Au sec sur la côte est (I)
Comme d’habitude, nous vous conseillons de suivre notre progression sur les cartes de notre page parcours (https://belle-isle.eu/parcours/), qui vous permettrons de mieux situer les nombreux endroits que nous évoquons.
Entre les bassins de croisière intéressants sur l’Ile du Sud, il y a peu d’abris. Aussi, bien que nous ayons profité de la première occasion pour « fuir » Wellington, cette occasion a été bien sélectionnée, car il nous faut faire 36 heures de mer sans réelle possibilité de répit. Faisable, mais juste juste, compte tenu de la vitesse à laquelle le temps change dans le coin. Nous ne perdons donc pas de temps à nous extirper du Détroit de Cook. Le vent qui souffle encore du sud-est initialement tombe en soirée, alors que nous devinons dans le soleil couchant les reliefs élevés du nord des Alpes du Sud (vous suivez ?). Nous passons donc la nuit au moteur, en doublant le Cap Campbell, mais le courant de marée devenu contraire nous retarde un peu. Au matin, une fois le vent de nord-est établi, nous longeons de près les Kaikoura Ranges. En effet, en chemin nous souhaitons passer près de la presqu’île de Kaikoura, petit débordement de terre peu élevée avec en arrière-plan les montagnes enneigées culminant à 2’800m. Le paysage – sous le soleil – est à ravir, mais alors que Fleur de Sel progresse maintenant au portant, nous passons la journée à scruter l’eau, car autre chose nous y intéresse.
Au niveau de la péninsule, le plateau continental est étonnamment étroit et les fonds abyssaux remontent brusquement près de la côte. L’eau froide des profondeurs est particulièrement brassée par les courants côtiers – le thermomètre d’eau de mer oscille d’ailleurs de 12 à 16º en quelques milles ! S’ensuit une abondance de nutriments, dans laquelle puise toute une chaîne alimentaire. Dans la matinée, nous voyons ainsi d’étranges nuages rouges dans l’eau, et il s’agit en fait de krill, ces mini-crevettes écarlates des eaux froides. Cela explique que Kaikoura soit un haut-lieu de présence des baleines et autres mammifères marins, et c’est cela qui nous attire ici. Impossible de mouiller sur place, tant l’endroit est exposé, et de toutes les manières les animaux évoluent plutôt un peu au large, donc nous tentons notre chance en passant. Mais elle n’est pas avec nous ce jour-là, puisqu’aucune baleine ne se montrera, et nous sommes un peu déçus. Comme compensation, nous avons tout de même droit à une visite de dauphins, et toute la journée à la compagnie de nombreux oiseaux de mer. Pétrels, mouettes et goélands, et albatros sont omniprésents et assurent le spectacle à eux seuls, tant ils sont nombreux.
Le vent continue à nous pousser vers le sud, fraîchement même, et dans la nuit nous parcourons les milles qui nous séparent de la Banks Peninsula. Il s’agit d’une importante excroissance volcanique sur la côte est, autrement rectiligne et plate ou presque. Nous aurons l’occasion de l’observer en la contournant plus tard, mais pour l’instant il s’agit d’avancer vers l’ouest. Car le petit front qui signe la fin de la fenêtre météo a un peu d’avance et nous avons du retard. Nous avons heureusement gagné du sud pour y parer, et au petit largue, nous approchons de l’entrée du Lyttelton Harbour. C’est alors que nous nous faisons cueillir par une survente spectaculaire au débouché de l’une des baies qui rayonne autour de la péninsule. Deux ris seront à peine suffisants, alors que l’écume vole sur l’eau plate, pour que Fleur de Sel retrouve une assiette maniable. Et puis à peine plus loin, c’est la pétole et nous sommes obligés de de progresser au moteur, n’osant plus renvoyer toute la toile de peur de subir la même chose à la vallée suivante. En fait tout se passe bien, et nous en serons quitte pour une seule manœuvre dans l’urgence.
Le bateau remonte gentiment le chenal et nous avons alors tout loisir d’admirer le paysage étonnant que nous offre cet ancien cratère volcanique. L’eau est laiteuse en raison des alluvions charriés par les nombreuses rivières qui descendent les Canterbury Plains et l’endroit est aride car nous sommes sous le vent des Alpes du Sud,. Le cirque dans lequel nous venons mouiller est donc pelé à l’exception de quelques tâches sombres tapissées de pins. Ce n’est que le lendemain, après nous être reposés, que nous entrons dans le port de Lyttelton. Et c’est alors que nous entrevoyons les premiers signes du traumatisme subi par la région il y a deux ans à peine : le brise-lame est en partie détruit. Christchurch et ses environs ont été violemment secoués par les « Canterbury Earthquakes », qu’il est impossible d’ignorer alors que cela date déjà de 2011.
Pour l’instant, nous nous amarrons à des « pile moorings », méthode d’amarrage assez répandue en Nouvelle-Zélande. C’est tout de même peu pratique, non pas parce qu’il faut débarquer en annexe, mais parce qu’il faut passer des aussières sur quatre piles, sans parler de rentrer dans la place avec les cordages dans l’eau… D’ordinaire, nous préférons rester à l’ancre, mais à Lyttelton il n’y a pas vraiment le choix pour être abrités, vu comme le vent tourne dans tous les sens. Heureusement, une fois le long exercice d’amarrage terminé, nous pouvons débarquer et nous sommes d’abord accueillis très chaleureusement à la fois par le manager qui nous a déniché une place libre et par les yachtsmen locaux. L’un d’entre eux nous prête ses guides nautiques pour l’est et le sud de l’Ile du Sud, ce qui nous arrange bien !
A la faveur d’une promenade dans Lyttelton, nous découvrons une bourgade en travaux partout. Beaucoup de bâtiments ont souffert ou ont été détruits, nombre de commerces sont installés dans des containers ou des préfabriqués, et il n’y a plus de supermarché de ce côté-ci. Pour faire ses courses, il faut aller de l’autre côté, à Christchurch – la plus grande ville de l’Ile du Sud, et la troisième du pays. Lyttelton n’en est que l’appendice portuaire, et ce depuis toujours puisque c’est la seule échancrure sur la côte qui permette d’installer un port de commerce. Les premiers colons de la région du Canterbury ont donc débarqué à Lyttelton en 1850, et ont gravi la montagne qui la sépare des plaines. La piste qu’ils ont emprunté existe encore aujourd’hui, c’est la Bridle Path, sur laquelle nous nous élançons le lendemain puisqu’il fait un temps superbe. Du haut des crêtes, que nous longeons un moment, la vue embrasse à la fois la Banks Peninsula, constituée de volcans éteints et au relief majestueux, ainsi que les plaines du Canterbury, plates presque à perte de vue, avec la grande ville de Christchurch en avant-plan. Le plus souvent, on peut admirer les Alpes du Sud, mais la brume de beau temps ne nous laisse que deviner leurs silhouettes bleutées. Le contraste entre les deux versants est frappant et nous admirons ce que la nature a juxtaposé de si beau.
Le lendemain, nous souhaitons tout de même nous rendre à Christchurch, aussi bien pour la logistique que pour visiter cette ville, la plus anglaise de Nouvelle-Zélande, parait-il. En débarquant, nous tombons sur David qui se propose de nous emmener en ville, et nous franchissons donc le tunnel qui nous fait déboucher côté Christchurch. Un petit arrêt shipchandler ne fait pas de mal, et en chemin vers le centre-ville David nous raconte l’inimaginable. La ville a été si dévastée qu’il faudra au moins cinq ans pour la rebâtir. 50% des bâtiments ont déjà été démolis et à terme ce sera 80% de Christchurch qui sera rasée ! La ville qui semblait tentaculaire de là-haut sera rebâtie plus compacte qu’auparavant. Les Kiwis, ingénieux et pragmatiques comme ils sont, profiteront pour faire de la nouvelle Christchurch une ville meilleure que l’ancienne, plutôt que de reconstruire à l’identique.
La Nouvelle-Zélande a même mis en place des programmes d’immigration spécifiques pour attirer la main d’œuvre qualifiée en construction tant les besoins sont grands. Une fois sur place nous réalisons comme la ville qui était semble-t-il cossue et traditionnelle est changée à jamais. Le centre-ville n’est plus accessible au public, c’est la Red Zone, un no man’s land qui fait à la fois Ground Zero et post-mur de Berlin… La cathédrale, que nous n’apercevons que de loin, est éventrée, et le joli centre des arts, à l’architecture victorienne, est fermé. Bref, il ne nous reste pas grand-chose à faire si ce n’est nous promener sur les bords de la rivière Avon et dans le jardin botanique. Et après un gros plein chez Pak n’Save, nous reprenons le bus vers Lyttelton.
Avant de quitter la protection du port, nous attendons que passe un bon coup de vent. Il s’agit en fait d’une bonne tempête de fœhn, puisque le vent de nord-ouest vient buter sur les Alpes du Sud. La côte ouest subit des pluies diluviennes, le Détroit de Cook (encore lui) est battu par des vents d’une vitesse phénoménale, et à Christchurch nous serons la proie, dans la nuit, d’une bonne tempête aussi. Les rafales tournantes à 50 nœuds viennent s’abattre sur le port d’une direction puis de l’autre, en raison du relief. Fleur de Sel ploie sous les coups de gîte, mais ne rompt point, et au petit matin les choses semblent se calmer.
C’est heureux car nous avons mal dormi, non seulement car nous nous sommes fait balloter, mais aussi à cause de la chaleur sèche et électrique : seulement 50% d’humidité, on ne se rappelle pas encore avoir vu ça à bord ! Finalement, nos petits yeux pourront récupérer et il n’y aura qu’une seule victime suite à cette sarabande : nous retrouvons l’annexe à l’endroit, mais elle a du virevolter pendant la nuit, et nous enrageons face à notre sottise, car nous avions laissé les avirons dedans et ils n’y sont plus… Sur ce coup-là, nous nous sommes fait avoir comme des bleus, mais après trois ans cela devait arriver un jour.
Nous n’avons pas le temps de lancer d’hypothétiques recherches, car la météo nous est favorable, et nous quittons Lyttelton alors que le vent commence à mollir. A la sortie, la mer est agitée mais elle se tassera assez vite, et nous progressons pendant toute la journée autour de la péninsule. 40 milles parcourus dans une configuration idéale sans presque avoir à faire du près. Seul bémol, nous naviguons au contact avec un relief important, et il faut donc régler les voiles en permanence. Comme en plus il fait un soleil de plomb, nous sommes rapidement assommés par la violence des ultraviolets, et nous nous relayons à prendre de l’ombre.
Fleur de Sel avance bien et nous sommes rapidement rejoints par des dauphins de Hector, la plus petite espèce de dauphins au monde, qui n’existe qu’autour de l’Ile du Sud de Nouvelle-Zélande. On dirait des cousins des dauphins de Commerson que nous avions admirés en Argentine, mais leur robe est grise et non pas blanche. Avec leurs ailerons tout arrondis et avec leurs museaux noirs, ils sont très drôles et mignons. En plus, pour notre plus grand bonheur, nous aurons droit à leur compagnie pendant toute la journée, jusqu’à ce que nous remontions sur Akaroa.
Nous passons la nuit devant ce village, le plus français de Nouvelle-Zélande, et que nous visitons le lendemain. Fondé par des colons français, dont certains descendants habitent encore sur place, Akaroa passe aujourd’hui pour être la petite France du pays. Cela nous fait plutôt sourire, car le trait est un peu forcé, entre la station-service qui s’appelle « L’Essence », le meilleur restaurant évidemment baptisé « L’Escargot rouge », ou encore les drapeaux français qui flottent partout. Allez, pour peu que vous ayez donné dans le panneau, celui qui indique « Rue Jolie » (plusieurs rues ont des noms français) côtoie un autre qui signale « Public toilets ». Eh non, vous n’êtes pas en France mais en Nouvelle-Zélande où l’on trouve partout des toilettes publiques (généralement propres !)
Cela dit, le village est coquet, et surtout il est situé dans un cadre absolument sublime : un autre cratère volcanique, séparé de celui de Lyttelton par quelques kilomètres à peine à vol d’oiseau, et qui ensemble constituent le cœur de la Banks Peninsula. Les Kiwis sont nombreux à y séjourner en vacances à cette période de l’année, et on ne pourrait pas leur donner tort, tant l’attrait de la région est évident. Les randonnées doivent être belles, et les routes côtières spectaculaires. Sans parler du soleil qui continue de baigner notre séjour sur la côte est.
(à suivre)
One Reply to “Au sec sur la côte est (I)”
Les paysages et les petits villages semblent tous superbes, fantastiques, sublimes…La NZ est-elle un pays plus beau que les autres? On attend vos photos avec impatience!
Nous sommes toujours aussi passionnés par le récit de vos aventures et sommes heureux de vous lire.Je vais donc lire la deuxième lettre…
Bonne mer et bon vent! ( c’est le pays du vent, il me semble!)
Chantal et Guy