« Adelante Fleur de Sel ! »
Il n’est pas aussi illustre que son quasi-homonyme le Glacier Express, mais il est surtout bien différent, notre express à nous. J’ai nommé le Glagla Express. Nous avions enfin quitté La Trinité car les conditions nous semblaient favorables et les gros travaux avaient touchés à leur fin. Mais le petit coup de vent passager qui, selon les prévisions, devait ensuite laisser la place à une bonne brise portante avait décidé de jouer les prolongations. Après trois jours passés à Palais, sur Belle-Ile la bien nommée, nous avons franchi l’écluse du bassin à flot après les derniers préparatifs. Une bonne douche et l’approvisionnement du dernier Kouign-Amman avant un moment, par exemple… Il faut dire que le long du quai au pied de la ville, l’eau était à 8 °C, nous trouvions du givre sur le pont le matin et notre poêle qui tournait non-stop provoquait une importante condensation. Nous nous sommes donc élancés à la première occasion.
Une fois les voiles hissées, la passe franchie juste devant le Vindilis qui partait pour sa rotation vers Quiberon, et enfin la Pointe de Taillefer doublée, nous avons embarqué. A bord du Glagla Express. 5, 6, bientôt 7 nœuds passés les Poulains, cette dernière terre française que nous verrons avant quelque temps. Mais le vent de nord-est qui nous propulse tout droit vers la Galice nous vient de Sibérie ! Il a noyé la Corse et le Midi sous la neige, et si à Belle-Ile il ne gèle pas, on n’en est pas loin ! Notre but est donc de mettre le maximum de distance entre nous et le continent avant la nuit. Car l’eau fraîche est cependant moins froide que l’air et le réchauffe donc. Il n’empêche, malgré le soleil de l’après-midi, malgré la vitesse record de notre Fleur de Sel fraichement carénée (145 milles en 24h) et malgré les nombreuses couches de polaires, nous aurons bien froid durant la nuit… Mais pour mieux apprécier le soleil plus au sud faut-il sans doute avoir quitté le septentrion durant l’hiver ?
De toutes les manières, on ne se lance pas dans une traversée du Golfe de Gascogne avec un vent de sud, donc contraire, mais surtout annonciateur d’un coup de chien. C’est qu’il a une réputation à maintenir, Monsieur GG (Mister BB chez les Anglais, pour Bay of Biscay), et c’est pour cela que nous appréhendions un peu cette traversée. Evidemment, cela n’a pas été de tout repos, mais tout s’est finalement bien passé, et après 56 heures de mer, nous avons pu jeter l’ancre dans la jolie Ria de Cedeira. Bienvenue en Galice !
Le lendemain, un saut de puce nous a menés à La Corogne, plus grande ville de la province, important port de commerce depuis l’Antiquité, comme en témoigne la Tour d’Hercules, phare deux fois millénaire et toujours en activité ! Du haut de cet édifice romain à l’intérieur et néoclassique en façade, nous avons contemplé le site que les fondateurs de Brigantium avaient choisi pour leur ville.
Mais il faut déjà repartir, car le temps nous permet encore de doubler le Cap Finisterre de manière favorable, tandis que des perturbations et vents contraires viendront ensuite nous en interdire le franchissement de cet autre passage délicat pendant une semaine au moins. Nous nous élançons donc rapidement vers l’ouest puis le sud, emmenés par Fleur de Sel la rapide, qui fonce toujours. Nos déboulerons donc le long de la Costa da Muerte, ce bout de côte on ne peut plus inhospitalière, qui présente très peu d’abris entre des caps imposants. Nombreux sont les navires qui ont fait naufrage dans ces parages. Et pour couronner le tout, nous lisons même que l’on trouve encore aujourd’hui des loups dans l’arrière-pays !
Heureusement le soleil brille, la mer s’est déjà notablement réchauffée (12°C) et les cabrioles des dauphins et des fous de Bassans autour de Fleur de Sel dans une mer agitée mais poissoneuse, nous donnent le sourire. Néanmoins, nous ne nous éternisons pas, car le vent doit tourner bientôt. Fleur de Sel surfe donc sur la houle, et atteindra sans encombre les Rias Baixas en milieu de nuit.
Le préposé (charmant) de la marina de La Corogne nous l’a dit à la VHF, « Adelante, Fleur de Sel ! » On pourrait traduire cela par, « A toi, Fleur de Sel ! », mais aussi par « En avant, Fleur de Sel ! » Et c’est bien de cela qu’il s’agit en ce début de voyage. A toi de jouer, notre fier bateau, et mène-nous loin, vite, et sûrement.