De Valdivia à Humahuaca
Pendant que Fleur de Sel se repose – du moins on l’espère – son équipage est en “vacances”, loin de là. Voici le carnet du début de notre parcours andin, principalement en Argentine.
Jeudi 12 mai – C’est la course à bord, car nous achevons une semaine de nettoyage, de rangement, de préparation. Grâce à Nadine et Marc, nous avons pu remplir nos bouteilles de gaz et faire une provision de filtres à huile et à gazole. Dans les dernières heures avant le départ, nous sommes encore à nettoyer de fond en comble le réservoir d’eau, qui n’a pas reçu pareil traitement depuis un an. Et enfin, alors la pluie s’abat sur Valdivia après une superbe semaine de fin d’automne, nous nous installons dans le bus pour Santiago, épuisés, mais en route pour les vacances…
Vendredi 13 mai – Sur les coups de 10h, nous atteignons Santiago, la capitale du Chili, que nous avons mis presque 4 mois à atteindre depuis que nous avons découvert ce pays par son extrémité australe. Nous atterrissons d’abord chez Maria Sonia, la belle-mère de Laurent, qui nous accueille comme si nous étions de la famille. C’est charmant, mais nous la remercions surtout car elle a réceptionné nos nouvelles cartes de crédit, qui nous seront beaucoup plus utiles que les précédentes, arrivées à expiration. S’ensuit une après-midi de balade dans le centre de Santiago, à commencer par le palais présidentiel de La Moneda. Nous visitons ensuite la cathédrale néoclassique, en flânant au passage sur les places hérissées de palmiers. Quel changement pour nous qui sortons des quarantièmes ! En fin de journée, une ascension en funiculaire au Cerro San Cristobál nous permet d’admirer… pas grand chose. Il fait grand beau temps, mais Santiago est si polluée que nous ne voyons que la première chaîne de montagnes en arrière-plan. Mais aucun sommet enneigé ne laisse deviner la présence toute proche de la Cordillère, et de ses sommets les plus élevés. Et pourtant, dès le lendemain, nous en aurons le coeur net.
Samedi 14 mai – Embarquement à bord du bus international à destination de Mendoza. Nous quittons Santiago (520m d’altitude) pour assez rapidement nous engager dans une ascension relativement douce au début, bien qu’on sente que le moteur du bus donne de la puissance. Mais après, la végétation subtropicale fait place à un paysage de montagne qui devient sévère et spectaculaire, au fur et à mesure que l’on grimpe une série de lacets impressionnants. Les camions sont nombreux et la route est excellente car il s’agit de la principale liaison Argentine-Chili. Nous frayons désormais notre passage entre des parois de roches ignées que l’on sent tout droit sorties du centre de la terre. Le col de Los Libertadores est à 3’500m, mais nous empruntons un tunnel creusé en contrebas à 3’175m pour déboucher du côté argentin. C’est alors que le temps d’un instant une perspective s’ouvre au nord sur l’Aconcagua, le toit des Amériques, qui culmine à tout juste moins de 7’000m. A cette saison, il est à peine couvert de neige, et pour cause, le paysage qui nous entoure est d’une aridité certaine. Ont alors lieu les formalités. Après quelques tampons supplémentaires dans le passeport et un contrôle des bagages fantaisiste (nous voici de retour en Argentine…), nous entamons la descente, plus douce et progressive de ce côté-ci, pour arriver à 750m d’altitude dans l’après-midi. Nous sommes en pleine région viticole, et avant tout du Malbec, mais là n’est pas le but de notre visite. Aussi, après un petit tour dans le centre-ville de Mendoza, la principale cité de l’ouest argentin mais qui ne nous fait pas grande impression, nous voici de nouveau dans un bus cap au nord.
Dimanche 15 mai – Après une route de nuit un peu mouvementée par le ronflement du voisin ou encore les pleurs du bébé de la voisine, nous arrivons quelque peu groggys à Tucumán, San Miguel de son prénom, grande ville du nord-ouest argentin, où il fait un temps maussade. Bien que nous voyageons depuis 24 heures, nous ne sommes pas en reste, et c’est un troisième bus d’affilée que nous attrapons. Nous allons cette fois-ci remonter vers la cordillère, car nous ne sommes plus qu’à 430m d’altitude. Le début du trajet se fait dans la brouillasse, et la route devient très sinueuse, alors que le bus grimpe en lacets dans une végétation luxuriante. Nous nous faisons ainsi une idée des Yungas, ces vallées qui tombent de l’Altiplano plus au nord vers les forêts tropicales. Et quelle n’est pas notre suprise, presqu’au détour d’un virage, de découvrir le soleil brillant et les sommets enneigés dans le lointain. L’humidité reste bloquée le long de ces contreforts andins, et en moins d’un kilomètre, nous passons dans un tout autre monde. Le bus emprunte alors la vallée de Tafí, encadrée par les Sierras del Aconquija et les Cumbres Calchaquíes. Le paysage est grandiose, nous sommes collés à la fenêtre, tandis que l’on monte encore un peu dans la très large vallée pour passer l’Abra del Infiernillo, le col à plus de 3’000m qui nous permet de rejoindre les Valles Calchaquíes – on ne se rend d’ailleurs pas compte de l’altitude à laquelle on roule. Nous sommes ici encore stupéfaits, non seulement du soleil et du ciel densément bleu qui nous surplombe, mais aussi par l’aridité de cette nouvelle région, par la largeur de la vallée, et par la petitesse du ruisseau qui la parcourt. En arrivant à Cafayate, à un peu moins de 1’700m, la vallée est tapissée de vignobles, que l’automne pare de couleurs sublimes, allant du vert au pourpre, en passant par toutes les teintes dorées et rousses. Cafayate est connue comme la patrie du Torrontés, un cépage blanc qui produit de très bons vins, et l’on s’en délecte donc avec le dîner.
Lundi 16 mai – Mais Cafayate (prononcer “Cafachaté”) offre aussi d’autres charmes, comme son petit centre-ville tranquille où il fait bon flâner aux alentours de la place centrale. Nous nous cultivons un peu à propos des civilisations andines, en visitant le musée archéologique de Cafayate. Tout en admirant cette énorme collection privée d’artéfacts strictement locaux, nous avons discuté avec l’épouse de Rodolfo Bravo, l’homme qui avait rassemblé toutes ces pièces. L’influence Inca est très faible, car la région était habitée par les Diaguita-Calchaquí, qui ont résisté à la poussée impériale qui se faisait par les hauteurs. C’est vrai qu’à 1’700m on est en fait relativement bas, tandis que les Incas se déplaçaient dans la Puna, les hauts-plateaux hostiles qui s’étendent sur encore 200km en direction du Chili. Mais nous ne disposons pas du temps pour aller explorer cet extraordinaire no-man’s-land, ni même pour poursuivre dans la vallée plus reculée du Río Calchaquí. Aussi nous contentons-nous donc de découvrir la non moins spectaculaire Quebrada de Cafayate. En redescendant vers la plaine, la rivière a creusé un canyon aux superbes formes et couleurs. Le vent s’y engouffre dans l’après-midi, faisant virevolter le sable en bourrasques violentes, si bien que les alluvions que l’eau avait emporté vers le bas se retrouvent transportés en amont. Alors que le jour décline et que la lumière s’adoucit, nous découvrons des formations incroyables : ici un empilement de roches de couleurs différentes, tranchées telle une génoise pétrifiée, là un piton rocheux solitaire, ici encore des grottes d’argile rouge, que l’on dirait prêtes à s’effriter, ou enfin l’Anfiteatro, une belle crevasse circulaire et à l’accoustique parfaite, creusée par une cascade disparue il y a longtemps. Que de paysages somptueux, et auxquels on ne songe pas lorsque l’on pense à l’Argentine ! Quel contraste avec Buenos Aires ou Ushuaia, pourtant dans le même pays ! C’est tout émerveillés que nous redescendons à Salta, à près de 1’200m. Le temps de trouver notre gîte pour la nuit et nous sommes véritablement lessivés car en plus il est bien tard.
Mardi 17 mai – Il ne faut pas quitter Salta avant d’avoir fait un tour en centre-ville, car il s’agit d’une ancienne cité coloniale et la place centrale est entourée de jolis édifices, en particulier la cathédrale. Mais nous nous sommes offerts une grasse-matinée, et il faut donc se hâter. Nous ne faisons de pause en passant à Jujuy (prononcer “Rourouille”, San Salvador de son prénom, située à 1’250m) que le temps de trouver notre bus suivant. Cette fois-ci, c’est pour de bon, nous attaquons la montée de la Quebrada de Humahuaca, cette entaille qui descend droit de l’atiplano vers le bas. En la remontant, il nous faudra nous acclimater à l’altitude, et notre première étape sera Purmamarca, à 2’320m. Ce petit village est surplombé par le Cerro Siete Colores, la montagne aux sept couleurs, un bout de roche multicolore surgi de la vallée. Du rouge ocre au violet en passant par le rose clair, la palette du peintre détonne avec les roches environnantes parfois verdâtres, et parsemées de cardones, ces cactus géants. L’ambiance du village est sympathique, et après une petite marche autour du Cerro, nous voici réallement affamés, n’ayant pas eu le temps de déjeûner. Malheureusement il faut attendre pour que les restaurants ouvrent. Heureusement, nous sommes récompensés de notre patience non seulement par de très bons plats régionaux, mais aussi par un concert de musique locale réellement envoûtant. Après une journée de nouveau bien fatigante, nous nous empressons de sombrer dans un profond sommeil.
Mercredi 18 mai – Le réveil matinal est un peu rude, car il n’y a pas de chauffage ni d’eau chaude dans notre petite chambre. Heureusement, la construction en adobe limite le refroidissement nocturne. Nous voici donc d’attaque au lever du soleil pour grimper une demi-heure en face du village. C’est de là que nous admirons les premiers rayons de soleil sur le Cerro Siete Colores tout en prenant notre petit-déjeûner. Le temps de redescendre, d’admirer la jolie église Santa Rosa de Lima à la charpente en bois de cactus, et nous voici prêts à poursuivre en bus. Nous parcourons la Quebrada de Humahuaca en direction de la petite ville du même nom, en faisant connaissance avec Caroline et Benoît qui descendent eux à Tilcara pour l’après-midi et que nous retrouverons pour dîner ce soir. Le paysage est sublime, la roche changeant de couleur sans cesse, et la vallée s’élargissant au fur et à mesure que l’on monte. Les navigateurs que nous sommes ne manquent pas de remarquer au passage un discret panneau intitulé Tropico de Capricornio, qui signale notre retour (temporaire) sous les tropiques. Pendant ce temps, Fleur de Sel patiente tranquillement par 38°50’S… Elle a déjà eu droit à sa navigation dans les Andes, mais cette fois-ci, par presque 3’000m d’altitude ce serait un peu difficile pour elle… Car nous arrivons désormais à Humahuaca, sous un soleil radieux, et nous commençons à sentir les effets de l’altitude. L’air se raréfie, le soleil tape plus fort, il fait plus froid. La petite ville est coquette, et nous visitons ici encore la jolie église décorée de bois de cactus et un joli beffroi surmonte le Cabildo, l’hôtel de ville.
Jeudi 19 mai – Après une semaine de voyage au pas de course, nous faisons maintenant notre palier de décompression, aux sens propre et figuré. Un bon repos nous permet de ne pas précipiter notre arrivée sur l’altiplano, qui toise le Pacifique de 4’000m. Ce serait dommage d’avoir le mal des montagnes. Une petite pause permet aussi de profiter de la douceur de vivre de ce petit coin enchanteur, où l’on sent nettement l’influence bolivienne aussi bien par les motifs des tissus, que par la musique, ou par la vente de feuilles de coca. Un petit détour au musée archéologique permet ici aussi d’en apprendre plus sur les Omaguaca, les habitants précolombiens de cette vallée – on y voit notamment deux momies très bien conservées. Enfin, côté intendance, coiffeur, lessive et Internet sont à l’ordre du jour à Humahuaca, avant de franchir la frontière bolivienne demain.
One Reply to “De Valdivia à Humahuaca”
Heureux de vos nouvelles! Bonne decompression!
Que le Seigneur vous protège et vous garde.
Bises de toute la famille. Bruno et Helgard