Tahiti – Mo‘orea … et retour
Un grand plaisir que cette traversée. Du largue, tout du long, pas un grain, pas trop de vagues, c’était très agréable. Fleur de Sel a tellement tracé – particulièrement sur le début du parcours, où elle a avancé de 78 milles en 12 heures, et même plus de 21 milles en 3 heures – qu’on s’est retrouvé un peu en avance à Tahiti, après une quarantaine d’heures de mer. C’est donc dans à la lueur de la Lune qu’on a deviné dans la nuit la masse de l’île, non pas noire mais blanche, enveloppée de nuages tandis qu’il faisait beau par ailleurs. Nous avons donc poursuivi un peu au sud de la Presqu’île pour empanner à l’aube, le tout afin d’arriver au niveau du récif après le lever du soleil. Heureusement la passe de Vaiau est bien balisée car la houle brise avec violence et forme des rouleaux impressionnants. C’est un spectacle grandiose et malgré les vagues qui déferlent de part et d’autre, nous nous faufilons en sécurité au travers de cette entaille qui mène vers deux bassins profonds et bien protégés.
Vers l’est, le Bassin de Vaiau, et vers l’ouest, le Port du Beaumanoir, vers lequel nous pointons notre étrave. Deux milles plus loin l’ancre vient se loger dans un fond de 15m et c’est l’heure de la sieste ! C’est vendredi, et rien ne sert de se précipiter, puisque on n’arrivera plus à faire grand-chose avant lundi. Autant passer le week-end sur la Presqu’île ! Car il faut bien l’avouer, c’est tout de même l’un des plus jolis coins de l’île, loin de la bruyante et congestionnée Papeete. Nous profitons donc des jolis paysages de triangles verdoyants pieds dans l’eau, surmontés de pics plus élevés encore, et qui viennent souvent se masquer dans les nuages. La houle vient souligner l’horizon d’un rideau blanc en perpétuel mouvement sur le récif, et on est surtout captivés par son grondement qui nous accompagne nuit et jour. Le lendemain de notre arrivée, nous changeons d’endroit, vers le Bassin de Vaiau, et c’est l’occasion d’admirer encore le paysage exceptionnel qui défile devant nos yeux. Lagon, montagne, récif, vallées, tout vient se mêler sur une étroite bande côtière. Contrairement au reste de Tahiti, elle est encore bien préservée, puisque la route ne vient pas jusqu’ici : elle s’arrête à Teahupoo, célèbre pour sa vague de surf, à quelques milles d’ici. Nous sommes donc tranquilles, car seuls quelques speedboats parcourent le lagon, ainsi que le bateau-bus. Dimanche matin, avant de reprendre la route, nous débarquons pour aller voir la grotte Vaipoiri. Nous avons de la chance : un groupe d’une pension de famille s’y rend justement, et nous propose de nous joindre à eux. C’est parfait, car il faut avouer qu’autrement, nous aurions sans doute eu du mal à trouver le chemin ! C’est un peu le problème à Tahiti : les promenades ou randonnées merveilleuses semblent ne pas manquer, mais elles sont le plus souvent inaccessible à qui ne connait pas, car non signalées et non balisées.
La semaine à venir s’annonce superbe, beau temps sec, très très peu d’averses, c’est parfait. Alors que nous remontons vers Port Phaéton, la baie la mieux protégée de Tahiti, les surfeurs attendent la vague près de la passe, les speedboats parcourent le lagon et les plages sont bondées. C’est dimanche après-midi, et tout le monde profite du beau temps. Nous aussi, dès le lendemain matin : après avoir fait les courses à Taravao, nous entrons dans la marina de Port Phaéton pour quelques jours qui s’avéreront durer une semaine. Nous déposons ainsi notre annexe à faire réparer (le plancher se décolle dangereusement, et contrairement à une maison, une annexe pieds-dans-l’eau n’est pas enviable), nous récupérons plusieurs colis dont un qui nous permet (enfin !) de réparer notre gazinière dont les paliers de cardan étaient dangereusement usés. Mais surtout, la semaine que nous passons à Taravao – endroit que nous connaissons bien, puisque c’est là que nous avions laissée Fleur de Sel à Noël et que nous avons refait la peinture de coque – est employée à terminer un peu l’entretien du bateau. Enorme rangement et inventaire, avec bazardage de plusieurs articles qui ne nous servent pas ou qui sont trop usés, nettoyage poussé des cales et des nombreux recoins du bateau, fabrication de nouvelles lattes d’annexe (avec enduit de résine époxy), et enfin réfection des passavants et du cockpit, où nous ponçons et saturons les bancs en bois et le revêtement de pont en liège. Voilà encore une semaine passée à quai, et dont nous n’avons finalement pas profité en terme de loisirs. Mais Fleur de Sel en ressort toute belle et propre ce qui est une grande satisfaction !
Pour fêter ça, nous organisons d’abord une célèbre soirée-crêpe de Fleur de Sel pour nos amis Jocelyne et Patrice qui finissent de mettre Imaqa en état d’hivernage (et qui nous approvisionnent avec des tonnes de surplus d’épicerie et de conserves, merci !) et nos voisins Karine et Gilles qui vivent à bord d’Archimède avec leur petite Lilie. Et le lendemain nous remettons les voiles histoire que Fleur de Sel ne s’enlise pas. Cap sur Moorea, directement. On fait l’impasse sur la côte sud de Tahiti, qui nous inviterait bien à y séjourner quelques nuits, mais quel plaisir de retrouver la petite sœur Moorea, que nous avions tant aimée il y a quelques mois. Nous franchissons facilement la Passe Teruaupu juste au coucher du soleil, il était temps, le vent n’ayant pas été franchement coopératif. Le matin de mon anniversaire, un paysage sublime nous attend au réveil, tandis que la douce odeur des bonnes brioches préparées par Heidi vient me titiller les narines ! Miam…
Tant que le temps est encore correct, nous faisons encore quelques milles, pour passer du SE au SW de l’île. Dans les deux cas nous sommes seuls au mouillage, tous les autres voiliers s’installant dans les deux baies du nord. Nous profitons donc du plaisir d’avoir jeté l’ancre sur le platier de sable le long du récif. On ne se lasse ni du grondement de la houle ni des extraordinaires rouleaux qui viennent mourir glorieusement ici après un long parcours. Repos après une fatigante semaine de travail, promenade en kayak vers le récif et face à la puissance des brisants, snorkeling sur les tombants et les patates de corail sont au programme. Mais nous voulons aussi vraiment atteindre le Col des Trois Cocotiers, situé au fond de la vallée de Vaianae. Il donne sur l’intérieur de l’île et sur les Baies d’Opunohu et de Paopao, avec une vue somptueuse sur le cirque entier de l’ancien cratère du volcan de Moorea.
Le début du chemin n’est pas compliqué, il nous faut juste réussir à débarquer en kayak, plus facile à dire qu’à faire. Mais nous voici en route et après quelques kilomètres, nous atteignons la « Maison de la Nature », une ferme qui accueille les écoliers en classe verte. Deux panneaux (chose rarissime ici !) nous indiquent « Col des Trois Cocotiers » et « Col des Trois Cocotiers par les Arêtes de Haapiti ». Evidemment, nous nous lançons sur le deuxième sentier, pas trop mal tracé, contents de pouvoir faire une boucle. La montée est rude par moments, surtout lorsqu’une averse vient rendre les pierres bien glissantes. Les arêtes ne sont heureusement pas trop vertigineuses, et offrent une belle vue sur les vallées de Vaianae et de Haapiti. La montée se poursuit, bien plus haut que le col, pour passer au pied de la paroi verticale du Mont Mouaroa, la dent de requin. C’est après que l’affaire se corse encore : alors que nous atteignons le bord du cratère, impossible de repérer la suite du chemin. Après une pause, et en refaisant le chemin encore et encore, on finit par le trouver, qui descend sur le versant nord, et qui part vers l’ouest. Il faut y croire, car nous voulons redescendre sur le versant sud et plus à l’est. Pourtant, c’était bien ça, heureusement, car nous souhaitions de tout cœur ne pas devoir repasser sur les pierres glissantes du chemin que nous venions de faire. Finalement, sur les trois cocotiers du col, il n’en restait qu’un seul vrai. Les deux autres ont du être emportés par le vent un jour, et il semble que deux jeunes ont été plantés pour tenter de les remplacer dans quelques années. Le chemin de la descente n’a pas posé problème, il était même jalonné de pancartes qui nous apprenaient le nom des arbres et des fougères. Mais comme il était tout de même bien moins passionnant, nous étions contents d’être passés par les arêtes à l’aller, malgré la fatigue supplémentaire.
Seul bémol, le temps était tout de même nuageux et la vue immaculée du sommet était quelque peu embrumée. Nous n’avons pas eu de chance avec le temps, nous disions-nous. Du moins jusqu’à ce que dans le kayak, en chemin vers Fleur de Sel une énorme pluie battante nous tombe dessus, avec l’orage qui tonne tout proche et la visibilité réduite à quelques dizaines de mètres. Finalement, ce n’était pas si mal ! Et nous aurons eu droit à un double bonus puisque non seulement notre promenade de 3h s’est transformée en randonnée de 6h, mais en plus nous avons eu la douche gratuite à la fin ! Le passage de mauvais temps annoncé a fini par nous rattraper, et nous le laissons donc se déchaîner (en douceur) sous forme de grains, rafales, averses, etc.
Puis, ayant envie d’avancer un peu, et ayant eu la visite de la police municipale, qui voulait nous informer à propos du PGEM, nous avons décidé d’avancer. PGEM, dites-vous ? Plan de Gestion des Espaces Maritimes. Une bonne idée, qui vise à ce que tous puissent profiter du lagon en harmonie, aussi bien les touristes en vacances, que les locaux qui pêchent et que les voiliers de passage. Enfin… cette dernière mention reste toute théorique. Car si bien évidemment les hôteliers défendent bec et ongle leurs zones de mouillage interdit (ce qui assure une expérience balnéaire irréprochable à leurs clients), en revanche lesdits clients ne se privent pas pour passer au milieu des zones de mouillage en jet-ski alors que le chenal est juste à côté. Et si on nous demande, conformément au règlement prévu, de ne pas mouiller plus de 48h en dehors des zones de mouillage prolongé (qui sont ridiculement petites et surtout peu nombreuses), en revanche personne ne semble vérifier que les speedboats ne dépassent pas la vitesse limite de 5 nœuds prévue dans le lagon. Bref, les marins rapportent moins que les touristes et ceux qui sont ici aujourd’hui ne seront pas là demain, donc autant rogner à leurs dépends, c’est un peu l’impression qu’on en retire.
Après une bonne navigation rafraîchissante (20 nœuds d’est, ponctués de grains bien pluvieux et contre lesquels remonter au vent n’est pas spécialement le talent de Fleur de Sel), nous mouillons dans la Baie d’Opunohu, où en novembre dernier nous avions déjà tant apprécié le paysage. C’est un bon endroit pour attendre que le vent se calme un peu, que le temps repasse au beau, le tout en ayant un accès à Internet pour préparer la suite. L’annexe doit être prête, notre nouvelle VHF nous attend, après encore un petit snorkeling qui ne vaut vraiment pas ceux des Tuamotu, en route pour Papeete.
Nous connaissons aussi la grande ville, même si nous l’avions évitée autant que faire se peut. Mais nous visons maintenant le mouillage de la Marina Taina, ou de Maeva Beach, ou du lagon de Punaauia. Bref, c’est compliqué, il n’a pas vraiment de nom précis, et de toutes les manières ici aussi les autorités semblent vouloir se débarrasser de ces encombrants navigateurs. Il faut dire qu’ici c’est vraiment hallucinant tant il y a de bateaux. Cela faisait au moins 18 mois, voire plus que nous n’avions pas vu un mouillage si bondé. 17m de fond en plus, et on doit s’y reprendre à quatre fois pour trouver un endroit où mouiller nos 60m de chaîne à peine sans risquer trop de dégommer un voisin. Il faut dire que durant notre deuxième nuit dans ce mouillage, le vent a fait une rotation complète. Le vent de NE est tombé, et un grain de secteur sud nous est tombé dessus. Sur presque tous les bateaux on devinait aux lampes torches quelqu’un à l’affût, tandis que d’autres allumaient leur projecteur de pont pour lever l’ancre qui dérapait sans doute. Pas très reposant. Mais il y a Carrefour… Eh oui, à quelques centaines de mètres, et avec des caddies que l’on peut emmener jusqu’à la marina, tout le monde vient faire son gros avitaillement ici, et nous ne faisons pas exception. Les prix sont chers, et nous nous y sommes presque habitués, encore que pour certains produits cela soit particulièrement abordable (pour la Polynésie Française, évidemment). Mais au global, il faut l’avouer, nous ne trouvons pas cette solution si extraordinaire que cela. A Fare sur Huahine, à Uturoa sur Raiatea, ou même à Taravao, cela nous a semblé plus commode.
Mais ce retour à Tahiti est aussi motivé par notre annexe, qu’il nous faut récupérer chez Nautisport. Espérons que le recollage tiendra bien et longtemps, car nous avons du payer les yeux de la tête pour faire faire ce travail impossible pour nous (il fallait faire sécher la colle en température et hygrométrie contrôlée). Nous avons aussi pu récupérer notre nouvelle VHF (également payée à un prix sympathique), qui vient remplacer la précédente tombée en rade à l’âge sénile de trois ans (vive l’électronique en milieu marin…) Mais il faut avouer que c’est un grand bonheur de la voir fonctionner sans problème, après dix mois passés à utiliser la VHF portable qui demande une recharge de piles tous les jours ou presque… Et puis, et puis, il nous restait à faire le plus drôle, le plus intéressant et le plus utile. J’ai nommé le passage obligé des formalités.
Les guides nautiques et les récits de navigateurs louent souvent la simplicité et la facilité pour faire faire les papiers. Tout est dans la même cahute situé sur le port de Papeete, c’est simple comme bonjour, il n’y a rien à faire. Oui, mais déjà en novembre nous avions bien vu que la douane ne maintenait plus de présence dans cette cahute, et qu’il fallait se rendre de l’autre côté du port, à la direction régionale. Sans parler du fait que les douaniers ne sont pas capables de donner de réponses claires et précises. Mais l’essentiel est de le savoir et nous avons la journée entière ou presque ! Arrivés à la petite cahute, surprise : contrairement à ce que nous avions vu au mois de novembre, la capitainerie (qui doit nous délivrer la clearance internationale, c’est-à-dire l’autorisation de quitter le port) a déménagé dans la nouvelle gare maritime. Ah, la fameuse gare maritime, qui fait un tabac dans les conversations polynésiennes en raison de son coût pharaonique, de sa conception foireuse et de son utilité… discutable. Bref, une chose est certaine, et pas seulement à cause des formalités : nous sommes en Polynésie FRANCAISE. Sur la porte voisine, nous apprenons qu’à partir du 29 mai, la Police aux Frontières déménage elle aussi et qu’il faudra se rendre à Faa’a, à l’aéroport. Tiens, nous sommes le 29 mai… Ca se présente bien !
Mais ne soyons pas pessimistes, car la Capitainerie nous délivre la Clearance en l’espace d’une dizaine de minutes, nous trouvons une voiture qui nous prend en stop jusqu’à la douane, le douanier est moins illuminé que les deux fois passées et nous vise les papiers sans coup férir (et appose même son cachet là où son collègue de la douane en uniforme a la flemme de le faire sous le prétexte fallacieux que ce n’est pas nécessaire – traduire qu’il avait un creux à l’estomac), et arrivés en bus à l’aéroport les policiers aux frontières bien que disant eux aussi que leur tampon n’est pas indispensable consentent néanmoins à l’appliquer sur notre sésame. Bref, de retour à bord, nous sommes en règle pour continuer notre croisière dans les eaux polynésiennes jusqu’aux Iles Sous le Vent mais aussi pour continuer notre route vers le prochain pays. Ouf ! Mais à bien y réfléchir, non seulement je trouve révoltant que ces très sérieux fonctionnaires soient payés deux fois et demi de leur équivalent en France, mais en plus je dénoncerais bien ceux qui pour cause de pilosité abusive dans la main ont refusé de faire leur travail. Car ils ont beau dire que leur travail n’est pas nécessaire (alors qu’ils nous clament qu’ils sont en sous-effectif…), c’est simplement qu’ils n’ont que faire de ce qui se passe en aval. Certains équipages ont été amendés, voire emprisonnés, pour n’avoir pas pu présenter les bons documents lors de leur escale ultérieure !
Mais passons, passons, notre séjour polynésien a peut-être le mérite que nous tentons (ça ne marche pas encore toujours à 100% en ce qui me concerne, je l’avoue) de prendre ce genre de contretemps avec un peu plus de philosophie. Et il est justement temps d’aller retrouver les îles, leur douceur de vivre, leur temps qui s’écoule lentement, et qu’on peut consacrer à des choses importantes, comme rencontrer, manger, rire, naviguer, se promener, boire, nager, dormir, ou simplement admirer ce qui nous entoure.