept Sœurs, un point de repère important pour les marins norvégiens. On les aperçoit de loin, et nous les verrons pendant 3 jours le long de la côte. Il parait même qu’on les voit aussi à grande distance au large. Nous en profitons pour venir mouiller à Hjartøya dans un joli mouillage malheureusement un peu trop populaire, mais dans lequel nous aurons la suprise de voir flotter le pavillon suisse sur l’un des bateaux déjà à l’ancre. Quelle suprise, puisque Barbara et Thierry, qui ramènent Cérès de Tromsø après une campagne au Svalbard l’été dernier, sont vaudois de Perroy. Presque des voisins ! Nous les remercions d’ailleurs chaleureusement pour le sympathique verre de Cognac du Svalbard pris à leur bord par 66°N. Eh oui, les parallèles continuent de s’égrener dans le sillage de Fleur de Sel, et il en est un célèbre qui se trouvait encore devant l’étrave de Fleur de Sel. Mais ce serait anticiper un peu.
Car nous avons encore fait halte à Lovund, île relativement à l’extérieur du skjærgård. L’île présente une forme monolithique très caractéristique et semble surgir de la mer sans crier gare jusqu’à ce qu’on approche et qu’on aperçoive la petite plaine côtière au pied de sa falaise. Elle est surtout réputée pour sa colonie de macareux, l’une des plus grande d’Europe, et dont nous n’aurons qu’un petit aperçu. En effet, le sentier mène en hauteur, en bas d’éboulis, eux même au pied de la falaise. Le ballet des macareux en vol y est invraisemblable, mais on devine que ces petits clowns ailés nichent plus haut, à l’abri des hommes et des autres prédateurs. Après les macareux à pied de Fair Isle, les macareux dans l’eau de Runde, nous verrons donc ici des macareux en vol, le bec plein de poissons qui plus est. Mais pour le photographe, c’est autrement plus exigeant car une fois leur envol pris maladroitement, ils sont très rapides !
Allez, ça y est, nous avons fêté le 14 juillet à notre manière. Pas de grand pavois (on ne le porte pas en naviguant), pas de pavillon particulier ou quoi que ce soit. Non, en fait, rien à voir avec la fête nationale. Pour nous, ça a été le jour où nous avons franchi le Cercle Polaire, tard dans la journée, sur les coups de 21 heures environ, c’est-à-dire lorsque le soleil commence à décliner. C’est une ligne théorique, qui n’a rien de particulier, me direz-vous. Eh bien non, contrairement à ce qu’on nous a dit, elle est bien visible, et nous l’avons même vue tracée sur l’eau : du vent avant, plus de vent après ! 🙂 Le tout en admirant de très loin l’immense calotte glaciaire du Svartisen, notre objectif du lendemain. Un paysage à vous couper le souffle. On est contents d’être là et de pouvoir admirer ça.
Cercle Polaire, mais ça veut dire que la nuit a cessé d’exister pour nous, n’est-ce-pas ? A la fois oui et non. C’est effectivement à partir du Cercle Polaire qu’a lieu le phénomène du “soleil de minuit”, c’est-à-dire qu’il ne se couche plus. Mais au niveau du Cercle Polaire, cela n’a lieu qu’au solstice d’été, le 22 juin. Au fur et à mesure que l’on monte en latitude, ce jour perpétuel a lieu sur une durée de plus en plus grande, pour durer finalement 6 mois au Pôle Nord (mais heureusement nous en sommes loin !) Bref, nous sommes donc trop tard en saison pour pouvoir admirer le soleil de minuit, puisqu’aux Lofoten, il se termine le 15 juillet environ. Eh non, les jours finissent toujours pour nous. Mais il y a la manière… En effet, le Soleil se couche, certes, mais pas pour longtemps ! Lorsque nous étions aux Orkney, aux Shetland ou à Bergen, il disparaissait 4 heures environ, ce qui laissait le temps à la nuit de tomber, bien qu’elle soit loin d’être noire : une lueur étrange dans le nord nous rappelait que le Soleil n’était pas loin sous l’horizon. A mesure que nous avons gagné en latitude, la durée de la nuit s’est réduite, pour n’atteindre maintenant que 2 heures environ. Autant vous dire que l’astre solaire n’est pas loin sous l’horizon et que de 22 heures à 4 heures du matin, ce n’est qu’un immense coucher de soleil qui se transforme en lever de soleil avant qu’on n’ait pu s’en aperçevoir. Il n’est donc pas tout à fait faux de dire que le jour n’en finit pas. On n’a d’ailleurs pas vu d’étoiles depuis début juin, et on ne sait plus très bien ce qu’est une nuit noire… C’est très pratique au mouillage lorsqu’on se demande si l’ancre tient bien !
Je terminerai enfin ce long récit sur l’ascension de la face nord-ouest de la Norvège en vous relatant notre première expérience arctique. Juste au-dessus du fameux cercle, tout juste à l’intérieur des terres, se trouve la deuxième plus grande calotte glacière d’Europe, le Svartisen, ce qui signifie Glacier Noir (la plus grande, le Jostedal, se situe aussi en Norvège, plus au sud). Nous avons eu la chance de pouvoir mouiller Fleur de Sel à Engen, devant le glacier. Plusieurs langues “coulent” de la calotte, et deux d’entre elles aboutissent non loin de la mer. Le seigneur Svartisen ayant daigné nous saluer en se découvrant (de son chapeau de nuages), nous en avons profité et en un peu plus d’une heure de marche, nous avons atteint le front de glace que l’on voyait du bateau, le tout vers 22 heures passées, à la lumière du soleil couchant… Autant dire que c’était féérique, impressionnant et stressant à la fois. En effet, le lendemain matin, un vent frais soufflant de l’ouest venait rebaigner le glacier dans ses nuées, tandis que nous étions forcés de déguerpir sans attendre notre reste. Mais quelle expérience que de venir mettre son voilier à l’ancre presque au pied d’un glacier ! C’est ainsi que nous attaquons la partie arctique de notre voyage et cela nous semble de bon augure pour la suite !