Grand bricolage de printemps sur la Costa Verde
Alors que nous attendions du vent, c’est par une belle pétole que nous avons rallié la Costa Verde, et c’est grâce au moteur que nous avons pu mouiller avant qu’il ne fasse noir. Ilha Grande, Angra dos Reis, Paraty, chacun y va de sa préférence pour désigner la baie dans laquelle nous nous sommes rendus, à 70 milles à l’ouest de Rio. Mais nous avons noté que les brésiliens parlent aussi de cette immense zone en la regroupant sous le vocable Costa Verde, ce qui semble très approprié. En effet, pas de doute possible, le vert est ici roi. Imaginez un dédale d’îles elles-mêmes entourées d’îlots, et de baies au fond desquelles se trouvent encore ici ou là de multiples criques (les sacos, alias culs-de-sac), le tout coiffé par la Mata Atlântica. C’est ainsi que s’appelle la forêt tropicale qui couvrait jadis tout le littoral, et qui est aujourd’hui réduite à 11% à peine de sa superficie de 1500, lorsque les Portugais ont découvert le Brésil… Mais sur la Costa Verde, dans la partie occidentale de l’état de Rio de Janeiro, on peut encore bien s’imaginer la vision qu’ont du avoir les premiers explorateurs. Des collines et des montagnes, tapissées d’arbres, d’arbustes, de buissons, d’herbes, qui ont en commun leur couleur émeraude, qui semble même déteindre sur l’eau, comme si la peinture de l’artiste avait coulé vers le bas du tableau.
Il est impossible de goûter à tous les mouillages que pourrait proposer la Costa Verde, car il faudrait bien plus de temps que le maximum de 6 mois autorisé pour notre séjour au Brésil. Nous avons tout de même prévu plusieurs semaines pour explorer ce petit coin de paradis, mais guère plus car il nous faudra sans tarder reprendre la mer cap au sud. Il a donc fallu faire un choix, et nous avons donc visité quelques criques dans chaque coin de cet univers couleur chlorophylle. A Ilha Grande, tout d’abord, nous avons notamment goûté à l’eau même pas ridée du Saco do Céu – céu signifiant le ciel, car la nuit les étoiles se reflètent dans l’eau calme. Puis ce fut un tour vers Angra dos Reis, la grande ville de la région, pour faire l’avitaillement et les formalités. Ensuite, nous avons pas mal traîné dans la Baía da Ribeira, où l’eau est belle et les îles sont escarpées et rigolotes. Un petit passage à la marina de Bracuhy, qui nous accueille 3 jours gratuitement au fond de la baie, nous a permis de faire le plein d’eau et la lessive. Enfin, le temps passant, nous avons avancé un peu vers Paraty, une très jolie petite ville coloniale. Un peu belle au bois dormant à peine réveillée, par le tourisme bien-sûr, Paraty se rappelle encore son heure de gloire au moment de la ruée vers l’or. Alors débouché unique pour charger le précieux métal venu de la province du Minas Gerais, la cité a vu la construction de superbes maisons blanchies à la chaux, de petites églises baroques, pour finalement s’assoupir en douceur une fois le boom de l’or retombé. Enfin, immédiatement au sud de Paraty, nous avons découvert des paysages ressemblant un peu à des fjords, du côté du Saco de Mamanguá et de l’Ilha Cotia, en y retrouvant immédiatement le calme des coins perdus alors que nous ne sommes qu’à deux pas de l’agitation des centres touristiques.
Trois semaines pour faire 30 milles à vol d’oiseau, ce n’est évidemment pas une progression fulgurante. C’est que nous avons bien pris notre temps dans les petits mouillages de la Costa Verde, histoire de profiter des petits coins perdus, des commodités des ports, et des jolis endroits propices à la visite. Mais la Costa Verde n’est pas à proprement parler un havre de solitude, car c’est le lieu de villégiature préféré des Cariocas et des Paulistas, les habitants aussi bien de Rio que de São Paulo. De temps à autres entourés d’une horde de bateaux à touristes, d’autres fois mouillés entre deux ou trois bateaux de pêche, ou encore parfois en compagnie de plaisanciers brésiliens, telle était notre voisinage. Les premiers sont facile à reconnaitre, ce sont les mêmes escunas que partout ailleurs au Brésil : des goélettes dont on se demande à quoi servent les mâts haubanés comme dans l’ancien temps. En effet, le planning du méga-tour des 35 plages de la baie en trois heures n’est tenu que grâce au puissant moteur. Malheur à vous si vous avez mouillé non loin, car elles passeront sans relâche du matin au soir à balader des chargements entiers de touristes au son des derniers tubes américains, et vous danserez dans votre bateau non pas à cause de la « douce » mélopée, mais bien en raison des vagues incessantes dont ils vous gratifieront en passant à 5 mètres de vous, à peine.
Quant aux derniers, ils se rangent principalement en deux catégories. Il y a les voileux, qui naviguent souvent sur de très petits voiliers de construction amateur, et il y a les « yachtsmen », c’est-à-dire ceux qui circulent sur une vedette à moteur. Souvent énormes, ces monstres sont manœuvrés par un équipage permanent de marineros, épaulés par une marinera qui se charge probablement de la cuisine et du ménage à bord lorsque le monstre flottant est vraiment monstrueux, tout cela pour le compte d’un riche et vieux propriétaire qui vient se réfugier sur son « yacht » parfois en galante compagnie. Le hic, c’est qu’ils circulent à toute vitesse, mouillent n’importe où (y compris à quelques mètres de votre chétif voilier paisiblement à l’ancre dans une anse reculée), et vous font partager leur sélection musicale pas toujours du meilleur goût. Heureusement, le plus souvent, il ne s’agit que d’une sortie de l’après-midi, pour épater la donzelle ou pour s’enivrer entre copains, et deux heures plus tard ils vous laissent retrouver la paix et la tranquillité. En revanche, lorsqu’ils passent la nuit, oubliez la quiétude, car non seulement le mouillage sera illuminé de mille feux, mais en plus le groupe électrogène tournera toute la nuit… Si seulement ils savaient qu’un véritable yachtsman doit aussi apprendre un minimum de savoir-vivre !
Eh oui, tout n’est pas rose sur la Costa Verde (et pour cause !), et on en vient parfois à plaindre les pauvres pêcheurs, établis là depuis toujours. Mais ils y trouvent aussi leur compte, en pouvant vendre leurs prises à tout ce petit monde. Les guides ont beau vanter un « paradis pour l’écotourisme », on se demande ce que signifie exactement ce terme, car le développement touristique a bien lieu. Nous avons d’ailleurs été déçus par le nombre de déchets sur l’eau, mais heureusement on ne trouve pas (encore) de grandes barres de béton au bord de la plage, car la nature se défend bien : la montagne et la forêt rendent l’accès difficile dans les multiples recoins des baies et des îles. Mais si la Costa Verde est verte, il y a un ingrédient dont nous avons oublié de parler : l’eau ! Depuis notre arrivée, elle a choisi de nous tomber dessus sans relâche, les dernières dépressions hivernales apportant régulièrement leur lot de nuages. Les jours ensoleillés se comptent donc sur les doigts d’une main, et quoi de mieux que de profiter de ce temps maussade pour faire un grand bricolage de printemps ?
L’hiver vient de se terminer pour nous, et nous avons retrouvé la motivation pour avancer dans notre très longue liste de choses à faire grâce à l’entrain dont fait preuve l’équipage d’un autre bateau. A toutes les petites choses qui restaient à faire en quittant la Bretagne, et que nous n’avons pas encore faites, étaient venues s’ajouter d’autres travaux encore, ainsi que de l’entretien régulier à faire. Nous avons donc mis à profit ces trois semaines pour, en vrac :
- Poser le projecteur de pont – pas facile de faire de la soudure à mi-hauteur du mât
- Episser un œil avec cosse sur notre câblot de mouillage – pour les connaisseurs, la théorie a beau être la même que pour un cordage à 3 torons, la pratique est nettement plus ardue sur une squareline !
- Reposer la glace d’un de nos hublots latéraux – ne reste plus que l’étanchéité de 5 autres panneaux à refaire !
- Faire l’inventaire de nos provisions de conserves et d’épicerie sèche, ainsi que de nos boissons
- Assembler une échelle de corde – comme aide à la récupération d’un homme à la mer, au cas où
- Reposer une anode en bout d’arbre d’hélice – la précédente était déjà morte, il fallait donc la changer, mais sous l’eau !
- Refaire et surlier les extrémités de plusieurs aussières et cordages
- Poser un deuxième filet de rangement dans la chambre
- Reposer les attaches de certains rideaux du carré et de la chambre
- Installer une toile anti-roulis dans le carré – elle faisait cruellement défaut en navigation, espérons que les fixations tiendront bien !
- Refaire les supports de l’échelle de descente
- Brancher la jauge à carburant – grâce à deux boutons poussoirs qui évitent les courants de fuite
- Poser des serre-câbles derrière les tableaux électriques
- Refaire l’étanchéité des boulons de dérive arrière
- Installer un nouveau voltmètre pour la batterie moteur
- Préparer une aussière avec mousqueton pour prise de bouée avec la gaffe
- Installer une prise 12V dans le carré – pour pouvoir y brancher les appareils à charger, tels qu’ordinateur ou haut-parleurs
Tout cela en plus de l’entretien courant, ce qui veut dire à l’intérieur le ménage ordinaire et moins ordinaire – nettoyage du réservoir d’eau par exemple – et à l’extérieur –nous avons plongé de nombreuses fois pendant plusieurs heures afin de nettoyer la coque des envahisseurs qui tentent de la coloniser. Malheureusement, ces anatifes et algues clandestins viennent progressivement à bout de notre antifouling, et il nous faut œuvrer de plus en plus souvent, alors nous profitons de l’eau encore chaude avant que la température ne périclite ! En revanche, la réussite n’a pas été au rendez-vous lors de notre tentative de remplissage de la bouteille de gaz vide. Il nous faudra trouver un autre endroit qu’à Paraty pour refaire nos réserves avant d’attaquer le grand sud. Enfin, on regarde un peu plus loin et nous avons commencé à préparer la suite du voyage, Heidi en commençant la lecture du guide touristique sur l’Argentine, moi-même en préparant la navigation le long de ce parcours des plus exigeants…
2 Replies to “Grand bricolage de printemps sur la Costa Verde”
Salut Guillaume et Saveria,
C’est marrant je pensais à vous il y a quelques jours à Rio, mais j’étais loin de vous imaginer sur la Costa Verde… Mais ça nous rappelle de bons souvenirs, merci ! 🙂
Mais même si nous avions passé plusieurs semaines dans le coin, d’une part c’est grand et d’autre part il ne faisait pas très beau. Résultat : nous n’avions pas testé tant de mouillages que ça, et la moitié du temps leur choix était dicté par le souci d’être protégé du vent qui pouvait devenir capricieux avec les fronts du printemps. Mais nous gardons de beaux souvenirs du Saco do Ceu. Il parait qu’il y a moyen de grimper au sommet d’Ilha Grande au départ d’une au moins des baies de l’île, mais nous ne l’avions pas fait. Sinon il y a la Baía da Ribeira que vous avez faite, mais si je me rappelle bien pas mal de monde. Et sinon il y a le coin de Paraty, mais c’est loin de Bracuhy, et pour visiter la ville c’est aussi bien d’y aller par la terre. Mais juste à l’est il y a deux “fjords” sympas dont on garde un bon souvenir. Nous avions mouillé à Ilha Cotia et dans le Saco Mamanguá. A vous de choisir ! 😉
Et puis pour terminer, si jamais vous poussez une bonne distance vers le nord-est de Rio, ne loupez pas les Abrolhos. C’est loin (profiter peut-être d’une virée vers Salvador ?), mais c’est beau, et y aller de préférence à la saison des baleines !
Salut Nicolas, salut Heidi,
En vous lisant il y a bientôt cinq ans, j’étais loin d’imaginer que nous irions un jour découvrir la baie d’Ilha Grande ! C’est chose faite depuis le week-end dernier, où nous avons profité d’un week-end de trois jours pour louer un bateau à Porto Bracui. Pas trop de changement depuis votre passage, les énormes vedettes et les escunas sont toujours là, et frôlent toujours d’aussi près les tableaux arrière des voiliers au mouillage. Et la côte est toujours aussi belle, ça nous donne envie d’y retourner dès que l’occasion se présentera. Vous avez un mouillage en particulier à nous recommander ?
Um abraço,
Guillaume et Saveria