De Nouméa à Ouvéa
Pour faire l’entrée dans le pays, nous avons mis Fleur de Sel à quai, à Port-Moselle. C’est d’abord basés là que nous allons découvrir (très rapidement) le centre-ville de Nouméa. Celui-ci est relativement compact, contrairement au reste de la ville qui s’étend loin et qui est donc hors-limites pour des piétons comme nous. Evidemment, nous ne pouvons pas nous empêcher de faire la comparaison avec Papeete, l’autre grande ville française du Pacifique, non pas pour noter les ressemblances mais bien les différences. Contrairement à la capitale tahitienne, où l’on n’oublie jamais qu’on est en Polynésie, à Nouméa il règne plutôt une atmosphère de France méditerranéenne. On la surnomme “Nouméa la blanche”, et c’est vrai que les descendants d’Européens y sont très nombreux. En rentrant dans une boulangerie, on pourrait en un instant se croire transporté à St-Genis ou à Auray. Baguettes, pains de campagne, pains aux raisins et autres pâtisseries sont strictement identiques à celles qui existent en “métropole”, et disposées vraiment pareil.
Ah oui, ce mot là, on l’entend souvent, la “métropole”. Pas dans la bouche de visiteurs comme nous pour qui la Nouvelle-Calédonie constitue véritablement un pays de plus sur notre route, pas dans la bouche non plus des locaux (Kanaks ou Caldoches) pour qui la mère patrie est bien le “Caillou”, mais surtout en rencontrant les (très) nombreux fonctionnaires en poste. Pour eux, nous sommes “outre-mer”, une affectation qui dure trois ou quatre ans dans leur carrière, par opposition à la “métropole”, où ils retourneront par la suite.
Allez, il y a quand même une similitude avec la Polynésie Française : ici on semble bien vivre. Les rues commerçantes du centre-ville sont une succession de magasins où l’on vend alternativement vêtements chics, téléphones portables et ordinateurs. Rien à voir avec les Tonga, ni même avec les Samoa. Les voitures garées en ville sont pour la plupart de rutilants 4×4 bien astiqués. On ne s’inquiète pas trop pour le niveau de vie des Calédoniens. Le vendeur d’un magasin informatique – nous achetons un nouveau Netbook, l’alimentation du précédent ayant rendu l’âme il y a quelques mois – nous explique que le nickel, cet “or vert” qui a longtemps fait la fortune du “Caillou”, n’arrive qu’en troisième position des revenus du pays, derrière les impôts et taxes et surtout derrière les injections massives d’argent de … la “métropole”.
On voit le résultat, du moins à Nouméa. Marinas, immeubles sur le bord de mer, quelques cocotiers qui sont penchés par le vent histoire de faire bonne mesure, et hop! on se croirait presque sur la Côte d’Azur. Il faut dire que le climat semble être un éternel printemps. Il fait bon la journée, avec des pics vers 25°, et tout juste frais le soir lorsque ça redescend vers 20°. En plus, les alizés assez violents dans l’après-midi s’essoufflent une fois le soleil couché. Après les grosses chaleurs samoanes et marquisiennes, et malgré des intermèdes un peu moins étouffants aux Iles de la Société et aux Tonga, ça fait du bien de retrouver un climat agréable à vivre. En plus, il fait aussi bien moins humide (ça on l’avait déjà deviné au changement radical de végétation), et c’est aussi bienvenu. Bref, tout cela nous semble bien plaisant, même s’il est vrai que nous jugeons sur une seule saison, la fin de l’hiver, et que l’été doit être tout de même plus chaud, moins venté, et donc parfois encore caniculaire.
En revanche, s’il est un inconvénient dont nous nous rendrons bien vite compte, c’est que fin août, la baignade est rude : l’eau de mer n’est qu’à 23°. Autant dire, même pour l’ours polaire que je suis habituellement, que c’est le choc thermique assuré lorsqu’on met le gros orteil dans l’eau. Voilà un an que Fleur de Sel flotte sur un océan à 26° au moins, voire à 28 ou 29°. Eh oui, ces températures nous paraissaient d’abord bien trop chaudes, même pas rafraîchissantes, et maintenant nous voilà hésitants à nous mettre à l’eau ! L’un de nos achats est donc un shorty pour Heidi, car il faut se l’avouer, nous sommes bel et bien “tropicalisés”…
Les achats, voilà ce que nous faisons pendant ces quelques jours. On retrouve des enseignes connues (Champion, Casino…), on refait quelques stocks pour pouvoir tenir un peu, et on s’offre de bons produits frais à consommer tout de suite. On découvre aussi les quelques accastilleurs locaux, bien achalandés et qui feraient pâlir ceux de Tahiti et Raiatea. Aïe aïe aïe, le portefeuille bien épargné ces derniers temps se sent subitement pris d’assaut. D’autant plus que les prix sont tout de même élevés (encore que pour une île du Pacifique, la Nouvelle-Calédonie nous paraitrait presque abordable).
La marina de Port-Moselle ne nous accorde que trois jours à quai. Après il faut laisser la place à d’autres nouveaux arrivants éventuels. Mais il faut dire que d’une part il y a une place énorme non utilisée dans le bassin, que d’autre part les bateaux locaux sont très nombreux à avoir leur place dans le port, et qu’enfin et surtout le ponton réservé aux visiteurs est en fait squatté par certains visiteurs “ventouses”, qui ne vivent même plus à bord, et par de nombreux bateaux charters. Une mauvaise gestion certaine, qui fait que les visiteurs doivent se charger eux-mêmes de trouver leur mouillage dans les baies voisines, elles aussi très encombrées. Avant de nous rendre dans cette cohue, nous préférons faire un petit tour “hors les murs”, histoire de découvrir les environs.
Cap d’abord sur l’îlot Ngé (aussi appelé îlot Larégnère), pour découvrir les beautés du lagon. Ce dernier est parsemé de très petits îlots entourés de récifs importants. Le snorkeling y est formidable, avec une quantité phénoménale de gros poissons. On voit qu’il s’agit d’une réserve et que personne n’a mis une flèche en travers de ces beaux spécimens ! C’est l’occasion aussi de rencontrer notre premier tricot rayé, un énergumène au venin fort peu sympathique, mais qui fort heureusement s’intéresse bien moins à nous qu’aux murènes. Mais l’îlot est petit: il offre une certaine protection du clapot, mais à marée haute la mer recouvre bien le récif et nous sommes quelque peu secoués pendant une partie de la nuit. Pour vraiment se reposer, nous nous rendons ensuite à l’abri de l’îlot Uéré, qui ferme la Baie de Ste-Marie, au vent de Nouméa. Là, les alizés puissants ne viendront pas nous déranger dans notre sommeil.
De retour rapidement à Nouméa, nous ne souhaitons pas nous éterniser, tout d’abord parce que le mouillage est peu pratique. Nous devons jeter l’ancre en bordure de la zone délimitée pour le mouillage, donc en plein dans le sillage des bateaux qui entrent et sortent, qui plus est dans une bonne profondeur d’eau et donc avec un évitage certain, et surtout nous devons faire un demi-mille, voire un mille en annexe pour débarquer (ce qui peut finir par être bien humide…) Pour laisser son annexe, rien n’est prévu : le ponton annexe de Port Moselle est ridiculement petit et donc saturé (il y a même une longue liste d’attente pour les “contrats annexe”, qui donnent le droit de s’y amarrer et d’avoir accès aux douches…) Décidément ça a l’air géré comme un port de plaisance français. Chacun se débrouille donc comme il peut, les résidents à long terme installant leur va-et-vient de manière anarchique à leur gré.
Mais cela nous permet de compléter notre plein alimentaire, et de profiter encore un peu de la vie citadine, où nous avons découvert des animations culturelles sympa. Ca nous fait du changement ! Il y a l’Aquarium des Lagons dont la visite sera pour une autre fois, le Musée de Nouvelle-Calédonie qui nous fait une excellente introduction au mode de vie kanak traditionnel, et nous allons écouter un concert du festival des Voix du Sud – six chœurs ont chanté des morceaux allant de Mozart au gospel et aux chants religieux traditionnels kanaks, superbe ! Nous voilà mis en appétit pour découvrir un peu le reste de ce pays, car il semble qu’entre la capitale et la “brousse” – comme on appelle ici la campagne – tout est différent ou presque !
Je ne vous referai pas ici le récit de l’histoire du “Caillou”, vous pourrez trouver ailleurs des informations sur son peuplement mélanésien, sa découverte par James Cook, son évangélisation par protestants et catholiques, son annexion par la France pour en faire un bagne et enfin sur le boom du nickel. Quant aux “évènements” qui ont mené aux accords vers plus d’autonomie, c’est à peu près ce que tout un chacun se rappelle. Chaque époque a laissé des traces plus ou moins cicatrisées, mais ce qui surprend le plus, sur les cartes marines déjà, c’est la teinte décidément “III° République” des noms. Si vous aviez aimé la Baie du Contrôleur aux Marquises, vous adorerez la Baie de l’Allier à Maré, la Pointe de la Concession dans le sud de Grande Terre, ou la Baie de l’Orphelinat à Nouméa. Tous ces noms qui tentent à vous faire sentir dépressif alors que vous êtes dans l’un des plus beaux lagons du monde…
Idéalement, nous aurions aimé faire le tour de la Grande Terre, pour monter jusqu’au lagon nord, et aller voir Hienghène qui est parait-il un coin superbe. Mais nous n’en avons pas le temps et il faut établir un planning un peu plus réaliste. Il faut réaliser que la Grande-Terre, large de 50km, en fait 400 de long, soit plus que la Suisse ! Impossible, donc, d’espérer tout voir en quelques semaines. Nous décidons donc de faire route vers les Iles Loyauté en passant par la Côte Oubliée, mais il faut pour cela revenir en arrière jusqu’au Canal de la Havannah. Pour s’y rendre, nous profitons d’un petit passage frontal, qui amène une rotation du vent à l’ouest puis au sud, et en une journée de navigation par un temps maussade, appuyant la moitié du temps au moteur car le vent est faible, nous voici à la pointe sud-est de la Grande-Terre. Avec une lumière vraiment pas idéale, mais aidés par les photos satellites qui nous indiquent où se trouve le corail, nous nous faufilons dans la Baie de Taré. Le paysage est paisible et nous voici bien protégés du vent de sud qui reprend maintenant ses forces. Fleur de Sel tire sur son ancre parmi plusieurs ilots parsemés à l’ouvert d’une vallée. Nous sommes entourés de montagnes imposantes tapissées de maquis “minier”, tandis que les îlots sont boisés de pins colonnaires, ces arbres absolument envoûtants et si caractéristiques de la Nouvelle-Calédonie.
Le surlendemain au matin, nous partons vers le nord-est. Fleur de Sel longe au portant la Côte Oubliée, le sud-est de la Grande-Terre, où la chaîne montagneuse tombe à pic dans le lagon. Par endroits on aperçoit des cicatrices dues aux activités minières, mais elles ne sont heureusement pas trop nombreuses et le reste du temps le paysage est sauvage, singulier et superbe. Montagnes rouges, toujours, forêt verte, encore, et lagon bleu, maintenant que le beau temps est revenu. Au fur et à mesure que la matinée s’écoule, le vent monte progressivement, si bien que peu après midi, lorsque nous arrivons au niveau d’Ounia, un minuscule village isolé et protégé par une échancrure dans le récif, nous trouvons l’accalmie parfaite pour déjeuner alors que nous passons sur de l’eau plate, tandis que le clapot anime bien le lagon. Enfin, lagon… c’est vrai que nous naviguons par une cinquantaine de mètres de fond seulement, mais le “lagon” est très exposé à cet endroit, puisque le récif barrière est submergé par 5 à 10m d’eau, 3 à 5 milles au large de la côte.
Dans l’après-midi, et en continuant à profiter du soleil (ainsi que du bon vent), nous poursuivons notre exploration de cette région magnifique. Un petit passage dans une petite baie derrière le Cap Tonnedu, qui inviterait à y mouiller devant une jolie plage bordée de cocotiers. Mais il y a trop de fond et nous serions trop près du corail. Alors nous poursuivons vers Ouinné. C’est un centre minier, mais la baie est exposée aux vents dominants, alors là encore, nous continuons. C’est non loin après, dans la Baie de Kouakoué, que nous trouvons le mouillage parfait : pas trop profond, ouvert au nord-ouest, ce qui nous assure une bonne protection des alizés de sud-est, et également très joli et sauvage. Le site parfait pour un snorkeling le lendemain matin.
Et puis, dans la foulée, nous continuons notre route sur cette côte est de la Grande-Terre, qui bien que farouche nous parait attachante. Mais en dépit des apparences, ce n’est pas la côte si rude qui va faire la caractérielle, mais bien le lagon. L’alizé, catapulté le long des montagnes, va monter à un bon force 7, peut-être 8, si bien que les deux ris pris au départ dans la grand-voile s’avèreront finalement encore trop, puisque Fleur de Sel dépasse les 8 nœuds assez régulièrement, tandis que le guindant de la grand-voile vrombit dans les rafales. Finalement, nous terminerons l’étape sous trinquette seule, ce qui sera plus reposant pour les nerfs, et guère moins rapide. Vidés, nous venons nous abriter à l’entrée de la baie de Port-Bouquet, sous le vent de l’Ile Toupéti. Mal nous en prend, car nous ne dormirons pas bien, assaillis par les rafales qui viennent dévaler les collines de l’île. La bonne manœuvre aurait été de choisir le mouillage dans la baie suivante, l’Anse Lémia.
Mais ce n’est que le lendemain soir, après une journée de repos, que nous avons la visite de Julien, venu en hors-bord du village de la baie voisine. Nous changeons donc de mouillage le jour suivant, et nous venons retourner la visite de la veille. Nous cherchons un peu à savoir qui est le chef du village, ou de la “tribu” comme on dit en Calédonie. Mais en fait il n’y a pas ici de vrai chef, c’est une situation un peu atypique. Un peu désarçonnés, c’est donc à Julien que nous faisons présent de notre petite offrande, celle que nous avions préparé pour “faire la coutume”. Julien en est très touché et son accueil déjà chaleureux en devient véritablement adorable. Nous recevons en cadeau deux bons poissons, quelques fruits et du cerf. Julien et sa femme Maeva s’occupent du camping du village et font table d’hôte. Comme le lendemain soir ils ont des touristes, ils nous invitent à nous joindre à eux pour ce qui sera un festin. Etant donné que dans la journée, nous sommes allés faire du snorkeling sur le récif qui ferme la baie, nous ferons d’autant plus honneur aux quantités de plats qui nous sont proposés : salade de fleur de bananier, gratin de bénitier, ignames et bananes frits, maniocs en feuille de bananier, divers poissons grillés… Le lendemain, alors que nous débarquons pour les saluer avant de poursuivre notre route, ils nous persuadent de rester pour le déjeuner, car il y a des restes à profusion !
Au moment de partir réellement, leurs petits enfants meurent d’envie de voir le bateau et nous avons donc encore la visite de toute la petite famille à bord. Puis ce sont les adieux déchirants : la petite Kélia veut partir avec nous et il faut toute la persuasion de ses grands-parents, ainsi que la promesse d’une nuit de camping sur l’Ile Toupéti, pour que le chagrin s’apaise quelque peu. Malgré notre apparente composition, peut-être due à l’habitude, nous aussi sommes tristes de quitter ces amis d’un jour qui nous ont accueillis chez eux comme de la famille.
Mais la météo n’attend pas, et si nous ne profitons pas de ce moment où le vent sera modéré après le calme plat, il deviendra alors trop fort pour naviguer sereinement. Aussi faisons-nous encore quelques milles jusqu’à Thio pour y passer la nuit, avant de lever l’ancre le lendemain au point du jour. En chemin vers la passe de Thio, une entaille dans le récif à 6 milles au large de ce centre névralgique du nickel, nous croisons le Jules Garnier, minéralier à vide qui vient charger. Puis c’est la traversée, par un temps parfait : soleil, 15 à 20 nœuds de vent de sud-est, ce qui nous assurera un bon bord de largue vers Ouvéa. Il y a juste la mer un peu désordonnée, comme toujours apparemment entre les îles. Et en fin d’après-midi, nous atteignons un atoll très différent de ceux que nous avons découverts en Polynésie.
2 Replies to “De Nouméa à Ouvéa”
Notre premier message de NJ vient de partir soudainement,et nous ne savons pas s’il est arrivé? Ravis de vos nouvelles et,en même temps de celles de Marie Caroline!Meilleures pensées à toute la Famille Remy.Bruno et Helgard
Trop heureuse d’avoir des nouvelles. Nous sommes en plein déménagement (étalé sur deux semaines) avec aujourd’hui de surcroît une garage sale (vide grenier). Tout plein de choses à vendre, des souvenirs d’autres époques. Beucoup d’émotion aussi à l’idée de quitter cet endroit dans 10 jours maintenant.
Pas bcp de temps donc pour vous donner des nouvelles mais je pense souvent à vous avec affection.
Maman