Les Marquises du Sud
Déjà une semaine s’est écoulée depuis notre arrivée dans la baie de Hanavave sur la petite Fatu Hiva. Il est temps de mettre le cap au nord et de jeter un coup d’œil aux autres îles de l’archipel. Vu la distance à parcourir jusqu’à Hiva Oa, pour être sûrs d’y atterrir de jour, nous levons l’ancre au milieu de la nuit, éclairés par la lune. Les seules autres lumières sont l’Aranui et quelques pécheurs sur la pointe. Une petite navigation tranquille commence et nous visons la pointe Est de Hiva Oa dans l’espoir de mouiller – éventuellement – dans une des baie du Nord de l’île, à Puamau. Ce petit village endormi sous le cocotier possède un site archéologique avec quelques grands tikis (statues marquisiennes) en pierre pas trop mal préservés et mis en valeur pour les touristes. La houle du nord se sera t’elle assez calmée pour nous laisser nous abriter dans cette baie ?
Au lever du jour, nous nous faisons rattraper par l’Aranui qui continue inlassablement sa tournée des Iles Marquises. Il reviendra à Fatu Hiva dans 3 semaines avec sa nouvelle cargaison et ses nouveaux touristes. Nous longeons les falaises de l’île Mohotani qui s’étend du nord au sud. Elle est assez haute pour faire tourner le vent au nord et nous renvoyer un peu de ressac de la houle. A l’approche de la pointe Est de Hiva Oa, alors que les fonds remontent, il nous est de plus en plus clair que de bons trains de houle du nord sont encore présents et qu’il ne serait probablement pas raisonnable de tenter de mouiller dans le Nord de l’île. L’approche d’un bon grain bien noir et renforcé par les montagnes de l’île, nous décide à abattre et aller vers Atuona, le village et port principal, sur la côte sud de l’île. Les lumières du grain sur l’île au matin donnent un côté encore plus dramatique aux pointes rocheuses de la côte Est. En début d’après-midi, nous rentrons dans la baie de Tahauku, où se trouve le petit port relativement bien protégé. Ici il y a déjà six voiliers au mouillage et nous nous faufilons pour trouver une petite place. Nous mouillons une première ancre à l’avant et une autre ancre à l’arrière pour rester face à la houle et réduire notre évitage (c’est à dire, la place dont nous avons besoin à l’ancre).
Nous remarquons vite que personne ne nous prendra en auto-stop pour faire les trois kilomètres qui nous séparent du village. Et faire ce trajet sur le béton, sans ombre et par une chaleur étouffante ne nous amuse pas longtemps. Nous faisons néanmoins notre visite au gendarme, quelques courses, une balade vers le cimetière où reposent Brel et Gauguin – que nous prolongeons jusqu’au Belvédère d’où la vue sur la vallée et le Mont Temetiu (1’213m) est superbe. Nous trouvons même un tour de l’île pour le lendemain, en nous joignant à trois équipiers d’un autre voilier, et cela nous mène sur les belles routes de montagne (et pistes) de Hiva Oa. Les vues sont superbes, vertigineuses parfois. Notre chauffeur, Marie-Jo, nous fait des arrêts fruits que nous ramassons allègrement: mangues, goyaves, pamplemousses, citrons…
A Puamau, où nous n’étions finalement pas allés en voilier, nous visitons rapidement le fameux petit site de tikis et mangeons un repas marquisien dans un petit snack. Puis après une petite balade la long de la plage, nous repartons pour la route inverse, avec juste un petit arrêt pour aller admirer le petit tiki souriant tout seul dans la forêt. Le lendemain, après un plein de légumes, de poisson et de pain, nous décidons de partir vers l’île de Tahuata au sud-ouest. Hiva Oa est jolie, mais ne nous a pas charmé et le contact avec les locaux est difficile.
Quelques dauphins nous saluent à l’entrée du Canal du Bordelais (nommé Haava en marquisien) entre Hiva Oa et Tahuata. Nous n’avons aucun courant dans ce passage alors que la carte indique jusqu’à 1,9 nœuds de courant. Par contre, nous avons le plaisir de voir frétiller au bout de notre ligne de pêche un joli mahi-mahi. Evidemment, c’est juste au moment où nous venons de faire provision de poulet et de thon, qui nous attendent déjà au frigo, et nous avons donc fait sécher la moitié de notre prise.
Sur Tahuata, en passant devant le mouillage populaire de Hanamoenoa, nous apercevons déjà quatre voiliers se balançant devant la grande plage de sable blanc bordée de cocotiers. Nous décidons d’aller dans la petite crique suivante devant une toute aussi charmante petite plage. Nous y restons deux nuits, le temps de quelques baignades et une balade à terre, mais la houle se lève et nous pousse bien vite à trouver un endroit plus abrité. Nous continuons notre exploration vers le sud, passons devant la baie qui abrite le village de Vaitahu, mais les voiliers au mouillage ont l’air de bien rouler. Pour la petite histoire, c’est à Vaitahu qu’ont mouillé Mendaña, qui découvre les Marquises en 1595 (et les baptise Islas Marquesas de Mendoza, en l’honneur du marquis du même nom), ainsi que Cook lors de son deuxième voyage. C’est aussi à Vaitahu que les Français ont pris possession des îles du groupe sud des Marquises. Triste histoire que celle des marquisiens et bien décrite dans le livre “Aux Marquises” de Dominique Agniel (Editions l’Harmattan, 2007).
Pour notre part, nous poussons plus loin, jusqu’à la baie d’Hanatefau qui se trouve à un mille au nord du village d’Hapatoni. La baie est superbe, luxuriante, surplombée de belles crêtes rocheuses. Nous avons droit à une visite timide d’un groupe de dauphins qui ne s’approchent pas trop. Et nous trouvons des petits coins de plongée sympa sur les roches au pied des falaises qui bordent la baie. Nous gonflons le kayak pour faire le trajet jusqu’au village, réputé pour ses graveurs sur os. En montant vers un des cols, nous rencontrons Pierre qui débroussaille son terrain qui surplombe la baie et nous fait part de son projet de construire des chambres d’hôtes. Motivé et plein d’énergie, il est tour à tour ramasseur de noni, casseur de coprah ou pâtissier de firifiri (des beignets locaux), pour essayer de récolter assez d’argent pour ses projets. Il nous présente son oncle et sa tante Boniface et Nathalie qui nous racontent qu’ils sont allés en pèlerinage en Terre Sainte il y a quelques années, et son cousin Paul qui commence sa carrière dans la gravure sur os. Boniface fait du marketing poussé de l’œuvre de son fils, mais de manière très conviviale. L’après-midi, après un peu de repos au bord de la mer, ayant mangé quelques bananes et biscuits, commence un dur labeur pour Nicolas : une partie de foot sur le terrain légèrement en dévers et au soleil devant l’église. Au plus fort de la partie, ils sont sept joueurs dont Pierre et le jeune évêque qui est en visite sur l’île et qui est responsable de cet évènement en réclamant une partie de foot. Il est le seul à avoir les chaussures adéquates, les autres sont en sandales de corail en plastique, en claquettes ou pieds-nus, et Nicolas en chaussures de marche, dont la semelle a fini par rendre l’âme après ce traitement. Pierre, à défaut de chaussures de sport, a un T-shirt de la coupe de monde 1998. A la deuxième mi-temps, vu qu’ils ne sont plus que cinq joueurs, deux préférant l’ombre des arbres, je dois m’y coller aussi. Allez, j’ai même réussi à marquer le but final et à en empêcher plusieurs. J’étais peut-être légèrement plus fraîche que ces messieurs qui en plus y allaient gentiment plus doucement quand j’étais dans le coin.
Le troisième soir, alors que nous regardions tranquillement le coucher du soleil à l’horizon et que nous préparions le diner, nous voyons un mât apparaître derrière la pointe sud de la baie. Ah, probablement, un voilier qui a quitté Fatu Hiva et qui arrive juste à temps avant la nuit. Il a calculé tout juste, là. Il s’approche, on remarque que c’est un catamaran (encore un, mais c’est vrai que les eaux polynésiennes s’y prêtent bien). Encore un peu plus proche, c’est un catamaran jaune. Catamaran jaune pas de série en métal ? Il n’y en a pas 10’000 des comme ça. Bon là, nous avions deux options, soit nous jeter à l’eau en hurlant et tout habillés (enfin, dans l’état vestimentaire du moment) et lui fredonner la seule vieille chanson qu’on a de lui en se trémoussant – le tout avec son livre à la main, pour demander une dédicace à un des grand gourou de la plaisance et du voyage, Antoine. Soit faire comme si c’était le plaisancier lambda, qui passe des vacances tranquilles avec sa compagne et voir si une rencontre se fait. Nous choisissons la deuxième option, au risque de le vexer en donnant l’impression de ne pas l’avoir reconnu. De toute manière, il doit en connaître du monde par ici depuis le temps qu’il a navigué dans ces eaux. Le lendemain matin le voilà qui lève l’ancre et pointe sa coque vers le nord et nous avions aussi décidé de bouger pour retourner vers les plages plus au nord et tester le snorkeling par là-bas.
Avant cela, nous retournons à terre pour dire au revoir à Pierre et sa famille, et nous nous trouvons coincés devant un repas de midi chez Boniface alors qu’un déluge de pluie s’abat sur la baie. Nous finissons par faire des firifiri chez Pierre qui nous offre encore un beau régime de bananes, en plus du potiron de Boniface. Allez, c’est reparti. Il n’y a pas de vent et nous faisons les quatre milles qui nous séparent de notre but au moteur. Là il y a toujours quatre bateaux : deux catamarans, dont un jaune, toujours lui, et deux monocoques qui se révèlent être des italiens (les deuxièmes du voyages) et des suisses que nous n’aurons pas l’occasion de rencontrer. Le soir, Antoine et sa compagne font un tour dans leurs petits kayaks individuels et viennent saluer les autres bateaux. Fleur de Sel a droit à une inspection de la coque et il repère vite les marques de la folle jeunesse de notre petite embarcation. Allez, sourire éclatant, charmeur, lunettes et barbe, même sans la chemise à fleurs, le mythe reste. Nous avions consulté de temps en temps son livre “Mettre les voiles avec Antoine” (Editions Arthaud, 2001) qui regorge d’informations pratiques et de navigation pour les plaisanciers. Bien fait et drôle.
Le lendemain matin, les deux catamarans lèvent l’ancre (décidément il a la bougeotte, ce catamaran jaune), suivis quelques heures après par les deux monocoques. Nous voilà donc enfin seuls devant notre plage de sable blanc et nous plongeons un peu sur les bords de la baie. La visibilité n’est pas extraordinaire, mais les poissons sont sympas à voir et nous en découvrons de nouvelles sortes. Autour de nous, le paysage est nettement moins accidenté et le relief est plus dégarni que par rapport au sud de l’île de Tahuata. Sur les collines de pierres noires volcaniques, il y a surtout des buissons bas. Par contre, juste derrière la plage, il y a une grande cocoteraie avec une cabane pour les casseurs de coprah qui viennent ici occasionnellement.
Et puis, il nous faut aussi gentiment bouger pour profiter d’une accalmie de l’état de la mer. Nous allons tenter un autre mouillage au nord de Hiva Oa, la baie de Hanamenu, devant un petit village accessible seulement par la mer. Les prévisions disent que la houle du nord a diminué. Allez, on essaye. Ici, les houles du grand Sud et des dépressions dans l’hémisphère Nord se rencontrent et limitent vite le nombre d’abris protégés. En passant devant le Canal du Bordelais entre Tahuata et Hiva Oa, un dauphin nous accueille avec de belles cabrioles. Impressionnantes, mais nous n’avons pas le temps de prendre l’appareil photo avant qu’il ne disparaisse. Nous longeons les falaises à la pointe ouest de Hiva Oa. Et au bout, lorsque le panorama se découvre à nos yeux, nous nous disons que, décidément, la côte nord de cette île est nettement plus belle que la côte sud. Elle est plus accidentée, plus dramatique. La baie de Hanamenu est superbe et nous rappelle un peu les formes des îles Féroé au nord de l’Europe, mais la houle qui s’engouffre et lève dans la baie, nous fait faire demi-tour. Dommage, mais c’est ainsi. Alors c’est reparti. Le soleil couchant nous présente son spectacle du jour et à l’est nous voyons l’îlot non-habité de Fatu Huka, qui ressemble de loin à une tortue obèse regardant vers le nord. Nous visons au 335° pour une petite nuit de navigation. Nous voulons rejoindre l’île de Ua Huka, dans le groupe nord des îles Marquises. En espérant que la houle du sud cette fois nous permette de jeter l’ancre sereinement.