Windy Welly

Windy Welly

A partir de Napier, nous attaquons une partie de la côte un peu délicate. Il n’y a aucun abri avant le Détroit de Cook, le vent peut souffler avec violence en descendant des montagnes, et le détroit lui-même a une sulfureuse réputation… Au moment même de notre départ, un coup de vent souffle d’ailleurs avec des rafales à 50 nœuds entre l’Ile du Nord et l’Ile du Sud. Il nous faudra donc y arriver seulement lorsque le vent aura cessé, mais pas trop tard non plus car nous devrons alors batailler pour arriver dans le détroit, le vent étant devenu contraire. Cela nous impose donc de larguer les amarres alors qu’à Napier souffle encore un bon vent de sud-est, et nous devons louvoyer pour sortir de la Hawke Bay. Nous tentons malgré tout de nous approcher du Cape Kidnappers, où se situe une belle colonie de fous australs, mais nous n’y arrivons qu’au coucher du soleil et la mer y est trop chaotique pour s’approcher davantage, si bien que nous continuons notre route en n’ayant aperçu que des tâches blanches. Comble d’ironie, alors que les prévisions annonçaient 20 nœuds par le travers, le vent nous lâche alors et nous devons aller le chercher dix milles au large.

Heureusement dans la nuit il revient et le lendemain nous pouvons débouler au portant, sous un soleil radieux, et la vie est belle. Nous nous reposons autant que possible, car l’escale à Napier a été menée tambour battant et nous en sommes repartis vite, car la météo nous promet des conditions favorables pour descendre. De plus, l’ex-cyclone Evan approche, et sa trajectoire est incertaine. Nous ne souhaitons pas passer Noël sous une pluie battante, alors nous partons nous réfugier dans les quarantièmes ! Plutôt cocasse quand on y pense, mais effectivement ce jour là, nous franchissons le quarantième parallèle, et nous avons la compagnie de quelques petits albatros. La nuit tombe alors que nous venons de passer Castle Point, à peine visible car nous sommes à une vingtaine de milles au large, et le vent est modéré. Pourtant, il nous faut être vigilants, car c’est dans cette zone que les surprises peuvent arriver : le vent de nord-ouest est violemment canalisé par le Détroit de Cook, et il vient ensuite buter sur le Tararua Range et sur le Aorangi Range, se frayant par les vallées un passage entre ces montagnes, pour ensuite déboucher sur l’eau. Le navigateur insouciant se fait donc cueillir à l’improviste ! A bord, la drisse de grand-voile est prête à filer, et le génois est déjà réduit par sécurité.

Vers minuit, en ce 22 décembre, nous croisons un arbre de Noël sur l’eau ! Non, nous ne nous sommes pas trompés de date, mais c’est en fait le paquebot Dawn Princess, que nous avons déjà croisé plusieurs fois lors de ses rotations. Après nous avoir repérés à sept milles (c’est rassurant !), il nous appelle à la VHF pour nous mettre en garde : dix milles sur son arrière il a rencontré 50 nœuds de vent… Aïe, les choses se corsent, et nous réduisons donc la cadence, espérant que le coup de vent dans le détroit cessera bien d’ici peu comme prévu. Il n’y aura plus alors rien pour provoquer ces rafales violentes de notre côté de la chaîne montagneuse. Nous sommes un peu tendus en progressant vers le sud, mais finalement rien ne se passe et le vent est plutôt mou pendant le restant de la nuit. Le lendemain matin, nous n’avons donc pas avancé autant que prévu, et le petit front qui doit nous permettre d’embouquer le détroit avec du vent portant, de secteur sud, est en avance ! Nous nous retrouvons donc à louvoyer dans une mer qui n’a rien d’énorme, mais qui est bien confuse, avec une houle de nord-est descendant la côte et une houle d’ouest venant du détroit, celles-ci se confrontant au bon clapot de sud.

Le temps est nettement moins appréciable en ce premier jour de l’été : c’est dans le crachin que nous approchons doucement du Cape Palliser – celui qui marque l’extrémité sud de l’Ile du Nord. Et puis encore une fois, alors qu’on l’attendait modéré et portant, le vent meurt, si bien que l’on refait appel au moteur. Pétole dans le Détroit de Cook, c’est invraisemblable. Le temps se dégage dans l’après-midi et nous découvrons les paysages sauvages juste aux portes de la capitale. Il y a un petit air d’Ecosse dans ces collines pelées par le vent, mais il y a un je ne sais quoi d’autre aussi. En approchant de Wellington, difficile de se dire que la capitale est là, à porté de main : il y a à peine quelques villages au pied des reliefs, nous recaptons enfin du réseau téléphonique, et si ce n’étaient les ferrys que l’on aperçoit régulièrement au loin, on se demanderait bien où nous arrivons maintenant. Pourtant, lorsque nous nous engageons dans les passes de Wellington Harbour, et alors que le vent revient enfin, ce qui nous permet tout de même de terminer à la voile, tout devient clair. Ce sont maintenant des maisons citadines qui tapissent les collines entourant la grande rade. Juste avant le coucher du soleil, Fleur de Sel vient s’amarrer à la Chaffers Marina, qui va devenir sa résidence pour pas moins de deux semaines !

Nous nous en doutons un peu en venant à Wellington, mais nous allons y rester bloqués un moment. Au début, les journées sont belles, et nous nous installons pour fêter Noël dans cette ville agréable s’il n’y avait pas le vent qui fait la réputation de Windy Welly. Nous sommes en plein centre-ville, et le marché dominical est à trois pas. Nous y faisons le plein de fraises, framboises, myrtilles, abricots et pêches ! Depuis que nous sommes en Nouvelle-Zélande, nous nous délectons de ces fruits que l’on ne trouvait pas sous les tropiques… Et on trouve même du fromage français à prix presque abordable, ce qui est rare ! Le supermarché est juste à côté aussi, pratique pour compléter nos provisions. Et comme le temps est anormalement beau et caniculaire – la faute sans doute à l’ex-cyclone Evan qui approche du nord du pays et qui nous envoie de l’air chaud – nous nous promenons d’abord vers l’ouest de la ville où les plages sont prises d’assaut. Nous empruntons ensuite le Southern Walkway, un sentier qui grimpe dans le Town Belt – une ceinture de verdure qui entourait la cité portuaire avant qu’elle ne s’agrandisse. Celui-ci nous mène au Mt Victoria, du haut duquel nous admirons la vue. D’un côté la grand havre protégé de Wellington, où est amarrée Fleur de Sel et de l’autre une perspective sur l’extérieur – sur le Détroit de Cook évidemment, mais plein sud au-delà vers l’Antarctique, comme vient nous le rappeler le monument au sommet.

Le jour de Noël, après avoir réveillonné avec une belle messe de minuit où les Christmas carols traditionnels font plaisir à entendre, nous nous réveillons sous un soleil radieux. Après avoir dégusté un bonne brioche de fête, nous partons pour une après-midi de balade en ville. Nous admirons d’abord notre petit bateau qui arbore son grand pavois pour l’occasion, puis les Wellingtoniens qui fêtent Noël en se jettant dans le port tandis que d’autres observent en maillot de bain et bonnet de Père Noël ! Nous poursuivons vers Lambton Quay, cœur de la city mais désert aujourd’hui, pour aboutir à l’éclectique parlement. La bibliothèque (néogothique) et le parlement lui-même (néoclassique monumental) tranchent avec les bureaux parlementaires adjacents, dans le « Beehive », un immeuble cônique en béton, du plus bel effet années 70… C’est toujours mieux que l’atroce cathédrale anglicane qui a remplacé à la même époque la voisine et très mignonne Old St-Paul’s, devenue trop petite. Et puis en fin d’après-midi, nous montons au jardin botanique, connu surtout pour son parterre de roses de toutes les couleurs. Un peu plus haut, nous arrivons au Kelburn Lookout, une colline que l’on peut atteindre en funiculaire – mais il ne fonctionne pas en ce jour de Noël. La vue sur le port est cependant moins spectaculaire que du Mt Victoria.

Les jours suivants sont moins beaux, et le vent de nord s’abat sur la ville. Nous nous replions sur les musées – gratuits pour la plupart, ce qui permet d’y faire des excursions répétées sans être trop longues. Nous irons quatre ou cinq fois au Te Papa, le musée national des kiwis, qui évoque à la fois l’histoire courte mais complexe de ce pays et tout ce qui fait l’identité de ses habitants. On y voit de manière fort interactive comment la géologie complexe a formé les Alpes du Sud dans l’Ile du Sud, et donné naissance aux nombreux volcans dans l’Ile du Nord. Sans parler des nombreux séismes qui frappent de temps à autre : impossible de l’oublier, nous sommes à l’extrémité de la Pacific Rim of Fire, que nous avions déjà entrevue au Chili, et qui encercle cet immense océan en passant par la Californie, l’Alaska et le Japon. La tectonique des plaques a d’ailleurs eu des effets intéressants – illustrés dans la section flore et faune – en séparant le Gondwana (l’ancêtre de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande, mais aussi de l’Inde, de l’Amérique du Sud et de l’Antarctique) de la Laurasie (ancêtre de l’Afrique, de l’Eurasie et de l’Amérique du Nord) il y a 180 millions d’années, c’est-à-dire bien avant que les mammifères ne voient le jour. Contrairement à d’autres masses terrestres, la Nouvelle-Zélande n’a jamais été mise en contact avec les terres laurasiennes, ce qui explique que la végétation et les animaux indigènes qu’on y trouve aujourd’hui encore nous sont pour la plupart inconnus à nous Européens.

Dans d’autres expositions, on découvre également les vagues de migrations qui ont abouti au peuplement de la Nouvelle-Zélande. Les Maoris, qui sont arrivés il y a 800 ans environ, et qui ont adapté leur mode de vie polynésien à ce pays bien plus frais que leur terre d’origine. On y parle de l’impact de leur agriculture sur la forêt, mais surtout de leur mode de vie avant les voyages de Cook. Car la deuxième migration – celle des Européens – a été bien plus conséquente, rapide et parfois dévastatrice. On peut observer des souvenirs multiples des longs voyages entrepris par les nombreux Britanniques venant s’installer dans ce qui allait devenir l’Angleterre australe. Mais les Scandinaves, les Néerlandais, les Italiens, les Grecs et les Croates furent également du voyage. Plus récemment enfin, la population kiwie est venu se barioler de nombreux « Pacific Islanders » comme on les appelle, ainsi que de nombreux asiatiques, pour former aujourd’hui cette nation si dynamique et qui forge encore son identité – avec comme point de départ le Traité de Waitangi (1840). Te Papa est un peu leur boite à souvenirs, et ils le surnomment affectueusement « Our Place ».

Le musée maritime et de la ville de Wellington s’intéresse plus spécifiquement à l’établissement de cette ville portuaire, aux confins sud de l’Ile du Nord, et qui dès le début a été concurrencée par la grande ville du nord, Auckland. L’arrivée des premiers colons, la vie des prolétaires et des bourgeois, leurs emplois et leurs loisirs, on se replonge dans cette incroyable aventure qu’était la vie « ici bas », si loin de la mère patrie victorienne. Dans la partie maritime, on constate à quel point les conditions peuvent être rudes par ici, à l’évocation poignante du naufrage du Wahine. Ce paquebot presque neuf qui desservait la ligne Wellington-Christchurch a rencontré son heure funeste en 1968 lorsqu’il est entré dans les passes alors qu’un ouragan tropical rencontrait un front froid dans la terrible zone d’accélération qu’est le Détroit de Cook. Un cocktail fatal – pour 53 des passagers – qui a fait s’échouer le navire sur un récif à l’entrée du port dans des rafales à 150 nœuds. Ce fut la pire tempête de toute l’histoire de la Nouvelle-Zélande. Encore une fois notre impression au sujet de la météo est confirmée : cette région du monde possède un climat si imprévisible et exigeant, que la navigation en est véritablement ardue.

Autour du Nouvel An, nous avons d’ailleurs droit à une (maigre) démonstration de la chose. Un premier front vient passer sur la zone, ce qui occasionne des vents d’une quarantaine de nœuds. Ca souffle dans le port et nous sommes heureux d’être à l’abri. Ca ne nous empêche pas d’accueillir la nouvelle année avec joie et dans la bonne humeur : les bulles du mousseux kiwi accompagnent le saumon kiwi lui aussi et nous voilà déjà en 2013, douze heures avant l’Europe. Dommage pour le spectacle, cependant, car le feu d’artifice prévu doit être annulé en raison du vent. Mais ce n’est peut-être pas plus mal pour Fleur de Sel, qui était sous le vent, et dont on commençait à se demander si elle serait bien à l’abri des retombées… Nous réveillonnons cependant en assistant aux concerts et animations donnés sur le front de mer, où Kiwis grands et petits passent de bons moments estivaux en famille. L’ambiance est bon-enfant, et nous aussi passons un bon moment. Et puis les jours suivants, les isobares se resserrent encore, et l’entonnoir de Cook joue de mieux en mieux son rôle, permettant à l’air de passer (à grande vitesse) entre les Alpes du Sud et les volcans de l’Ile du Nord. Dehors, le vent monte à près de 60 nœuds, et Fleur de Sel se fait recouvrir d’embruns dans le port. Les embardées à la gite et les à-coups sur les aussières dans les rafales sont impressionnants.

Finalement, au moment où ce doit être le pire, nous désertons le bord pour aller au cinéma. Sur le ponton, nous sommes obligés de courir en nous baissant pour ne pas nous envoler ! The Hobbit passe en 3D dans la salle même du cinéma Embassy où il a été présenté en avant-première, et nous profitons de quelques heures d’action sans cependant que le fauteuil ne se renverse ! Au retour, en revanche, c’est la grosse pluie battante, et même si le vent a peut-être baissé un peu, le plan d’eau est maintenant agité de vagues venues d’on ne sait où. Les pontons dansent, le bateau aussi, et le début de nuit sera encore pire qu’avant. Pourtant, le lendemain il fait beau, et plus un souffle d’air. C’est comme si rien ne s’était passé. Les organisateurs ont même prévu le rinçage du bateau à la fin de la fête, et seuls nos petits yeux et nos dos en compote laissent soupçonner quelque chose. Voilà c’est fait, c’est coché, nous avons fait l’expérience d’une tempête à Wind Welly. Oh, ce n’est pas si rare que ça, il y en a 4 ou 5 par an comme celle-là, nous a-t-on dit…

Alors pour poursuivre notre voyage, nous décidons d’être à la fois prudents et expéditifs. Nous saisissons la première fenêtre valable pour nous enfuir vers le sud, en faisant toutefois attention de ne pas nous faire cueillir dès le départ en débouchant dans le détroit. Nous irons aux Marlborough Sounds plus tard, mais pour l’instant nous faisons cap vers le sud de l’Ile du Sud, car nous sommes de plus en plus attirés par ce coin isolé. Nos projets en sont certainement chamboulés, mais nous sommes de toutes les manière en train de revoir encore une fois tout notre planning. Alors autant en profiter, nous n’avons jamais été aussi proches de Stewart Island et du Fiordland, des régions qui n’ont pourtant rien à envier au Détroit de Cook au niveau météo…

4 Replies to “Windy Welly”

  1. Bonjour Nicolas et Heidi! et Bonne Année très en retard mais nos voeux sont néanmoins très sincères!
    La Nouvelle-Zélande semble un pays très beau mais bigre! le vent souffle! On dirait un peu la Normandie, un peu l’Ecosse, un peu l’Irlande avec de magnifiques volcans?
    Nous avons vu comme vous “The Hobbit” et admiré les superbes paysages…
    Gros Bisous Chantal et Guy

  2. Bonjour Heidi et Nicolas, bonne année un peu en retard.

    Même si Fleur de Sel est costaud, vous prouvez que vous en avez dans le ventre
    ( et dans la tête, pour concocter ces merveilles de reportages)

    Amitiés

    Pascale et Yves

  3. Bonjour,

    Bravo pour vos photos et votre journal.
    J’ai un Pb, avez vous changé votre site ? Je ne peux plus me connecter depuis ce jour il faut un mot de passe.
    Merci pour votre aide et bon vent, faites nous encore rêver.
    Michele

  4. Encore une fois c’est avec un intérêt toujours renouvelé
    que nous avons pris connaissance de votre descente vers le sud
    après votre séjour mouvementé à Wellington.
    Nous profitons de l’occasion que nous donne ce mail pour vous
    adresser nos voeux de bon vent et de bonne année 2013;
    égoïstement nous ne sommes pas trop pressés de vous voir revenir
    car ainsi nous aurons le plaisir de vous suivre encore longtemps
    dans votre merveilleux voyage.
    Bien affectueusement.

    EJPJ

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