BLU à bord
A ne pas confondre avec le blues à bord, que la BLU peut amener de temps en temps, selon ce qu’elle nous envoie. Car la question ici est comment recevons-nous les prévisions météos lorsque nous sommes loin de toute civilisation ? En effet, la précision, fiabilité et diffusion des informations météorologiques de nos jours permettent une navigation de plaisance de très loin beaucoup plus sûre et agréable qu’il y a quelques années. Encore faut-il avoir accès aux informations disponibles.
Il y a bien sûr le Navtex qui a été décrit dans un article précédent. Il nous donne de bons résumés de la situation et des prévisions météos, des avis de tempêtes ou autres dangers. Sur la VHF, des stations émettent également régulièrement des bulletins météorologiques pour les zones maritimes les concernant. Ici, nous aimerions faire une mention spéciale aux Stornoway Coastguard qui sont en charges des Hébrides, de Ardnamurchan Point à Cape Wrath – deux caps phares dans une croisière en Ecosse. L’accent local est tellement charmant. Quand la visibilité est annoncée à la fin du bulletin, quasiment chaque jour la même, “mainly good , occasionnally purrrrr” (au lieu de “poor”), on en sourit gentiment. C’est tellement mieux que l’accent d’Oxford. Mais, pour en revenir à nos moutons (pas les écossais), on peut recevoir les bons émetteurs VHF à maximum 30 milles nautiques (50 km) et en plus il est intéressant de voir les cartes de pressions pour avoir une meilleure idée de la situation générale et de sa progression, même proche des côtes.
Alors, tous les jours, à heures fixes, qu’on soit proche des côtes ou en traversée, nous enclenchons un petit appareil qui n’est rien d’autre qu’une radio. Elle permet de recevoir des données en hautes fréquences (HF), visibles au format de fax à l’écran de notre ordinateur et que l’on peut recevoir à des milliers de kilomètres selon la gamme de fréquences. Ce petit appareil est tendrement surnommé récepteur B.L.U. en français (Bande Latérale Unique) ou S.S.B. en anglais (Single Side Band). Il existe plusieurs stations dans le monde qui émettent des fax météo à heures fixes sur certaines fréquences données (entre 2 et 19 MHz en gros) dans le monde entier et les bateaux peuvent capter ces informations vitales pour prendre les routes les plus sûres ou du moins pouvoir anticiper les conditions de navigation. Nous n’arrivons pas à recevoir tous les émetteurs et nous avons essentiellement capté les fax envoyés d’Allemagne (Hambourg) et du Royaume-Uni (Northwood) lors de tout notre voyage et encore la qualité n’était toujours pas la meilleure selon où nous nous trouvions. Mais c’est, par exemple, grâce à un fax BLU que nous avons vu une grosse dépression très creuse sur notre chemin et avons changé de cap entre les Lofoten et les Iles Féroé.
Pratiquement, il faut connecter la BLU à l’ordinateur et un programme spécial permet de démoduler le signal pour nous montrer une belle image, par exemple le tracé des isobares au sol, carte la plus utilisée nous concernant. Bon, pour information, il lui faut aussi une très longue antenne extérieure qui doit être connectée à l’appareil. Sur Fleur de Sel, un pataras isolé remplit ce rôle. Donc par BLU, nous pouvons recevoir les cartes météo de la situation actuelle, dans 24 heures et jusqu’à 120 heures (et d’autres documents que nous utilisons beaucoup moins, entre autres les mouvements des glaces pour des expéditions encore plus aventureuses que la nôtre ou pour les bateaux commerciaux qui font ces routes régulièrement).
Grâce à cette carte des isobares au niveau du sol (car il en existe aussi le tracé des pressions en altitudes, mais leur interprétation est plus ardue), nous pouvons surtout déduire la direction du vent, car celle-ci sera presque parallèle aux isobares (dans le sens des aiguilles du montre autour d’un anticyclone et contraire autour d’une dépression), ainsi que la force du vent. En effet, plus les isobares se resserrent, plus le vent soufflera et plus ils s’écartent, plus le temps sera calme. Pour être précis, la distance qu’il faut entre deux isobares pour déterminer la force du vent dépend également de la latitude. Plus on va vers les pôles, plus les isobares ont besoin d’être resserrés pour avoir du vent fort. Une courbe qui estime la force du vent en fonction de l’écartement des isobares et la latitude est d’ailleurs inclue sur les cartes anglaises. Sur ces cartes d’analyse de surface, nous voyons aussi la situation des fronts qui permettent d’extrapoler le temps qu’il va faire. Ce qui manque avec ces cartes c’est l’état de la mer, mais on peut le déduire du vent. En général, si le vent a bien soufflé pendant quelques temps dans une même direction sur une mer ouverte, on sait qu’on préfère si possible éviter cette zone car c’est là que les vagues seront les plus hautes.
Nous savons donc grossièrement pour la région dans laquelle nous naviguons d’où va venir le vent, à quelle force il soufflera, et comment il devrait se développer. On sait que si on l’aura dans le nez, la route sera beaucoup plus pénible et plus longue, que si on aura un vent portant, sur une mer pas trop agitée, Fleur de Sel pourra foncer sans que nous nous en rendions compte ou presque. Le problème est qu’avec la BLU, au mieux, nous avons les prévisions pour des intervalles de 24 heures. Ce qui donne déjà une bonne idée mais n’est pas très précis si on veut choisir sa route au mieux en fonction de la direction et la force du vent : il peut se passer beaucoup de choses en 24 heures ! Pour cela, il existe aussi ce qu’on appelle des fichiers GRIB qui permettent d’avoir une situation assez précise du vent pour une zone définie toute les 3 heures, mais pour les recevoir il faut une connexion internet ou satellite. Il y a d’ailleurs énormément d’informations météorologiques disponibles sur le net, y compris des photos satellites, et nous prenons ce que nous pouvons dès que nous trouvons une connexion. Mais il n’y pas encore de WiFi ouvert partout, et de toute manière pas dans les petits mouillages dans les baies abritées des Highlands (heureusement d’ailleurs).
En tous les cas, l’expérience d’autres navigateurs nous recommandaient d’être au sud du Cape Wrath (au nord de l’Ecosse) avant le 31 août et nous comprenons pourquoi. Même à partir de la mi-août déjà, le temps au nord se dégradait sensiblement, en plus des journées qui raccourcissent de manière vertigineuses. Nous l’avons surtout vécu aux Iles Féroé. Lorsque nous y étions, le premier ouragan fort de la saison en Amérique du Nord a complètement bouleversé le temps dans tout l’Atlantique Nord. La météo devenait imprévisible et les prévisions changeaient toutes les 6 heures (nous avions une connexion internet). Maintenant, la saison des cyclones s’est établie de l’autre côté de l’Atlantique et le temps s’est stabilisé : nous sommes dans le train de dépressions courant en cette période de l’année.
Avec l’automne qui s’approche, la probabilité d’avoir de forts coups de vents augmente petit à petit. Nous verrons ce qui nous attend. En tous les cas, il nous faudra donc faire avec et descendre tranquillement vers le sud. Parfois, attendre quelques jours que les plus grosses dépressions passent et éviter les coups de vent, puis faire de plus longues distances quand le temps nous permet d’avancer. Nous aimerions quand même bien la voir cette côte ouest irlandaise qui, dans nos imaginaires, est remplie de légendes et de musiques dansantes ou mystiques. Elle est battue par les vents forts d’ouest et ouverte à la mer, mais semble offrir également de bons abris aux bateaux le long de sa côte déchiquetée. Pour le moment, le vent du sud ne nous permet d’avancer que doucement vers notre but et nous devons nous aider du moteur pour ne pas trop trainer, en attendant le prochain fax BLU.
N.B. Si ça en intéresse certains, nous pourrons donner plus de détails techniques sur la manière de procéder dans un futur article.
2 Replies to “BLU à bord”
Re bonjour Heidi & Nicolas,
Pourriez-vous décrire plus précisément votre “très longue antenne extérieure” ? Longueur, connection, filtres …
Merci et bon vent
Philippe
Intéressant, et assez convaincant !