Le mystérieux troisième homme
Petite question préliminaire : qu’est-ce-qui a des pieds bleus, un chapeau blanc, et qui a des roues dentées entre les deux ? Eh non, il ne s’agit pas du Schtroumpf bricoleur…
Nous descendons la côte ouest d’Irlande, cette nuit, dans un reste de front froid peu actif. Cependant, il nous envoie quand même quelques bonnes bourrasques à une vingtaine de nœuds, et fait rouler le bateau. Je veille, tout en faisant la vaisselle du dîner et en recevant les fax météo sur l’ordinateur, et Heidi tente de se reposer pour prendre la relève par la suite. Malgré l’heure tardive, les moins endormis se demanderont donc : qui barre ?
Eh oui, nous faisons de la voile, mais c’est aussi pour nous un moyen de voyager. Au contraire de la régate, nous ne sommes pas en permanence rivés à la barre, loin de là. En fait, nous ne la prenons à la main qu’assez rarement : lors des manœuvres de port ou de mouillage, dans les passages un peu resserrés, ou bien pour éviter un autre bateau, afin d’être sûrs de ce que l’on fait. En bref, dans les situations dans lesquelles on n’a pas le droit à l’erreur. Mais le reste du temps, nous avons souvent mieux à faire ! La question demeure donc : qui barre ?
C’est le rôle du troisième homme… Et je vous présente donc aujourd’hui ce mystérieux passager clandestin, qui partage notre voyage depuis le début. J’ai nommé Tonton Régale. Car c’est bien lui qui est bleu en bas et blanc en haut. Il ne s’agit pas d’un pilote électrique. Nous en avons un, très pratique, mais cela consomme trop d’électricité. De plus, dans la mer formée, il n’est pas capable de réagir assez vite et avec des angles de barre suffisants. Si nous ne devions nous appuyer que sur lui, je serai en train de barrer au lieu de vous écrire !
Tonton Régale est le surnom affectueux du Régulateur d’Allure, et il sait gérer les vagues bien mieux que notre pilote électrique. C’est aussi une sorte de pilote automatique, mais entièrement mécanique. Et une belle mécanique, qui fonctionne à l’air et à l’eau ! Ceux que le fonctionnement mécanique du Régale n’intéresse pas peuvent directement passer au dernier paragraphe.
Pour les autres : le chapeau blanc du Régale, c’est son aérien. Nous l’orientons dans la direction souhaitée, dans l’axe du vent, et il pendule ensuite, en fonction des écarts de route du bateau. La force du vent sur cet aérien serait insuffisante pour tirer sur la barre, et il y a donc un niveau intermédiaire, qui joue le rôle d’amplificateur du signal. Le mouvement est transmis par des bielles à un pendulum bleu. Ce sont les pieds du Régale, même s’il s’agit plutôt d’une nageoire, puisqu’il plonge dans l’eau sur le tableau arrière, derrière le safran. Le pendulum tourne légèrement, et cela le fait penduler lui aussi en raison de notre vitesse. C’est ce mouvement-là qui est transmis à la barre par le biais de drosses (des cordages). L’effet combiné de la densité de l’eau et de notre vitesse fait que la puissance est bien supérieure. Pour vous donner une idée, je peux résister avec un ou deux doigts au mouvement de l’aérien. Mais même en tirant de toutes mes forces et en mettant tout mon poids dans la balance, impossible de résister au mouvement du pendulum !
Le plus beau dans l’histoire, c’est en réfléchissant au bilan énergétique. Si je barre, je me fatigue vite, surtout dans une mer formée. Si le pilote électrique barre, il ponctionne des ampères sur nos batteries. Mais si le régulateur d’allure barre, qui se fatigue ? En fait, l’énergie provient de la vitesse du bateau, donc indirectement du vent. Lorsqu’il y a peu de vent, cela nous ralentit un peu, c’est vrai. Mais nous ne sommes pas pressés ! Et lorsqu’il y a une bonne brise, de toute manière le bateau atteint sa vitesse limite. Il ne pourrait pas aller plus vite, donc le ralentissement est insignifiant. C’est quand même beau, non ?
Allez, et pour ceux que ça intéresse vraiment, il y a encore une petite subtilité, qui fait partie de l’apprentissage d’utilisation de Tonton Régale. Les drosses de contrôle se fixent sur la barre à l’aide d’une petite chaînette réglable. En effet, il faut que lorsque l’aérien est bien orienté, avec le vent dans la direction que l’on souhaite, la barre soit en position neutre, c’est-à-dire pour aller tout droit. Mais voilà, selon la force du vent, le réglage des voiles et des dérives, le bateau est plus ou moins ardent ou mou. Ardent, il a tendance à lofer (se rapprocher du vent). Mou, il a tendance à abattre (s’écarter du vent). Si le vent forcit ou mollit, ou si nous modifions un réglage, la position neutre de la barre change donc, et il faut repositionner la chaînette sur la barre, afin que le bateau aille droit, lorsqu’il est dans la direction que l’on souhaite. C’est donc mieux si le vent est régulier.
Si vous n’avez rien compris à l’enchaînement mécanique, ce n’est pas grave. Il faut simplement savoir que lorsque Tonton Régale est aux commandes, la barre est contrôlée en fonction de la direction du vent. Il réagit aux écarts de route du bateau par rapport au vent pour les corriger. Evidemment, cela veut dire que si le vent tourne, nous tournons avec ! Certains équipages trouvent cela handicapant, et ne l’utilisent donc que pour les longues traversées, afin d’économiser l’électricité. Nous l’utilisons même en croisière côtière, tant que le vent n’est pas trop changeant et le chenal trop étroit. Nous trouvons pratique que le régulateur nous indique les variations du vent. Cela permet de déceler les fluctuations de 5 ou 10 degrés que l’on n’aurait peut-être pas vues autrement (nous n’avons pas de girouette-anémomètre électronique à bord). Le régulateur d’allure que nous avons est un Windpilot Pacific, de fabrication allemande, et dont le service après-vente est impeccable. Rien à redire, ça fonctionne à merveille. En tous les cas, c’est un moyen de pouvoir maintenir notre cap sans devoir barrer nous-mêmes. Et de pouvoir le faire sans dépense énergétique, ce qui est encore mieux ! Bien évidemment, cela ne nous dispense pas de faire la veille, mais entre deux tours d’horizon pour s’assurer que tout est clair, on est libre de faire mille autres choses !
6 Replies to “Le mystérieux troisième homme”
@ yannig : Je mets volontiers un schéma si quelqu’un m’en trouve un, mais c’est pas évident à faire soi-même. Mais je vais aussi essayer de rajouter des photos.
@ tibob : moi j’ai la chance de ne pas en souffrir ! Heidi n’est pas toujours au mieux quand il y a de la mer croisée, mais c’est aussi l’un des intérêts du régulateur que de ne pas avoir à s’occuper du cap quand on est un peu crevé par les mouvements du bateau…
J’espère que Tonton régale ne gêne pas trop votre intimité de jeune couple… En tout cas, je suis ravie d’avoir fait sa connaissance ce soir.
Pour les crêpes, nous pouvons assurer le week end du 10 et 11 octobre où nous serons à la Trinité. Et il y a du bon cidre à la cave.
Maman
bravo pour cette magnifique explication du fonctionnement du regulateur ! ou est le schema technique ??
a+ bon vent
Et quand la mer est agitée, vous n’avez pas le mal de mer à l’intérieur ?
et voilà, je savais que vous n’êtes pas tous seuls sur le bateau. Et moi qui ta proposé de peler les patates…Merci
Bravo pour vos commentaires et images.
A bientôt
Thomas