Pause à Rikitea
Rikitea, nous vous l’avons déjà dit, est le village principal (le seul, en fait) de l’île de Mangareva. C’est là que nous sommes venus mouiller, dans cette baie exposée à l’est mais si bien protégée des alizés par un dédale de coraux affleurant. C’est aussi là que nous avons mis le pied en Polynésie Française, et que nous y avons découvert le « stress mangarévien », celui qu’on évoque le sourire en coin. C’est-à-dire que nous y succombons petit à petit à la douceur de vivre. Mais dans un premier temps, nous avons tout de même été pas mal actifs car c’était la fin d’une très longue traversée.
Chose rarissime, deux navires étaient à Rikitea, deux navires que nous avions tous deux vus à Pitcairn. Le Claymore II dessert justement la petite île isolée au départ de la Nouvelle-Zélande, mais en passant par Mangareva pour prendre d’éventuels passagers. L’Aquila, au contraire, n’est pas un habitué des Gambier. Nous faisons connaissance de son équipage un peu au hasard, en allant demander si nous ne gênerions pas lors de leur manœuvre de départ. Nous sommes invités à bord et Tanner nous offre la visite guidée. C’est en fait un bateau familial, qui pêchait habituellement le crabe en Alaska au départ de Seattle, et qui termine maintenant une expédition de dératisation dans trois archipels du Pacifique, dont Henderson dans celui de Pitcairn. Il sert de plateforme aux hélicoptères qui déversent des granules de poison, et nous voyons maintenant les aéronefs aux pales démontées enfournés dans des containers ! Restant encore un peu, nous faisons la connaissance de Kale, le capitaine et d’Anji, sa femme et officier en second. Tanner est leur fils, et tout comme sa sœur, il a grandi à bord. Pour les remercier de leur hospitalité nous les invitons à boire un verre chez nous.
Echange de bon procédés, eux nous apportent de jolies photos de Fleur de Sel louvoyant le long de Henderson et nous posent de nombreuses questions sur notre voyage car ils envisagent de faire de même une fois à la retraite. Leur générosité nous comble, car nous sommes priés de venir faire nos lessives à bord d’Aquila. Il va sans dire que nous en avons une quantité plus que symbolique : deux mois de linge à laver, moins les quelques machines effectuées à Rapa Nui. Non contents de nous rendre cet énorme service, leur mission étant terminée et leur garde-manger comportant bien plus qu’il n’en faut, ils nous invitent également à venir piocher et nous servir de tout ce dont nous aurions besoin comme épicerie. De tout ce qui nous ferait plaisir, même, et la perspective du sirop d’érable nous convainc. Finalement nous reviendrons chargés de deux sacs Ikea pleins ! Nous pourrons encore prendre une bonne douche, et récupérer de nombreux fruits. L’équipage nous cède même deux T-shirts de Pitcairn pour faire passer notre déception de ne pas avoir réussi à y débarquer. Pour remercier Gromiko, membre d’équipage micronésien, Heidi lui offre un petit pendentif en nœuds tressés. Mais il revient deux minutes plus tard avec un pendentif en noix de bétel en retour. Décidément, lors de ces premiers jours, nous nous serons fait couvrir de cadeaux sans pouvoir vraiment donner en retour ! Aquila quitte Mangareva quatre jours après notre arrivée, et nous sommes sur le quai pour larguer leurs amarres. Adieu et mille mercis !
Magalyanne est aussi au mouillage à Rikitea. Ils sont arrivés de Rapa Nui avec une semaine d’avance sur nous, mais sans arrêt intermédiaire, et ont déjà rencontré plusieurs personnes, dont Jean-Pierre qui est tahitien. Nous passons avec Marie-Christine et Jean-Luc encore quelques soirées agréables, dont la dernière restera mémorable. Alors que nous nous mettons à table, Jean-Luc nous invite chez eux pour écouter Jean-Pierre et quelques copains jouer des chansons tahitiennes. En plus, il vient nous chercher en va’a, la pirogue polynésienne à balancier. Nous mangerons notre dîner à leur bord, dit-il. Difficile de refuser et nous voilà partis pour notre première expérience de va’a, le dîner dans un tupperware. Elle durera en tout et pour tout dix secondes, jusqu’au premier coup de pagaie qui retourne le va’a en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire. Adieu dîner, adieu aussi appareil photo (le compact, heureusement !). Au moins, les chants seront très sympas, à moitié en tahitien, à moitié en français, et qui évoquent le coprah, le service militaire en métropole et toutes sortes d’éloignements de la bien-aimée.
Pendant ces premiers jours, nous n’avons donc pas beaucoup rencontré de Mangaréviens, et pas beaucoup exploré cette jolie île accidentée. Nous avons seulement fait connaissance d’Hélène et Tepano, amis de l’équipage de Schnaps. L’accueil est tout aussi généreux que celui des marins américains : Tepano nous trouve plusieurs pamplemousses pendant qu’Hélène sort un billet de 10’000 francs pacifiques en attendant que l’on puisse obtenir de l’argent. Cela représente tout de même 80€ donnés comme cela à d’illustres inconnus. Et puis en repartant, tenez, prenez un peu de poisson ! En fait, à chaque fois ou presque que nous rendrons visite à Hélène et Tepano, nous aurons droit à un morceau de thazard ou de thon rouge, car Tepano est pêcheur. D’autres fois, Hélène travaillant dans une ferme perlière, nous aurons droit à du corori, de la chair ou du muscle de nacre. Comme nous l’apprendrons en les aidants un soir à les détacher du reste du contenu de l’huitre, il ne s’agit que d’une petite partie de celle-ci. Son goût et sa consistance se rapprochent beaucoup des coquilles St-Jacques, et on peut les manger crues à l’huile d’olive et au citron, tout juste saisies à la poêle, ou encore mijotées. Nous voici donc en train de découvrir l’art de vivre polynésien…
Le vent étant tombé, le mouillage de Rikitea s’est donc apaisé, car s’il est très bien abrité de la houle il est tout de même un peu clapoteux lorsque ça souffle sec de secteur est. Nous en profitons donc pour nous dégourdir les jambes plus longuement, car nous n’avons pour l’instant fait que gravir le belvédère qui surplombe le village. En route pour le tour de Mangareva. Enfin, d’une grosse moitié nord de l’île tout au moins. Nous partons dès le jour levé car la balade sera facile mais longue. 7 heures plus tard, nous voici de retour à Rikitea après avoir visité les nombreuses anses dans lesquelles sont installées la plupart des fermes perlières. Quelques jours plus tard, nous montons à l’assaut de l’Auorotini, plus connu sous son nom occidental de Mt Duff, qui domine l’archipel du haut de ses 441 mètres. La montée est raide mais à l’abri du soleil, et la vue du sommet est splendide. L’anneau irrégulier du récif est bien visible au loin, par endroits simplement parce que la houle lève et brise, ailleurs d’importants motus émergent et sont couverts de cocotiers. A l’intérieur du lagon, les îles hautes de l’archipel : Taravai et Agakauitai à l’ouest, Aukena à l’est, Akamaru au sud-est et Kamaka loin au sud. Partout, de manière aléatoire, des taches turquoise viennent éclaircir le bleu profond et indiquer au marin les profondeurs moindres. Et en marron c’est le corail, en récifs allongés, ou en « patates » isolées.
Quelques nouvelles journées bien ventées font danser Fleur de Sel. Alors que nous sommes plus souvent à bord nous en profitons pour avancer notre liste de petits travaux à faire. S’y trouve notamment du câblage, pour remplacer le fil électrique des feux de tête de mât et celui du pilote automatique. Heidi passe plusieurs journées à recoudre le lazy-bag, qui commençait à fatiguer. Et puis, grâce à Bernard et Françoise, qui naviguent à bord de Pitcairn, nous avons reçu le colis que nous attendions. Il contient un multiplexeur NMEA de rechange, le précédent avait rendu l’âme il y a près de 7 mois. A peine reçu, il est réinstallé, ce qui permet d’éliminer les multiples câbles temporaires à la table à carte. Sans ce petit boitier d’interface, nous avions du bricoler un peu pour que les appareils électronique échangent les informations, pour que la VHF puisse recevoir la position GPS et l’envoyer en cas de détresse notamment. Nous profitons de revenir à notre installation initiale pour l’améliorer, en envoyant maintenant les informations du GPS sur le pilote automatique dans le cockpit, et celles du pilote et du loch-sondeur à la table à carte.
Puisque le temps est de nouveau beau en ce dimanche, Hélène et Tepano passent donc nous prendre tôt le matin avec la « Tepanette », le bateau de pêche de Tepano. En route pour Taravai ! En fin de trajet nous admirons la manœuvre de Tepano pour franchir les hauts-fonds entre l’île principale et Agakauitai, en slalomant dans le corail. Nous rejoignons Pitcairn au mouillage, avant de débarquer et faire la connaissance de Denise et Edouard, qui habitent là, et de Tevaite, leur petite-fille d’un an dont ils ont actuellement la garde. Le repas de midi sera un festin de poisson cru, de poulet local et de gâteaux. Nous revenons chargés de fruits et de légumes, après avoir passé un moment d’amitié simple et bon enfant. Vraiment, la vie est agréable par ici. Au retour, nous faisons un arrêt sur la côte est de Taravai, où Tepano nous montre l’ancien village de son enfance. L’église en corail chaulé subsiste tant bien que mal, mais sa blancheur éclatante tranche sur la végétation abondante qui l’entoure. Joli petit coin, ou nous espérons avoir le temps de revenir.
C’est que le temps file, à Rikitea. Nous y profitons par exemple de pouvoir aller acheter du pain frais le matin (sur commande uniquement). Nous assistons aussi à la venue du Taporo, puis du Nuku Hau, les deux « goélettes ». Ces navires ne marchent plus à la voile comme le nom le laisserait penser, mais l’usage subsiste et c’est ainsi qu’on continue d’appeler les petits cargos qui approvisionnent les îles. Lorsqu’ils sont là, le quai habituellement désert ou presque devient une fourmilière où s’activent nombre de gens. Chacun vient y récupérer un colis, y embarquer un paquet à destination de la famille à Papeete, ou aider à charger quelque chose de volumineux dans le pick-up de quelqu’un. Ils sont deux bateaux toutes les trois semaines, mais de compagnies différentes, qui ne s’accordent donc pas sur le planning, et nous les verrons débarquer à Rikitea à deux jours d’intervalle. Si l’on a besoin de quelque chose, à part ce qui peut venir par avion (deux fois par semaine), il faudra attendre la goélette suivante, dans 3 ou 4 semaines. Tel est le rythme du ravitaillement des Gambier.
Mais finalement, et c’est ce qui nous émerveille peut-être le plus, mis à part des produits manufacturés ou des matériaux, on n’a pas besoin de grand-chose, car on trouve presque de tout ici. Heureusement, d’ailleurs, car la vie est très chère et le tarif des produits importés est prohibitif, du moins à long terme. Les fruits poussent partout, et si c’est maintenant la fin de la saison des citrons et des pamplemousses, ce sera bientôt celle des bananes. Et avant que nous n’arrivions, on pouvait trouver des avocats, des mangues ou d’autres fruits encore. Les légumes sont plus rares, même si certains réussissent à faire pousser des tomates, des poivrons ou des potirons. Surtout, les poulets sont partout ! On les entend dans les moindres recoins de l’archipel. Enfin, il y a le poisson, qui ne manque pas. Celui du lagon est atteint de ciguatera, et à de rares espèces près, on ne peut donc pas le manger. En revanche, si l’on sort du lagon, il n’y a pas de problème pour attraper du gros poisson. C’est ce que Tepano m’emmène faire tôt un matin. Malheureusement, la pêche n’est pas fructueuse, car nous ne rentrerons qu’avec quatre thazards et un petit thon. Mais cela fait tout de même 57 kilos de poisson qui seront vendus à la cantine de l’école.
Pays de cocagne que ces îles du Pacifique Sud, où on peut se nourrir relativement facilement. Le tout dans un cadre somptueux. Pour un peu, on se laisserait presque tenter à prolonger notre séjour. Cela fait d’ailleurs plus de deux semaines que nous traînons à Rikitea, et il est maintenant temps de bouger pour aller visiter d’autres îles, à commencer par Akamaru. C’était du moins ce qu’on se disait depuis plus d’une semaine, lorsqu’on a enfin réussi à lever l’ancre…
2 Replies to “Pause à Rikitea”
Nos grandes salutations et nous vous embrassons très fort, Edouard et Denise
;o)
Le dernier paragraphe ne nous surprend pas du tout !! Vous verrez quand il faudra partir pour de bon, si jamais vous y arrivez :o)