Le Cap
L’entrée de St. Francis est assez étroite et un pneumatique de la capitainerie nous a guidé jusqu’à notre place. Le port n’est pas très grand mais il abrite quelques dizaines de bateaux de pêche dans le premier bassin, et encore un peu plus de bateaux de plaisance (la plupart à moteur) dans le second bassin, entouré d’appartements de vacances, un peu une version sud-africaine de Nusfjord. L’ambiance y est un peu surréaliste, car nous sommes à la mi-janvier, en plein été, et pourtant seuls quelques logements sont occupés. Nous réalisons qu’ils ne doivent servir que 15 jours par an, sans doute lorsque des familles de Johannesbourg viennent y passer Noël. Il n’empêche, il y a un petit côté sympa à ce lieu de villégiature, surtout après notre escale à Durban. Mis à part un passage à la capitainerie (très sympa), pas de formalités à faire ici, c’est l’avantage d’un petit port. Et puis nous côtoyons les résidents permanents du port : les phoques et otaries, qui nous rappellent que nous sommes maintenant en eaux froides, ainsi que les cormorans, l’un d’entre eux ayant élu domicile chaque soir en tête de mât et tapissant chaque nuit le pont de l’inévitable cortège de déjections.
Nous passons trois nuits à St. Francis, le temps de laisser passer un coup de sud-ouest, et nous mettons à profit ce séjour pour réparer encore une fois le génois. Pendant que Heidi s’adonne à cette tâche ingrate (et désormais bien trop répétitive !), pour ma part je confectionne et je passe à la résine epoxy un nouveau barreau de protection pour la gazinière, le précédent ayant cassé lorsque je me suis fait projeter dessus dans un coup de roulis. Nous faisons également une très belle promenade dans les dunes et le maquis vers le Cape St. Francis. Et puis, surtout, nous fêtons l’anniversaire de Heidi, dans ce cadre nettement plus agréable que si nous avions été coincés dans le port industriel de Port Elizabeth. Pour fêter ça, nous sortons chaque soir dans l’un des restos du coin – il faut dire que ça ne coûte pas beaucoup plus cher que de cuisiner à bord, et qu’il n’y a pas de vaisselle à faire. L’un des restaurateurs, qui nous prend pour des Suisses allemands, et qui nous explique fièrement qu’il a appris l’Allemand en Namibie, nous offre l’usage de sa douche.
Mais déjà nous reprenons la mer, pour profiter d’un intervalle assez court entre deux fronts. Malheureusement nous devons faire pas mal de moteur durant ce tronçon. Pour autant, il fait beau, et nous pouvons admirer l’arrière-pays montagneux particulièrement proche par ici, les montagnes Tsitsikamma culminant à plus de 1’600m. Après une trentaine d’heures de navigation, et alors que le vent de sud-ouest se lève assez vite, nous faisons notre entrée dans Mosselbaai (ou Mossel Bay). N’obtenant pas de réponse de la part du port, et n’ayant de toutes les façons pas l’intention de rester plus d’une nuit, nous mouillons face à la plage, qui s’avère être un très bon mouillage. C’est d’ailleurs la première fois que nous dormons à l’ancre depuis bien des mois (depuis Maurice, en fait), et c’est agréable ! Le front attendu est bien au rendez-vous, et la baie baignée de soleil est rapidement envahie par les nuages et la pluie, le bruit du vent dans le gréement remplaçant assez vite celui des estivants sur la plage ayant plié bagages.
Nous ne débarquerons même pas à Mossel Bay, pourtant ville historique : c’est là que l’explorateur portugais Bartholomeu Dias a le premier débarqué en Afrique du Sud le 4 février 1488, avant de découvrir sur la route du retour le “Cap des Tempêtes”. Il nous faut en effet profiter sans tarder de la météo favorable dès le lendemain matin. En effet, nous souhaitons toujours rallier la région de Cape Town au plus vite pour pouvoir y réceptionner un nouveau vérin de pilote auto, et pour y faire confectionner de nouvelles voiles. Dans un vent de sud-est virant progressivement à l’est en forcissant, nous parcourons la grosse centaine de milles qui nous sépare du méridien 20°E. C’est là, à l’aube du lendemain matin, que nous doublons le Cap des Aiguilles, la pointe la plus au sud du continent africain. Fleur de Sel fait alors son retour dans l’Océan Atlantique !
La fin du trajet est une immense descente en luge sur une piste rougeâtre : l’upwelling d’eaux froides combiné avec l’ensoleillement intense provoque des “marées rouges”, des éclosions spectaculaires de phytoplancton. Nous enchaînons les bords de portant à grande vitesse, avec deux ris dans la grand-voile, alors que le vent d’est est amplifié dans la journée par l’effet thermique et le relief – dans l’après-midi, nous longeons les massifs montagneux côtiers souvent spectaculaires, en particulier le Cape Hangklip à l’entrée de False Bay. C’est bien volontairement que nous nous dirigeons par là, contrairement aux voiliers d’antan, qui s’engageaient parfois dans cette baie après avoir pris ledit cap pour Bonne-Espérance, et qui se retrouvaient alors avec horreur face à une plage sous le vent (d’où le nom de la baie). Malgré la visibilité médiocre en raison d’un mélange de brume et de fumée due aux feux de brousse, nous avons bien pu discerner les reliefs de Bonne-Espérance, et c’est à la nuit tombante que nous atteignons Simon’s Town, la base navale sud-africaine. C’est alors avec une grande satisfaction que nous voyons la mer courte et abrupte de la baie se transformer en une étendue d’eau plate et protégée aux abords du False Bay Yacht Club, caché au-delà des jetées. Et c’est le lendemain matin, après une bonne nuit de repos sur un corps-mort, que nous venons prendre notre place dans la marina, à la faveur d’un calme plat, chose éphémère dans ces parages.
Nous sommes prêts désormais à nous occuper du bateau – à un petit détail près : le yacht-club nous avertit que les douanes de Cape Town, dans un excès de zèle apparemment typique, imposent depuis quelques semaines aux équipages de voiliers de se rendre en ville pour “s’annoncer” – et encore, pas de manière systématique, certains s’étant vus demander pourquoi diable ils étaient venus, tandis que d’autres qui n’étaient pas venus se voyaient imposer une amende en souhaitant faire leur sortie. Il faut noter qu’il y a une incohérence flagrante à cela, puisque d’une part Simon’s Town serait ainsi considéré comme étant le même port que Cape Town, mais qu’il y est impossible de faire son entrée dans le pays, Simon’s Town étant alors considéré comme un port distinct – d’ailleurs nos amis de Maloya IV, en provenance de l’étranger, auront à se rendre jusqu’à Cape Town même. Sans réellement parvenir à nous habituer aux simagrées des administrations africaines, nous n’en sommes toutefois pas surpris, et nous effectuons donc le trajet d’une heure et demie en train jusqu’au centre ville pour aller “nous annoncer”. Joignant l’utile à l’inutile, nous en profitons pour prendre une voiture de location, en ayant déniché une à un prix mini.
Voilà, nous voici maintenant vraiment à pied d’œuvre, et nous commençons tout d’abord par recevoir la visite des deux voileries qui nous proposent leurs devis sans tarder, car nous les avions averties de notre calendrier serré. Nous faisons nous aussi notre choix sans délai, et dès le lundi matin suivant, notre commande est passée chez North Sails. Il s’avérera qu’un doute subsiste sur la coupe possible pour notre génois, étant donné le positionnement de notre second étage de barres de flèches, et David, le voilier, reviendra donc deux fois prendre des cotes supplémentaires, prendre des photos, et observer le positionnement de notre génois actuel, afin de dessiner le nouveau. Quel service !
Par ailleurs, nous parvenons à trouver un endroit où refaire galvaniser nos deux grosses ancres, qui dégoulinent de rouille. En particulier, l’atelier en question accepte de regalvaniser notre ancre Spade, ce qui nécessite d’abord de faire fondre le lest en plomb puis d’y reverser le plomb fondu après que l’ancre ait été recouverte de zinc à chaud. Le travail est fait très correctement, et bien que l’on voie qu’il ne s’agit pas d’ancres neuves, c’est toutefois bien mieux qu’auparavant. La grosse surprise, c’est le prix presque dérisoire pour tout le traitement, le plus compliqué pour nous ayant été de nous rendre sur place, ce qui fut facile avec la voiture. Bref, une bonne opération.
Nous en profitons, à Cape Town, pour faire faire d’autres petits travaux. Tout d’abord la refabrication de réas pour les écoutes de génois et de trinquette – réas décidément au bout du rouleau depuis bien trop longtemps, puisque nous naviguons depuis 5 ans maintenant avec une réparation de fortune. Le même artisan tourneur nous fabrique aussi des rollers de mouillage, et tout ce qu’il nous aura fabriqué est ajusté à merveille. La chaîne vient désormais se caler parfaitement dans le davier et les écoutes circulent mieux. Bref, c’est parfait. De même, nous faisons tailler un nouveau pendulum pour le régulateur d’allure dans le morceau de huon pine que nous avions acheté à cet effet en Tasmanie. La belle pièce de bois doré que nous récupérons est emballée illico dans une housse que Heidi confectionne à cet effet pour protégéer l’epoxy des UV.
Et pendant ce temps, nous travaillons nous aussi à bord, faisant usage des pièces que nos visiteurs de Noël nous ont apportées. Nous remplaçons donc les charbons du guindeau, afin de ne plus nous retrouver en rade, comme à Moyo. Nous réparons également la poignée du moteur hors-bord, nous installons dans le balcon le nouveau support d’ancre arrière (une Fortress), et nous changeons les charnières du panneau de pont de la cuisine (malgré les tentatives de réparations, il ne tenait plus ouvert seul). On change l’impeller d’eau de mer du moteur et l’on révise le circuit de refroidissement au niveau du chauffe-eau, toujours un peu capricieux. On commence aussi à faire un peu de maintenance en vue de la prochaine traversée océanique : lubrification de l’accastillage et des enrouleurs (on en profite pendant que le génois est descendu), changement des filtres à eau, et vérification des gilets de sauvetage et de leur alarme DSC et AIS (des MOB1 de chez Ocean Signal). Evidemment, il y a aussi les sempiternelles lessives et nettoyages, que l’on n’évoque pas toujours, mais qui prennent du temps. Enfin, Heidi nous prépare de nombreux plats en bocaux en vue de nos longues traversées à venir.
Fort heureusement, il n’y a que peu de pièces qui nous manquent, et bien que nous nous rendions chez les accastilleurs en ville, il n’y a que peu d’achats à faire de ce côté là. En revanche, il est une caverne d’Ali Baba qu’il nous est impossible de louper (chaque équipage en faisant une promotion d’enfer), c’est le magasin d’usine de Southern Ropes. On y trouve des chutes de cordages vendus à des tarifs exceptionnels, tant et si bien qu’en deux visites, nous faisons l’acquisition de plus de 40 kilos de bout (oui, c’est vendu au kilo…) Il faut dire que certaines “chutes” font plus de 40 mètres, ce qui est parfait pour des drisses et qu’on y déniche aussi de magnifiques aussières à moins d’un euro le mètre. Bref, nous achetons de quoi changer la plupart des cordages à bord, et plus encore ! De nouvelles bosses de ris iront à merveille sur notre nouvelle grand-voile.
A nous entendre, Cape Town n’aurait été qu’une escale technique, mais loin de nous cette idée, car nous allons aussi y voir Volker et Gabrielle, amis des parents que nous avions déjà rencontrés par le passé. Nous passons une soirée très agréable ensemble. Et puis nous allons aussi faire beaucoup de tourisme dans la région, toujours grâce à notre voiture. Nous commençons, évidemment, par le cap lui-même. Nous passons la journée dans la péninsule, à faire l’ascension de Cape Point, jusqu’à l’ancien phare, puis en poursuivant jusqu’au-dessus du nouveau phare. Nous faisons cette excursion sous un soleil radieux et un jour bien venté, si bien que le paysage est à la fois sublime et sauvage. Comparé au Cap des Aiguilles, bas et peu spectaculaire, il est évident que Bonne-Espérance a quelque chose en plus, même s’il n’est pas aussi austral. On sent ici qu’on se trouve au bout du continent, et nous admirons d’en haut la route que nous prendrons quelque semaines plus tard en contrebas.
Nous nous rendons également par deux fois dans l’arrière-pays de Cape Town. Notre premier séjour nous verra dormir (et visiter) dans un sanctuaire pour lions précédemment maltraités, ce qui nous permet d’admirer, même si c’est en captivité, ces gros félins que nous n’avions pas encore vus. Notre route nous mène dans les régions viticoles de Stellenbosch et de Franschhoek, où nous dégustons des vins pour certains délicieux (il convient de citer la maison Tokara), et pour d’autres moins satisfaisants. Pour autant, les vignobles sont souvent installés dans des paysages très pittoresques. Stellenbosch et Paarl sont baignées de soleil et situées au pied de magnifiques montagnes, et pourtant nous nous croirions dans des bourgades hollandaises tant c’est propret et mignon. Quant à Franschhoek, c’est évidemment la “vallée des Français”, et les descendants des Huguenots ont baptisé leurs domaines de noms très kitschs, comme “La Provence”, “La Bourgogne” et même “La Bretagne” (même si les plants de vigne sont plutôt rares dans cette région).
Notre route retour nous fait passer au-delà du col de Franschhoek, dans une vallée de toute beauté, et nous revenons sur Cape Town par les montagnes Hottentots-Holland, avec un superbe panorama sur False Bay. Quant à notre deuxième virée, elle nous fait passer par Paarl pour atteindre Worcester, où nous passons la nuit dans une charmante chambre d’hôte, non sans avoir fait auparavant une petite incursion dans la Hex Valley jusqu’à la région semi-désertique du Karoo, pour nous faire une idée de ce qu’il y a au-delà de l’arrière-pays agricole. Faisant une plus grande boucle que la première fois, nous poussons le deuxième jour jusque dans la vallée de Hemel-en-Aarde, y faisant une nouvelle dégustation dans un cadre magnifique, dans l’un des vignobles les plus australs d’Afrique, avant de regagner Cape Town par la spectaculaire route côtière.
Les routes côtières spectaculaires, ce n’est pas non plus ce qui manque à Cape Town même, et en y séjournant plusieurs semaines, nous finissons pas bien connaître la ville, pour avoir parcouru ces itinéraires magiques, tels que le Boyes Drive, le Chapman’s Peak Drive, le col de Silvermine, ou encore la route en contrebas des douze apôtres. On déniche des coins verdoyants comme Constantia, majestueux comme Hout Bay, pimpants comme Llandudno et Clifton, ou exotiques comme le quartier malais Bo Kaap. En ville, on se rassasie à l’Oriental Food Bazaar, on parcourt la zone industrielle de Paarden Eiland et le quartier alternatif de Woodstock – avec cette question marrante lue quelque part : “Where would Woodstock stock wood if Woodstock would stock wood?”
Nous avons même pris nos petites habitudes, en allant faire nos courses à Noordhoek ou à la boulangerie de Kalk Bay. Et les promenades ne manquent pas, puisque non loin de Simon’s Town, on admire les blocs de granit et les manchots, tandis qu’avec les équipages de Ralph Rover et de Thala nous grimpons au sommet du Lion’s Head pour le coucher du soleil, ce qui nous procure une superbe vue sur Table Bay au crépuscule.
Vous vous doutez bien qu’à force de faire et de visiter tout cela, le temps file ! Tant et si bien qu’il nous fallait songer à avancer. Après avoir séjourné deux semaines et demi à Simon’s Town, nous avons donc saisi une bonne fenêtre météo pour sortir de False Bay, pour passer la nuit au mouillage immédiatement sous le cap pendant qu’un petit front passait, et pour passer au pied des falaises de celui-ci le lendemain matin. Une lampée de rhum pour Neptune et Eole, afin de fêter cela, et nous étions ensuite en route au portant dans le “vrai” Atlantique : cap au nord, pour atteindre Hout Bay.
Là, nous avons d’abord eu la visite de Volker et d’amis venant leur rendre visite, amis chez lesquels nous avions fait livrer le nouveau vérin de pilote automatique, et qui se sont chargés de l’apporter dans leurs bagages. Grâce à eux, et après un simple changement de prise électrique, nous retrouvons la pleine fonctionnalité du pilote, c’est merveilleux ! Par ailleurs, le voilier nous livre le lendemain les nouvelles voiles, et après une installation à bord sans histoires, Fleur de Sel est fin prête pour les essais en mer. C’est aussi pour cette même étape que Volker et l’un de ses amis, Arist, viennent se joindre à nous. Nous quittons Hout Bay dans la matinée, et après nous être extirpés des rafales et dévents sévissant dans la baie, nous longeons ensuite la côte ouest de Cape Town par un bon petit vent avant que celui-ci ne s’évanouisse dans l’ombre de Table Mountain. Fleur de Sel franchit donc les passes du port au moteur dans la pétole (ce qui est toujours préférable aux 40 nœuds qui soufflent souvent à cet endroit là), et se dirige droit vers le Waterfront, où nous franchissons deux ponts ouvrants avant de venir nous amarrer non loin de Maloya IV, au V&A (petit nom de la marina Victoria and Alfred).
Nous sommes désormais véritablement en centre-ville, ce qui nous permet de profiter des alentours à pied. Nous passons quelques bons moments avec Suzanne et Robert et nous faisons connaissance de leurs voisins Melanie et John. Nous en profitons pour nous promener dans les parages, pour faire pas mal de courses et d’avitaillement. Et afin de ne pas commettre de crime de lèse-majesté avant de repartir de Cape Town, nous prenons même le téléphérique rotatif pour nous rendre au sommet de la célèbre Table Mountain. La vue alentour y est de toute beauté.
Un problème technique de dernière minute nous chagrine, puisque nous nous rendons compte qu’une des charnières du panneau de descente est rompue. Heureusement on trouve un chantier qui fait de la soudure alu pas trop loin (et je m’y rends d’ailleurs en annexe !) Manuel, le patron, est charmant, et Ivan, le soudeur, est adorable. Impossible de faire la réparation sans enlever le plexi, et ils me fournissent les outils pour le faire. Puis Ivan œuvre tel un virtuose et en une heure tout est réparé. Tout ? Non, il nous faut maintenant reposer le plexi, ce qui nous prend bien la journée une fois de retour à bord. Et quand je repasse au chantier pour payer ma facture, Manuel m’apprend qu’il est portugais, à Cape Town depuis des décennies, et qu’il est content d’aider un navigateur de passage, lui qui a déjà fait le tour du monde deux fois. A la fin de la discussion, impossible de lui payer l’entièreté de la facture. Il n’accepte que l’équivalent de 15 euros, autant dire que c’est pour le symbole.
Globalement, après cela, le bateau est presque prêt, et ce qu’il nous reste de plus important à faire, ce sont les formalités de départ qui sont, vous l’avez maintenant compris, assez pénibles en Afrique du Sud, et particulièrement à Cape Town. Bien conseillés par Laurent de Ralph Rover (merci !), nous optons pour les faire le dimanche matin – les administrations opèrent alors en effectifs réduits, si bien que ce jour-là les bureaux sont regroupés au même endroit, et d’autre part les chefs sont alors en week-end, si bien que les fonctionnaires peuvent être moins bornés sans risquer de réprimande de leur hiérarchie zélée. Il y a deux bémols à cela : d’une part cela veut dire qu’on ne peut pas choisir sa météo pour le départ et d’autre part, il faut pour ce faire se rendre au Royal Cape Yacht Club. Cela veut dire changer encore une fois de marina, mais surtout pour se rendre à un endroit assez détestable. En effet, non seulement le yacht club est situé au fond de la zone portuaire sous douane, mais en plus il s’agit d’une soufflerie sans nom, et enfin les pontons et les places y sont très étroits, ce qui est le cauchemar du bateau de croisière qui manœuvre mal.
Le dimanche matin à la première heure, nous arrivons donc au yacht-club, espérant profiter par là-même de l’accalmie matinale. Nous y parvenons tout juste, le vent se déchaînant littéralement trois minutes après notre amarrage. Nous entamons alors la promenade bucolique souhaitée, intitulée “valse des feuilles non pas d’automne, mais des documents de clearance, dans la zone portuaire industrielle”. Nous y passons la matinée, mais c’est déjà moitié moins que les huit heures chrono qu’ont mis nos amis de Privateer. Et au moins sommes-nous sortis de là avec tous nos documents en ordre, le certificat de clearance en main, les passeports tamponnés et même la demande de remboursement de TVA effectuée*. C’est mieux que les trois quarts des bateaux rencontrés à Simon’s Town, qui ont jeté l’éponge et qui sont partis du pays illégalement, tellement les administrations leur cherchaient des noises. Evidemment, ce genre de comportement finit par retomber sur les yachties par la suite, et pourtant en l’occurrence ce serait plutôt le comportement des officiels qui serait à revoir. La plupart des marins nous avouaient ne pas avoir l’habitude de prendre la poudre d’escampette de la sorte, mais nombreux sont ceux qui se sentaient pris en otages.
Soulagés de pouvoir partir sans incident administratif, restait à éviter les incidents nautiques. La veille de notre départ, celui de nos amis de Kousk Eol nous a donné des sueurs froides, car nous savions Fleur de Sel incapable de faire, comme eux, une marche arrière à pleine vitesse entre les pontons étroits afin d’éviter que les rafales à 40 nœuds ne rabattent le bateau sur les voisins. Après les derniers préparatifs (et un nouveau trajet avitaillement vers le Waterfront où seule une douce brise de 10 nœuds soufflait…), nous avons donc décidé de partir à l’aube le lendemain matin, espérant larguer les amarres avant que le vent ne se déchaîne. Non seulement le vent a soufflé presque toute la nuit, mais en plus nous étions tellement stressés que nous avons très mal dormi. Et avant même que le réveil ne sonne, nous entendions de temps à autre une rafale s’abattre dans la forêt de gréements. Aidés par nos amis de Thala, nous avons attendu un moment qui nous paraissait opportun, et fort heureusement tout s’est bien passé. Quelques milles plus loin, nous étions au moteur par manque de vent, maudissant ce yacht-club installé là comme on aurait installé un hôtel dans un couloir d’avalanche, et dans lequel les officiels exigent que l’on vienne s’amarrer pour faire les formalités.
* Demande de remboursement de TVA qui nous sera finalement refusée des mois après par l’administration sud-africaine (à l’intégrité réputée…), pour des raisons plus que douteuses. C’est facile de faire des promesses aux touristes sur place et de les décevoir une fois rentrés chez eux : à la longue ils finissent par se lasser et à laisser tomber. A bon entendeur…