Les Petites Antilles en pointillé [1] : Madinina
Nous avions mouillé dans le noir et c’est donc après un bon repos, et surtout une fois le jour levé, que nous découvrons la baie de Ste-Anne. La météo pour notre premier jour antillais est plus que maussade, puisque nous passons la matinée à nous faire balayer sans relâche par des grains. A la faveur d’une accalmie, nous décidons toutefois de nous faufiler dans le fond du Cul-de-Sac Marin et de nous amarrer à la marina du Marin (au cas où vous n’auriez pas deviné, il y a un thème maritime dans la toponymie…) C’est là que nous prenons nos quartiers pour huit jours, sur une place tout au bout d’une ponton excentré – agréable car tranquille et à l’écart du trafic, mais peu pratique car l’aller-retour à terre demande vingt minutes ! En tous les cas, c’est l’occasion de nous reposer après nos traversées équatoriales à la vitesse de l’éclair. L’occasion aussi de faire un bon arrêt technique et logistique.
Mais nous commençons par le tourisme en louant une voiture pour deux jours, ce qui nous permet de nous lancer dans une petite exploration de Madinina, “l’île aux fleurs”, nom qui par déformations successives donnera “Martinique”. Le temps est toujours capricieux, si bien qu’il nous faut prendre ce qui vient, et notre première journée est assez clémente. Notre virée nous mène vers le nord-ouest de l’île, où nous découvrons la petite ville tranquille et ancienne capitale St-Pierre – rasée en 1902 par une éruption cataclysmique du volcan de la Montagne Pelée (1’397m), la quatrième plus meurtrière de l’histoire, avec près de 30’000 morts et un seul survivant ! Des voiliers sont au mouillage dans la baie, mais uniquement là où ne se trouvent pas d’épaves, car des dizaines de bateaux ont coulé pendant la catastrophe.
Après un bon repas créole, nous poursuivons avec la visite de la distillerie Depaz, qui est en activité et située sur les pentes du volcan. Puis nous revenons vers le sud en passant par la route qui traverse les Pitons du Carbet et la magnifique jungle qui nous entoure sur ce trajet nous rappelle la Réunion – mais malheureusement nous n’avons pas le temps d’y randonner. Enfin nous terminons la journée à la distillerie Trois-Rivières, qui n’est plus en activité, mais dont le rhum est l’un des meilleurs à mon goût.
Le lendemain, la météo est plus maussade, mais nous explorons néanmoins le coin sud-est de l’île, à commencer par les jolis points de vue sur le célèbre Rocher du Diamant (175m de haut, et occupé par les Anglais pendant 18 mois entre 1803 et 1805). Puis ce sont les jolis villages des Anses d’Arlet, les fausses jumelles Anses Dufour et Anse Noire (l’une de sable blanc, l’autre de sable noir), et enfin la zone trop touristique des Trois Ilets – où l’on se croirait un peu sur la Côte d’Azur en été. Au retour, pour ne pas nous laisser aller, nous visitons encore la distillerie La Mauny, en y dégustant, comme dans les autres rhumeries, des produits purement agricoles et naturels. Et enfin, nous allons jeter un coup d’œil au beau panorama sur le Cul-de-Sac Marin depuis la route qui mène au Morne Aca – de là haut nous pouvons bien nous rendre compte du nombre astronomique de bateaux qui se répartissent entre les places de port, les corps-mort et les rares espaces libres pour mouiller. Combien sont-ils ? Sans doute deux mille…
Ce soir là, nous recevons à bord Nat et Dom, rencontrés à Nouméa sur la fin de leur voyage à bord de l’Etoile de Lune. Quatre ans après, les voilà installés non loin, à Ste-Luce, et les retrouvailles sont chaleureuses. Le lendemain, c’est eux qui nous conduisent, et nous commençons par la visite du Domaine de la Pagerie, dont ne subsiste que les anciennes cuisines. C’est l’occasion de revoir notre histoire napoléonienne, car il s’agit de l’habitation natale de l’impératrice créole Joséphine. Quand on pense par ailleurs que Mme de Maintenon grandit également en Martinique, cela nous rappelle combien l’île aux fleurs est liée depuis longtemps aux destinées de la France – ce que les métropolitains ne savent pas, ne veulent pas savoir, oublient souvent commodément, ou pire encore, ce qu’ils regardent souvent avec condescendence. La journée se poursuit avec un délicieux déjeuner créole avant de nous rendre à l’Habitation Clément. Avant de nous lancer une fois encore dans la dégustation de délicieuses concoctions antillaises, nous visitons auparavant les magnifiques jardins, ainsi que la très élégante demeure magnifiquement préservée ou restaurée.
Nat et Dom nous aident encore un autre jour en nous emmenant non loin de Fort-de-France pour y faire des courses et nous effectuons le reste de l’avitaillement au Marin, au supermarché et au marché local. Question logistique, vous connaissez la musique : en plus des habituelles lessives et des multiples affaires administratives à gérer sur internet, il y a l’entretien régulier du bateau à faire. Aucune réparation majeure à effectuer, mais nous profitons toutefois d’avoir de l’eau à profusion pour nettoyer le réservoir d’eau et pour passer les tuyaux à l’eau de javel. Heidi s’attelle au remplacement de la moustiquaire de descente et à l’amélioration de toutes les autres grâce aux petits plombs achetés au Brésil. Il y a également du recollage à faire sur diverses pièces à bord, et il faut surtout s’occuper encore une fois de la gazinière, l’allume-gaz étant très capricieux. Heureusement, non seulement nous trouvons au Marin les pièces de rechange nécessaire, mais en plus un nettoyage complet parvient à faire entendre raison à l’allume-gaz d’origine (mais pour combien de temps ?)
Enfin, à la faveur d’une accalmie de l’alizé, nous nous enfuyons du Marin après une semaine bien remplie, cap à l’est. C’est chose vite dite, car le cap est d’abord mis au sud, le vent ne nous permettant guère de faire mieux. Ayant passé l’Ilet Cabrits, nous voici alors à découvert, exposés au courant dans le Canal de Ste-Lucie, et tentant de faire notre meilleur près dans la mer formée. Heureusement, comme prévu, une petite rotation à l’heure dite nous permet d’avoir un autre bord plus favorable, et c’est finalement avec de la marge que nous atteignons l’ouvert de la Baie des Anglais. Le snorkeling sous le vent de l’Ilet Hardy est sportif et peu concluant et raison du courant, de la mauvaise visibilité et du manque manifeste de vie sous-marine. Pour passer une nuit plus calme, nous préférons nous faufiler à l’intérieur du cul-de-sac lui-même, et nous y sommes à la fois bien ventilés et parfaitement protégés. Le lendemain, nous débarquons là où nous pouvons avec l’annexe, et nous gagnons ensuite le sentier de randonnée qui nous permet d’aller vers le sud jusqu’à la Savane des Pétrifications. Nous enchaînons pendant quelques kilomètres la traversée de paysages de mangroves, de plages, de forêt et de savane, et nous profitons comme il se doit de ce beau coin sauvage.
Le franchissement de la passe de sortie est plus sportif le jour de notre départ, mais le vent souffle encore suffisamment du sud pour nous permettre de parer le Cap Ferré et la Pointe Macré, et surtout les récifs qui les débordent. Ce sont les pointes les plus à l’est de l’arc antillais au sens strict, si bien qu’il ne nous faudra plus désormais gagner au vent. Nous nous engageons dans la Passe du Vauclin, qui marque l’extrémité sud de cette côte protégée au vent de la Martinique, chose unique aux Antilles. Presque partout ailleurs, les bateaux naviguent sous le vent des îles, avec dans certains mouillages des densités auxquelles nous ne sommes plus habitués. Afin de faire passer la pilule plus aisément, nous avons donc choisi de nous réfugier sur la côte est, plus intéréssante à naviguer et où nous ne croiserons qu’une douzaine d’autres voiliers, la plupart des locaux. Notre premier arrêt s’effectue dans le Cul-de-Sac Petite Grenade, un mouillage complètement protégé et dont la passe d’entrée est étroite. L’endroit est reposant, et seuls quelques bateaux à moteur de passage y passent, tandis que de grosses villas nous surplombent des hauteurs. Nous reconnaissons d’ailleurs la mieux située d’entre elles, car elle figure dans le film L’Affaire Thomas Crown.
Pendant les journées suivantes, nous poursuivons notre vagabondage dans les “culs-de-sacs” de la côte au vent, à savoir ces baies souvent profondes et protégées à leur ouvert par des récifs coralliens bien placés. Nous y faisons des sauts de puce quotidiens, naviguant 1 à 2 heures par jour avant de pouvoir profiter du mouillage suivant. Nous passons une nuit à côté de l’Ilet Pelé, puis la suivante un peu à l’écart de la “baignoire de Joséphine” – des “fonds blancs”, c’est-à-dire une zone vraiment très peu profonde, et qui constitue un spectacle en soi en ce 1er mai férié et ensoleillé, de par l’embouteillage de bateaux de touristes et de locaux. Quittant la Baie du François, nous rejoignons alors le Havre du Robert, où nous dormirons à l’abri de l’Ilet Madame (endroit sympa mais snorkeling de nouveau quelconque), de l’Ilet Petite-Martinique (verdoyant et bien protégé), et enfin de l’Ilet de la Grotte (encore de beaux fonds blancs et bien protégé aussi). Surtout, nous allons mouiller devant Le Robert même, d’où nous nous rendons par la terre à La Trinité pour aller à la douane. Nous avions pensé y aller en bateau, mais la météo a empêché que Fleur de Sel ne vienne mouiller au port de La Trinité avant de boucler son tour du monde ! Nous y obtenons notre clearance de départ pour les jours suivant, et nous y faisons de l’avitaillement avant de regagner Le Robert en taxi collectif.
Nous avons prévu un dernier arrêt dans la Baie du Trésor, sur la Presqu’île de la Caravelle, réserve naturelle et joli lieu de randonnée. Malheureusement, une fois de plus, le temps n’est pas de la partie, car il nous gratifie de pluie pendant presque toute la journée. Renonçant à notre idée de randonnée, nous en profitons pour nous reposer, et bien nous en prend. En effet, nous quittons la baie ce soir là, car le mouillage ne serait toléré dans la réserve naturelle que de jour, information qu’il nous a cependant été très difficile d’infirmer ou confirmer. Un grain nous cueille à l’ouvert de la baie et c’est le moment que choisit le moteur pour déclencher l’alarme de température. Pendant que Heidi s’efforce de faire son meilleur près pour parer les cailloux dangereusement proches sous le vent, je mets à contribution toute ma lucidité pour trouver rapidement que c’est le l’eau de mer qui ne circule plus et que le problème provient de la prise d’eau. C’est à coups de ventouse qu’elle finit par se déboucher, et on suppose que ce sont des sargasses (présente en grand nombre dans les parages) qui sont venues l’obstruer. Ouf, nous voilà sauvés et nous attaquons notre navigation de nuit vers Petite-Terre.