Ne nous formalisons pas
Vaste sujet que celui des formalités, lorsqu’on voyage en bateau. Et d’autant plus critique qu’aujourd’hui, dans la plupart des pays, les contrôles sont plus fréquents partout, et les frais sont en éternelle hausse. Car les voiliers sont perçus comme une source de revenus pour l’état visité. D’une part pour minimiser les coûts, mais aussi les éventuels ennuis, il faut donc s’informer à l’avance et savoir comment procéder. Explications pour ceux d’entre vous qui envisagent le grand départ, mais aussi pour vous tous qui nous suivez et qui pouvez ainsi vous faire une idée de cet aspect de notre voyage.
Ports d’entrée et de sortie
Tout d’abord, dans la plupart des cas, il faut faire les formalités à l’entrée et à la sortie du territoire. C’est comme lorsqu’on voyage en avion et qu’on subit les contrôles à l’aéroport en arrivant et en repartant. Mais les procédures d’arrivés et de sortie ont souvent été simplifiés pour les voyageurs aériens, vue la quantité de personnes qui utilisent ce moyen de transport, ce qui est rarement le cas pour les plaisanciers. De plus, il faut parfois également aller voir les officiels aux étapes intermédiaires ce qui complique évidemment les choses.
Naturellement, nous pourrions arriver n’importe où sur la côte d’un pays avec notre bateau, de préférence dans un joli petit coin désert. Mais nous n’en avons pas le droit – sous peine d’être suspectés de contrebande – et ces formalités se font uniquement en certains endroits, qui sont généralement appelés “Ports d’entrée” (et “Port de sortie”). En bref, il s’agit d’un endroit où il est autorisé aux bateaux provenant de l’étranger d’arriver, et où on pourra faire les fameuses formalités. Chaque pays recense maintenant (plus ou moins clairement il est vrai) ses ports d’entrée et de sortie.
Dans beaucoup de cas, les législateurs en la matière ne sont clairement pas des navigateurs et les ports en question se révèlent parfois être mal situés (loin sous le vent d’une zone intéressante), d’autres fois très peu pratiques pour un voilier (quais trop hauts prévus pour des cargos, voire dangereux pour des bateaux de notre taille). En tous les cas, le plus fréquemment, il est malheureusement interdit de s’arrêter en route avant le port d’entrée. C’est dommage, car on préfère souvent passer une nuit au mouillage avant d’aller affronter la paperasse, ça permet d’être un peu plus reposés. Mais voilà, dans la plupart des cas, nous sommes en fait considérés comme un bâtiment de commerce, sans distinction aucune entre un petit voilier et un grand cargo. Alors le vent, les marées ou la simple fatigue d’un équipage réduit sont classées au titre des plaisanteries par l’administration.
Notification d’arrivée
La VHF est souvent un des éléments clés lors de l’arrivée. Cette radio maritime – qui n’équipe parfois pas encore tous les bateaux européens en raison d’une discutable politique – est parfois indispensable. Certains pays s’attendent même à ce que la majorité des voiliers soient munis d’une BLU. Heureusement cet équipement, bien que pratique, n’est pas encore obligatoire.
Dans la plupart des pays, il est évident que vous serez équipé d’une VHF et que vous l’utiliserez en arrivant. Parfois, si l’on n’annonce pas son arrivée par radio, on enfreint la loi et l’on devient donc amendable (ou bien dans des pays peu recommandables, on passe quelque temps au poste le temps de se faire piller son bateau…). Ici encore, se renseigner, car pour certains pays cela doit se faire avant d’entrer dans le port, mais pour d’autres une ou quelques heures à l’avance, voire à l’entrée dans les eaux territoriales (12 milles des côtes, mais certains étendent cette limite à celle de leur zone économique exclusive, soit 200 milles, ce qui en droit international est une aberration).
Dans certains cas (Fiji, Nouvelle-Zélande, Australie), il faut même prévenir longtemps à l’avance, chose que l’on peut le plus souvent faire par email. Mais attention, de nos jours tenter le “Je ne savais pas” peut coûter des milliers de dollars d’amende. Et à la lecture de certains articles (notamment celui-ci sur Noonsite), on devine sans mal qui sont les spécialistes de ces manœuvres…
Mettons donc que les autorités sont prévenues de votre arrivée, et que vous êtes maintenant là où elles vous ont dirigé – ça peut être classiquement dans une marina ou au mouillage, mais c’est parfois sur un quai dédié ou dans une zone de mouillage spécifique (mouillage de quarantaine). Vous allez maintenant avoir affaire à plusieurs services. Selon les cas et les pays, vous serez inspectés à bord ou bien vous devrez rendre visite aux agents dans leurs bureaux. Vous pourriez aussi utiliser les services d’un agent qui fera ces formalités pour vous (dans certains pays on vous y oblige même), mais cela revient vite cher.
La santé
Ce n’est pas systématique de devoir traiter avec les services sanitaires. Dans la plupart des pays, on ne passe plus cette inspection. Cependant, elle subsiste encore parfois, particulièrement dans les îles. La population y est particulièrement vulnérable aux maladies venues d’ailleurs et avec lesquelles elles ont peu de contacts (cas des îles du Pacifique). Parfois encore, c’est l’occasion de soutirer une taxe (à Mar del Plata en Argentine, par exemple, où cette formalité n’est qu’un tampon payant), ou aux Tonga où c’est la formalité la plus chère (mais elle est censée sponsoriser le système de santé local).
L’agriculture ou biosécurité
Ici encore, cette inspection est loin d’être systématique et est faite plus ou moins sérieusement selon le pays. Elle porte des noms variés selon les pays : quarantaine en Australie, phytosanitaire en Nouvelle-Calédonie, agriculture en Nouvelle-Zélande, au Chili, aux Samoa et aux Tonga. Le principe en est simple : il s’agit de vérifier qu’aucune matière biologique clandestine ne vient s’introduire dans le pays visité. On passe donc en revue les aliments, mais aussi la terre sur les chaussures de marche (ou les pneus de vélo pour ceux qui en ont), et même les algues sur la coque en Nouvelle-Zélande et en Australie ! Ces pays dépendent beaucoup de leur agriculture et souhaitent conserver la bonne santé de leurs écosystèmes. Aussi, le plus souvent, les produits frais tels que fruits, légumes, viandes, et œufs ou leurs restes sont confisqués et détruits. Mais d’autres aliments moins évidents sont également contrôlés, comme le miel et plus généralement tout ce qui n’a pas subi un traitement thermique (aliments séchés, déshydratés, salés, etc.) Le plus simple est d’anticiper la chose et d’arriver avec le moins d’aliments possibles. C’est la raison pour laquelle nous réduisons drastiquement nos stocks en Nouvelle-Calédonie avant de nous rendre en Nouvelle-Zélande et surtout en Australie. Mais attention, il y a parfois encore d’autres matériaux qui sont contrôlés, voire confisqués, comme les bois tropicaux non traités (dans lesquels sont fait nombre de souvenirs qu’on achète ou qu’on reçoit comme cadeau lorsqu’on voyage comme nous), particulièrement en Australie et en Nouvelle-Zélande, encore une fois.
Les animaux – de compagnie ou autre – sont également inspectés par ces officiels. Dans certains pays, seul un carnet de vaccination est demandé. Dans les îles du Pacifique, même une fois en règle, il est parfois interdit de débarquer son animal à terre. D’autre fois, avoir un ami à poils ou plumes à bord peut devenir très contraignant et cher et l’entrée peut être interdite pour d’autres animaux qu’un chien ou un chat (comme les perroquets de certains marins que nous avons rencontrés). Dans cette catégorie rentrent également les rats, lézards, fourmis et autres clandestins plus ou moins désagréables.
L’immigration
Voici une formalité à laquelle on est plus habitué. Elle correspond, lorsqu’on voyage par avion, au contrôle des passeports, et est donc liée aux personnes qui voyagent à bord du bateau. Classiquement, les autorités chargées du contrôle dépendent de la police ou du ministère de l’intérieur, et dans les pays fédéraux c’est généralement une autorité fédérale qui en est chargée (la Policia Federal au Brésil, par exemple). Parfois les autorités demandent à voir personnellement tous les membres d’équipage, ailleurs seul le capitaine est autorisé à débarquer pour faire les formalités, mieux vaut se renseigner.
Souvent, les citoyens de nombreux pays (dont souvent les pays européens) n’ont pas besoin d’obtenir un visa à l’avance. Même en Nouvelle-Zélande, on a droit à un séjour de trois mois sans visa. Tout comme les Américains, Canadiens, Australiens ou Néo-Zélandais, les Suisses, qui ne sont donc pas citoyens de l’Union Européenne, doivent obtenir un visa à l’avance s’ils souhaitent séjourner plus de trois mois en Polynésie Française. Les citoyens européens peuvent prolonger leur autorisation de séjour directement sur place. Au Cap-Vert, qui demande pourtant un visa à ses touristes classiques, aucun visa n’est en fait pas nécessaire pour ceux qui arrivent par bateau. En revanche, attention : une escale aux Etats-Unis ou dans un des territoires américains ne peut se faire que si tous les membres d’équipage non américains ont un visa pour les USA demandé au préalable. En effet, même si votre nationalité vous autoriserait à voyager aux Etats-Unis dans le cadre du Visa Waiver Program (le programme d’exemption de visa), ce droit n’est valable que si l’on se rend aux Etats-Unis par le biais d’une compagnie commerciale conventionnée (comme les compagnies aériennes), ce que n’est évidemment pas votre bateau privé. Et puis il y a l’Australie, qui demande un visa à tous les étrangers (sauf les Néo-Zélandais). C’est contraignant, mais au moins on sait (presque) à quoi s’en tenir.
Les douanes
Ici encore, voici une autorité relativement familière. Leur rôle est de contrôler les transports de marchandises, celles-ci pouvant être autorisées à l’import sans frais, autorisées avec paiement d’un droit d’importation, ou simplement interdites. Car il ne faut pas l’oublier, lorsque vous vous rendez dans un pays en bateau, vous y importez non seulement vos affaires, vos provisions, votre électronique, mais aussi votre bateau lui-même. Et comme de tous temps, il n’y a pas eu que des visiteurs faisant du simple tourisme ou du commerce en règle, c’est le rôle des douanes d’éviter la contrebande, voire le trafic de drogue (les narcotrafiquants trouvant extrêmement facile de se fondre dans la masse des plaisanciers honnêtes pour faire leurs sordides affaires). Etant donné que les douanes sont chargées de percevoir les taxes d’importation, elles dépendent le plus souvent du ministère des finances, et attention, dans les pays fédéraux on peut avoir affaire au fisc de l’état fédéré plutôt qu’à celui de l’état fédéral. Autre conséquence de cela, en France du moins, c’est au citoyen de prouver sa bonne foi lors d’un contrôle. Adieu la présomption d’innocence, vis-à-vis des douanes, vous êtes le plus souvent en tort à défaut d’être en règle – et l’expérience montre souvent que même si vous pensez être en règle, vous aurez toujours tort sur l’une ou l’autre chose. Ca mérite donc de faire particulièrement attention à ce que vous faites, parce que ça peut coûter très cher (par exemple le prix de la TVA sur le bateau).
Car parmi les choses que vous importez, le bateau est sans aucun doute celui qui coûte le plus cher, et il est donc susceptible d’être taxé à l’importation. Cependant la plupart des pays accordent, durant une durée limitée, une possibilité d’importation temporaire en franchise de taxe. Autrement dit vous pouvez circuler librement un certain temps, à condition que vous quittiez le pays avant la fin de cette durée – durée qui n’est pas forcément la même que celle du séjour maximal de l’équipage, c’est là un des points clés. Ainsi, on entend souvent dire qu’on a droit à un séjour de deux ans en Polynésie, chose qui n’est pas vraie : le BATEAU a le droit de séjourner deux ans dans les eaux polynésiennes, après quoi s’il ne quitte pas le territoire il devra être “papeetisé” – c’est-à-dire importé, avec paiement de la TVA sur la valeur du bateau. Le principe est le même dans tous les pays, et les durées varient : assez souvent le bateau est autorisé pour une durée de trois mois renouvelables une ou plusieurs fois, mais en Argentine on autorise un séjour de huit mois avant importation. En Uruguay et au Cap-Vert, on ne nous a pas donné de durée limite pour le séjour du bateau. Mais en tout les cas, lorsqu’on vous demande la valeur du bateau, il vaut mieux donner la valeur la plus faible possible : même si vous ne prévoyez qu’un court séjour, un coup dur peut arriver…
Par ailleurs, en ce qui concerne les marchandises, la difficulté pour le simple voyageur consiste à savoir ce qui est autorisé dans chaque pays, et surtout les produits dont chaque pays cherche à éviter l’importation, soit au travers d’une interdiction, soit au travers de taxes prohibitives. Dans certains états, l’alcool est particulièrement contrôlé et taxé, comme aux Fidji, dans les territoires français, mais aussi en Norvège ou aux Iles Féroé. En revanche, en Amérique du Sud, cela n’a jamais été un sujet. Ailleurs, vous devez lister par le menu détail tout votre matériel électronique (ordinateur, appareil photo, mais aussi tout l’équipement de navigation) pour que les autorités puissent s’assurer que vous ne revendez pas sur place vos appareils. Evidemment, cela devient comique lorsque l’on vous apprend que si vous vous faites voler du matériel, vous devrez vous acquitter de la TVA sur celui-ci (en Australie, car le matériel pourrait avoir été “volé” avec votre consentement, voire en échange d’un cadeau…)
Les douanes sont susceptibles de vous contrôler partout et n’importe quand, particulièrement dans les territoires français. Comme les douaniers ont tous les pouvoirs pour fouiller sans mandat ce qui est hors de votre domicile, c’est parfois très gênant car vous avez beau vivre à bord, le bateau est considéré comme un moyen de transport et non pas comme votre maison. Votre intimité est donc susceptible d’être passée au peigne fin à tout instant, même si en général les officiels sont plutôt courtois. Evidemment, il y a les exceptions, comme les douaniers de Curaçao qui sont connus pour leurs abordages musclés pendant la nuit.
L’autorité maritime
Eh non, votre circuit n’est pas forcément terminé, car il y a parfois encore une série d’officiels à voir, ceux qui constituent l’autorité maritime. Celle-ci dépend souvent d’une hiérarchie militaire (la Policia Maritima au Cap-Vert, la Prefectura Naval en Uruguay et en Argentine, ou Capitania dos Portos au Brésil, et même directement l’Armada au Chili), ou bien il peut s’agir des autorités portuaires (en Polynésie Française, en Nouvelle-Calédonie, aux Tonga et aux Samoa). Parfois, l’autorité en question délègue ses compétences à une autre (douane ou police), mais il est important de s’en soucier pour une très bonne raison.
En effet, un bateau naviguant d’un pays à un autre est censé être muni d’un document officiel reconnu internationalement, la clearance. Il s’agit d’une autorisation de prendre la mer et de quitter le pays, et implique notamment l’absence de poursuites envers l’équipage. Tous les bâtiments de marine marchande doivent circuler avec ce document. Evidemment, en tant que plaisanciers, et tant que nous restons dans les eaux européennes, nous en sommes exemptés, sans doute en vertu de la libre circulation. Mais une fois sortis d’Europe, attention, c’est un document souvent indispensable. Ne pas pouvoir le présenter à l’arrivée dans un pays, c’est tacitement se présenter comme ayant quitté clandestinement le pays précédent ! Ce qui peut avoir de lourdes conséquences financières ou même de la prison. Il faut donc penser à obtenir ce document au départ. Dans la plupart des pays, cela fera partie du circuit de formalités de sortie, mais par exemple aux Canaries avant de se lancer vers le sud ou l’ouest, il faut l’exiger de la part des autorités, car elles ne le produiront pas d’elles-mêmes…
L’assurance
Contrairement à la législation concernant les voitures, rien n’oblige vraiment à souscrire une police d’assurance au tiers, du moins dans un certain nombre de pays dont la France. Cependant, il s’agit souvent d’une exigence lorsqu’on se rend dans certaines marinas, et même dans certains pays. Au Chili par exemple, il est demandé de justifier d’une police d’assurance couvrant la responsabilité civile et notamment la pollution aux hydrocarbures. Certains navigateurs produisent un faux, mais en cas de problème, c’est s’exposer à de graves accusations que d’avoir menti aux autorités en ayant falsifié des documents. Tout cela pour une protection qui semble tout de même essentielle et qui ne coûte que quelques dizaines d’euros par an. Evidemment, cela aide d’avoir une attestation en anglais (voire en espagnol) justifiant de sa couverture effective.
Logique floue
Une fois digérée toute cette théorie, en pratique on prend vite l’habitude de ces formalités, et cela se passe généralement bien, surtout lorsque la mécanique est bien huilée. Cependant, il arrive que tel ou tel point ne soit pas clair et il est parfois très difficile d’obtenir les renseignements permettant de bien faire. Selon les cas on fera du mieux que l’on peut ou bien on s’abstiendra d’en demander davantage sous peine de compliquer les choses. C’est triste à dire, car il est vrai que le contact avec les officiels fait partie des découvertes culturelles liées au voyage et donne une image de la gestion du pays visité, mais moins on les voit mieux on se porte. Dans le même ordre d’idée, à moins d’y être contraint, souvent mieux vaut éviter de demander s’il est possible de faire telle ou telle chose : en Amérique du Sud particulièrement, l’officiel qui n’a pas réponse à la question posée vous répondra par défaut par la négative.
Toujours en Amérique Latine, il est une particularité au Brésil et en Uruguay : le document d’entrée est tamponné et retamponné à chaque port intermédiaire. C’est le rol, et nous avons été très surpris que la Prefectura Naval uruguayenne continue le rol brésilien, le tout sur papier volant n’ayant vraiment pas l’air d’un document officiel. Nous craignions en arrivant en Argentine que cela pose problème, mais les Argentins se sont plutôt moqués avec condescendance de leurs voisins, ce qui nous arrangeait bien, il faut le dire. Enfin, un stéréotype qu’il faut abolir concernant l’Amérique Latine : jamais nous n’avons eu à faire face à une tentative de corruption. Pas un seul bakchich, pratique qui existe encore ailleurs, cependant.
L’administration française, elle, préfère ne pas donner de réponse aux questions, tout au moins par écrit, si bien que d’une part on n’a jamais de réponse définitive concernant la procédure à effectuer pour telle ou telle situation, mais en plus en cas de contrôle on n’a jamais de quoi prouver que l’on agit selon les directives de l’administration. Nul n’est censé ignorer la loi, il est vrai, mais le principe de base semble être que l’administration concernée n’est pas là pour conseiller le citoyen souhaitant appliquer la loi, mais bien pour contrôler et réprimander le citoyen qui a transgressé ladite loi. Imaginez l’embrouillamini lorsque c’est un étranger (qui parle mal français, de préférence) qui cherche à effectuer une démarche et qu’on le fait tourner en bourrique, voire qu’on le sanctionne indûment : nous avons souvent eu honte.
Par ailleurs, il existe en Polynésie Française une situation particulière : il n’y a qu’un seul vrai port d’entrée et de sortie, Papeete dans l’île de Tahiti. Cependant, il est autorisé de faire une entrée temporaire et simplifiée dans n’importe quelle autre île où se trouve une gendarmerie et de même pour la sortie, ce qui arrange bien les plaisanciers qui ne sont pas contraints à entrer et sortir du territoire par Tahiti. Cependant, et les gendarmes à qui est déléguée la compétence de faire ces formalités partielles ne l’expliquent pas toujours bien aux navigateurs, les papiers temporaires ne valent que le temps de faire les formalités en bonne et due forme à Tahiti. C’est alors qu’on finalise son entrée et qu’on peut par la même occasion faire sa sortie officielle (et donc obtenir sa clearance), même si l’on poursuit son séjour pendant des semaines dans le pays avant de le quitter effectivement. Or, il faut obtenir la clearance de la part du Port Autonome de Papeete et la faire viser et par la Douane et par la Police aux Frontières. On n’aura aucun mal à quitter le territoire sans forcément faire tout cela, mais c’est s’exposer à des problèmes (et même à de la prison dans un cas évoqué par le douanier) dans le pays suivant, particulièrement s’il s’agit d’une administration tatillonne.
L’état d’esprit
Malheureusement, nous ne sommes plus au siècle dernier où l’usage voulait qu’un voyageur en bateau ne soit pas considéré comme un touriste lambda : de nos jours nous sommes non seulement touristes mais aussi importateurs. De cela découle toute une mécanique qu’il convient de maîtriser. Et le maître mot de l’histoire est maintenant de s’informer. La traditionnelle improvisation gauloise suivie de la réplique “Je ne savais pas” n’a maintenant plus cours. A l’heure d’Internet, n’importe quel pays s’attend à ce que le navigateur de passage se soit renseigné sur les modalités de sa visite, et l’ignorance (il faut l’avouer, souvent feinte) est vite suspectée de fraude. Le mieux est de consulter les sites Internet, par exemple Noonsite, afin de trouver à l’avance les renseignements nécessaires. Certains pays ont également mis en place un site officiel qui informe les visiteurs mais ceux-ci ne sont pas toujours à jour.
Ainsi, lorsqu’on atterrit sur une nouvelle côte, encore inconnue, et à l’heure où on se laisse émerveiller par les mille et une découvertes qui débutent, il faut en même temps avoir des préoccupations très terre à terre. Où doit-on se rendre, qu’a-t-on le droit de faire et de ne pas faire, dans quel délai, pour quelle durée ? Eh oui, la magie de l’arrivée, surtout après une longue traversée, est quelque peu émoussée par les contraintes toujours plus importantes qui pèsent sur nous. Mais c’est à ce prix que nous sommes ensuite conviés à découvrir de manière privilégiée une nouvelle contrée.
Car il nous parait important de ne pas oublier ce fait : nous sommes des hôtes d’un pays étranger, et si les choses ne nous conviennent pas, libre à nous de partir ou de ne pas nous y rendre. Nous avons entendu des équipages crier au scandale, trouvant révoltant tel ou tel cérémonial officiel (qui est souvent aussi caractéristique du pays visité), mais ne remettant jamais en cause leur présence même. Il leur était acquis qu’ils étaient dans leur droit d’être là, et que si ce qu’on leur demande leur semble dépasser ce qu’ils sont prêts à faire, la fraude est justifiée. Dangereuse ligne de pensée, du moins à nos yeux, quand notre pays hôte est souverain et décide donc par lui-même comment il souhaite recevoir ses visiteurs (ou pas).
Nous essayons donc d’apprendre, de respecter et de nous conformer aux usages locaux, même s’il arrive (assez régulièrement) que ce soit agaçant (et long !). Oh, nous râlons aussi ! Il arrive parfois que certains états abusent de leurs prérogatives – et même certaines autorités locales qui interdisent l’accès à tel ou tel endroit, comme les mouillages les plus protégés de la Peninsula Valdés en Argentine, ou les baies de St-Joseph et d’Upi à l’Ile des Pins, ce uniquement pour des raisons commerciales évidentes. Mais vouloir jouer le redresseur de torts en arguant du droit international ne peut se faire qu’au désavantage du plaisancier à la merci des autorités locales et il vaut donc parfois être plus conciliant que d’accoutumée, car même lorsque les règles sont claires, nous sommes malgré tout sujets à l’état de constipation de l’officiel que nous avons face à nous. En route, le navigateur qui sait pertinemment qu’il a la priorité sur un supertanker préfère infléchir sa route que de risquer la collision avec bien plus gros que soi, tant il a plus à perdre qu’à gagner. C’est un peu pareil avec les autorités…
D’autre fois, c’est la durée de ce ballet qui en repousse plus d’un. Arriver en Argentine est un poème, et à Buenos Aires plus encore qu’ailleurs : il nous a fallu une journée pour faire trois bureaux car ils étaient situées chacun à l’autre bout de cette ville gigantesque, et les officiels de la Prefectura Naval nous ont fait attendre des heures. Une fois fini leur tour, les agents en douane qui s’occupent des cargos et qui avaient attendu avec nous, nous saluaient même en partant d’un “Buena Suerte !” (Bonne chance !) C’est aussi sans parler de la déclaration des Malouines, à signer à chaque arrivée et à chaque départ d’un port argentin, et qui stipule que l’on s’engage à ne pas se rendre aux Malouines (ne pas dire Falklands !) sans obtenir l’autorisation spéciale du ministère de l’intérieur (sic !) Ce papier, strictement identique à chaque fois, nous avons du le signer dix fois ! Comme s’il était plus valable en le signant dix fois plutôt qu’une… A nos yeux les Argentins ont vite perdu toute légitimité dans leur combat sur la souveraineté de l’archipel disputé, mais cela mis à part les choses se passaient tout de même bien et le pays est formidable.
Il y a de plus en plus de voiliers qui voyagent autour du monde, ce merveilleux moyen de voyage et de découverte étant devenu de plus en plus accessible. Et comme toujours quand il y a plus de monde, il faut des réglementations et chaque pays fait selon sa législation et ses traditions. De plus, les voiliers sont de plus en plus considérés comment des touristes et donc comme source de revenu. Comme le plaisancier apporte souvent moins à l’économie locale que le touriste en avion ou en bateau de croisière, le pays visité cherche des moyens pour soutirer quelque chose du navigateur et réguler le nombre de visiteur à la voile. Cela se comprend aussi, même si ça ne nous arrange pas lorsque les sommes sont élevées.
Et lorsque c’est trop cher, trop pénible, trop long, etc. on saute l’étape (Galapagos, Pérou, Fidji, notamment, et certains évitent l’Australie pour la même raison). Tant pis pour ces pays passionnants, mais en même temps il y a déjà tellement de choses à aller voir ailleurs autour du globe que nous avons du mal à choisir notre route et le temps semble nous manquer pour tout ce qu’il y a à voir… Alors on se souciera des pays moins accueillants la prochaine fois !