Sous le Vent des Iles
Ce sont les Iles Sous le Vent, et la première est là devant nous au lever du jour : Huahine. Contrairement aux Iles Sous le Vent des Antilles, qui ne sont pas vraiment sous le vent, c’est-à-dire en aval dans le sens de la circulation dominante, ici la navigation se fait au portant depuis Tahiti et Moorea (les Iles du Vent). La nuit a été calme, et Fleur de Sel a bien avancé sauf dans quelques molles. Il ne faut pas confondre Huahine et Vahine, même si ce n’est pas un hasard si leurs noms se ressemblent. Huahine a décidément quelque chose de féminin. Vahine en tahitien c’est tout simplement la femme. Huahine, on nous l’apprendra sur place, signifie « sexe féminin ». C’est certainement parce que l’île est en fait deux îles, séparées par une entaille. Il y a la « grande île » au nord, Huahine Nui, et la « petite île » au sud, Huahine Iti. Et comme pour bien s’assurer du graphisme de la chose, un piton s’élève le long de l’indentation qui les sépare, et en tahitien c’est bien-sûr le « Pénis de Hiro », Hiro étant la grande divinité polynésienne.
Mais il ne faut pas s’arrêter à cette image peut-être un peu crue pour un occidental, bien au contraire. Nous nous dirigeons d’ailleurs directement entre les deux îles, et une fois passée la passe, nous découvrons l’immense Baie de Maroe. Elle prolonge la Baie de Bourayne que nous avions visitée en novembre et un étroit chenal que franchit un pont les relie. Nous sommes entourés de collines, et même de sommets assez hauts, verdoyants au possible, évidemment, et tout est tranquille. Nous passons plusieurs nuits dans ce havre paisible, et nous y profitons des lumières merveilleuses, tandis qu’à d’autres moments le temps n’est pas fameux. Ca nous permet de refaire un peu d’eau ! A l’occasion d’une promenade à terre, nous nous trompons sur l’état du ciel et c’est la douche générale. Heureusement on réussit à se réfugier sous l’auvent d’une maison. Puis nous rebroussons chemin pour aller nous promener dans l’autre sens. Alors une voiture passe et nous demande si nous nous rendons en ville. Non, nous pensions n’aller que jusqu’au pont. Mais en fait pourquoi pas ?
Léonard et Jeanne nous emmènent donc jusqu’à Fare, le principal village de l’île, sur la côte ouest, et c’est l’occasion d’acheter un peu de frais et de voir l’ambiance tranquille qui règne ici. Au retour, Léonard s’arrête nous montrer une pierre avec une empreinte géante. Selon la légende c’est celle d’un chien qui aurait sauté d’île en île jusqu’au Maupiti ! Et puis de retour à bord, nous décidons de changer un peu de demeure, en allant jusqu’au motu de la côte est. Le courant est fort dans le lagon, et nous poussons un peu plus loin qu’il n’est raisonnable. Mais une fois engagés entre les patates de corail, impossible de faire demi-tour. Nous espérons simplement réussir à ressortir !
Entre-temps nous profitons encore d’un très joli coin tout tranquille. Tout comme à Maroe, nous sommes le seul voilier au mouillage, tandis que nous en avons dénombré dix devant Fare ! Il n’y a qu’une ou deux vedettes de touristes qui passent dans la journée et il n’y a pas de pension touristique dans le coin. Huahine, c’est vraiment l’île authentique. Les gens y sont merveilleux, et alors que je démonte, nettoie et remonte le moteur hors-bord encore une fois (il est un peu capricieux ces temps-ci), Moana vient m’apporter des conseils. Il habite juste en face, sur le motu, et les moteurs il connait puisqu’il est pêcheur à ses heures perdues (c’est-à-dire dès midi où il a terminé son travail de jardinier). Finalement la discussion portant sur la pêche, et ayant appris notre médiocrité en la matière, il reviendra plus tard nous offrir des vieux leurres qu’il n’utilise plus. Ainsi que des cocos germées. Au goût, ça ressemble à une vieille pastèque un peu sèche, on ne raffole pas.
Et puis, après avoir fait un bon snorkeling dans le courant (en dérivant avec l’annexe), puis en étant allés se promener sur le récif y ramasser des coquillages, nous levons l’ancre pour faire le tour de Huahine. La sortie se fait finalement sans souci, en profitant d’un moment où le courant a molli. Après les deux dernières soirées où nous avons subi des averses d’une sacrée violence, le temps est passé au beau fixe et une bonne brise nous rend la navigation agréable. Côté ouest, une fois entrés dans le lagon, nous poussons jusqu’au bout, dans la baie d’Avea. Mais les collines y sont un peu trop pelées à notre goût et le lendemain nous rebroussons chemin jusqu’à Fare. Nous y retrouvons nous amis de Muscade, avec qui nous étions à Fakarava. C’est l’occasion de prendre un bon verre ensemble !
Mais nous nous quittons déjà le lendemain. Nous reprenons la route sous le vent des îles, direction Raiatea que l’on voit bien juste en face. Le vent doit mollir dans ces prochains jours, autant faire la traversée avant. Nous y sommes accueillis par le spectacle grandiose qu’ont du voir de nombreux navigateurs. Ils n’arrivaient pas comme nous à bord d‘un cotre moderne, mais plutôt à bord de pirogues océaniques. Car la Passe Teavamoa est la « passe sacrée », celle qui mène au grand Marae de Taputapuatea, dont je vous reparle tout de suite. Quelque chose d’insaisissable et d’indicible nous saisit au cœur, lorsqu’on admire les Monts Taeatapu et Oropiro juste en face.
Dans l’immédiat, nous mettons d’abord le cap sur la baie de Faaroa pour la nuit, et à peine arrivés, nous mettons vite l’annexe à l’eau pour aller explorer. Nous avons de la visite : les Douanes. Heureusement, ils n’ont pas l’air d’humeur à nous chercher des ennuis et nous évitons la fouille du bateau. Pas que nous cachions quoi que ce soit, mais des amis se sont vus confisquer leurs coquillages, et certains se sont même fait amender de 1’000€ pour un dépassement de 6 bouteilles d’alcool par rapport à la limite autorisée. De ce côté-là, nous avions fait le nécessaire à Papeete pour être en règle, mais on ne sait jamais ce qu’ils auraient pu trouver d’autre. La visite est finalement de courte durée et nous pouvons profiter qu’il fait encore jour pour faire l’excursion prévue : remonter la seule rivière navigable de Polynésie. Oh, ce n’est pas très long, un mille environ, mais l’ambiance n’a rien à voir avec ce que nous avons vu jusqu’ici : nous zigzaguons dans la verdure au fond de la vallée. Les arbres nous entourent parfois de très près, c’est un environnement très joli.
A l’entrée de la rivière, nous rencontrons James, qui semble être chargé de l’accueil des touristes, et qui nous invite ce soir là à aller voir la répétition des danses prévues pour le Heiva. Le Heiva, c’est l’ensemble des fêtes, spectacles et réjouissances organisées tout au long du mois de juillet pour le 14 juillet. Nous ne serons plus en Polynésie à cette date-là, dommage car il parait que c’est inoubliable. Alors nous sautons sur l’occasion ! Dans la nuit, ils sont une quarantaine de danseurs et surtout de danseuses, adolescents et jeunes adultes, à répéter plusieurs chorégraphies. Les musiques sont d’inspiration polynésienne traditionnelle (percussions), polynésienne moderne (ukulele), et parfois religieuse. Les garçons, peu nombreux, ont des gestes plutôt tribaux, tandis que les filles multiplient les mouvements gracieux des bras et les déhanchements envoûtants. C’est très sympa, surtout que tout le village est là ou presque, à les regarder s’entraîner soir après soir. C’est que les concours qui ont lieu lors du Heiva sont pris très au sérieux !
Le lendemain matin, James nous fait encore visiter le jardin botanique, en nous donnant tous les noms des plantes et fleurs qui s’y trouvent, et nous gratifie à la fin d’un beau régime de bananes et de cocos vertes bien rafraîchissantes. Et puis nous continuons notre programme rapide, en revenant vers le Marae de Taputapuatea. L’escale est brève, juste le temps d’aller voir ce lieu sacré, qui avait jadis un rayonnement dans toute la sphère polynésienne, de Hawai’i à la Nouvelle-Zélande, des Samoa aux Marquises. L’ancien nom de Raiatea était d’ailleurs Havaiki, à rapprocher de Hawai’i mais aussi de Savai’i (aux Samoa) et de Hapai’i (aux Tonga). C’était la terre originelle mythique, et c’est traditionnellement là où les premiers colons polynésiens auraient débarqué à Raiatea, là aussi d’où ils seraient repartis peupler les Marquises, Hawai’i et la Nouvelle-Zélande. Des interactions qu’il est bien difficile de saisir pour nous européens, tant le Pacifique est immense. Le Marae lui-même est composé de plusieurs plateformes de pierres et des banyans sacrés apportent de l’ombre à ce site tranquille. Raiatea, d’ailleurs, signifie « ciel brillant », et nous ne sommes pas déçus, car nous profitons d’un fabuleux beau temps pendant ces quelques journées.
En route, donc ! Nous continuons autour de Raiatea, suivant le chenal qui se faufile entre l’île et le récif. Pour la nuit, nous faisons halte au Motu Naonao, jolie île paradisiaque si ce n’étaient les nombreux panneaux propriété privée. Apparemment le nouveau propriétaire ne se gène pas pour tenter d’expulser les gens de l’île, quand bien même le littoral est public. Nous ne tenterons même pas la confrontation avec les gardiens, en restant sagement à bord, et notre seule excursion sera chaussée de palmes. Le snorkeling ici est très très bon, et de nombreuses patates de corail ainsi qu’un joli tombant nous donnent l’occasion de voir de nombreux poissons. Quelques poissons ballons étoilés traînent d’ailleurs autour du bateau en permanence, et ne sont absolument pas farouches ! La suite du tour de l’île nous demande de ressortir en mer sur 6 milles, là où le lagon est trop peu profond pour nous. Le vent daigne plus ou moins jouer le jeu et nous permet d’atteindre Uturaerae avant la nuit. C’est le grand centre du yachting à Raiatea, puisqu’on y trouve une marina et deux chantiers navals, en plus de la marina de la « capitale » Uturoa. En revanche, le mouillage est plus délicat. Afin d’éviter de devoir payer à prix d’or un corps-mort, ou de devoir mouiller dans 25-30m de fond, nous jetons l’ancre sur le platier de sable un demi-mille en face. Seul petit problème : par endroit il y a beaucoup de corail et en cherchant un bon emplacement pour mouiller, nous venons racler la coque sur l’une d’entre elle. Aïe la peinture neuve ! Nous en serons quittes pour une bonne rayure sous le bateau… Sans parler de la pauvre patate transformée en flocons de purée, heureusement elle n’avait plus l’air vivante.
A Raiatea, nous cogitons beaucoup : les conditions semblent idéales pendant quelques jours pour se rendre à Maupiti, la petite dernière des Iles Sous le Vent. Pourtant, en face de Raiatea, il y a encore Tahaa, que nous connaissons cependant déjà. Et Bora Bora, la célèbre, celle qui fait saliver plus d’un vacancier, à force de voir les photos de bungalows pieds dans l’eau dans les vitrines des voyagistes. Mais voilà, nous avions déjà décidé que Bora Bora ne serait pas notre escale de longue durée. L’île est belle, certes, avec sa montagne en forme de molaire penchée. En plus, lorsqu’on tourne autour elle change systématiquement d’aspect. Mais nous avons la chance de pouvoir découvrir tant d’autres îles moins envahies par les touristes venus prendre le soleil, par les bateaux de croisière un peu massifs, et par les people en mal de restos chics (et chers !). Tant pis aussi pour Tahaa, où nous espérions peut-être trouver une plantation de vanille à visiter. Mais cela semble difficile de toutes les manières. Tant pis enfin pour la montée au Mont Tapioi, au-dessus d’Uturoa, d’où la vue est parait-il superbe. Il faut bien faire des choix.
A la place, nous employons les deux jours que nous passons au nord de Raiatea à faire quelques courses : dernier avitaillement sérieux, en complétant nos produits frais. Et passage chez le shipchandler du chantier naval pour y trouver quelques bricoles. Encore un petit snorkeling sur le tombant où nous sommes mouillés et j’ai le plaisir de côtoyer une grande raie. Visite enfin à la gendarmerie d’Uturoa, qui nous produit le papier de sortie définitive du pays. C’est que lorsque nous serons à Maupiti, il n’y aura pas de gendarmerie pour pouvoir faire nos formalités.
En route, avec une petite halte sur Tahaa pour la nuit, au fond de la Baie de Hurepiti que nous voulions voir. Elle a l’avantage d’être en face de la passe qui permet de sortir du lagon, et c’est le tremplin idéal pour traverser jusqu’à Bora Bora (le vrai nom polynésien est Porapora, il n’y a pas de B en tahitien, mais l’erreur de transcription est restée). Espérons que nous pourrons effectivement entrer dans le lagon de Maupiti. A ce qu’on en a entendu dire de tous côtés, si l’île elle-même parait enchanteresse, son lagon superbe et sa population accueillante, en revanche la passe a une toute autre réputation. Véritable cimetière à bateaux, balayée par un courant violent et qui fait déferler la houle lorsque celle-ci est trop importante, il faudra être prudents. C’est justement cela qui nous pousse à saisir cette occasion de nous y rendre. Et assurément, ce sera certainement un meilleur au-revoir aux Iles Sous le Vent que de terminer par le tourisme industriel de Bora Bora.