Le Portugal en rouge et vert
Vert et rouge sont les couleurs du pavillon national portugais, mais on pourrait aussi y voir une allusion aux paysages verdoyants du nord et aux terres plus arides et ocre du sud. Quant à notre voyage, qui passe par le pays le plus à l’ouest de l’Europe continentale, il aura aussi subi ses coups d’arrêts et ses grandes élancées. De feux verts en feux rouges, nous avons goûté à l’agréable douceur de vivre portugaise, si plaisante, tout en faisant face et en trouvant des solutions à nos premiers soucis techniques inquiétants.
Rouge : premier point rouge sur le chemin du Portugal, lorsque nous constatons que notre pilote automatique semble avoir rendu l’âme. Bien-sûr, nous avons à bord notre célèbre régulateur d’allure, que nous utilisons lors des grandes traversées, mais pour de courtes distances, pour les entrées et sorties de port, ou encore lorsque le vent est trop faible, il est plus commode d’utiliser notre pilote électrique.
Nous en avons un deuxième de rechange, mais il est moins puissant et plus difficile d’utilisation. De plus, nous ne l’avions pas encore installé, aussi ce sera chose faite assez rapidement, car s’il nous faudra trouver une solution avant de nous élancer plus loin, dans l’immédiat cela nous dépanne bien de ne pas être rivés à la barre.
Vert : arrivés à Viana do Castelo, nous découvrons l’ambiance douce et plaisante du Portugal, encore quelque peu similaire à la Galice car nous sommes dans la région du Minho, tout au nord-ouest du pays, mais déjà si différente.
Cette ville portuaire de quelque importance nous séduit par son centre-ville où l’on se ballade nonchalamment (entre et sous les averses…), découvrant églises, façades, maisons et trottoirs pavés déjà caractéristiques du Portugal. Qui plus est, nous en profitons pour essayer les trains portugais, afin d’aller visiter la grande ville de Porto. Après 1 heure 40 pour parcourir 60 km, nous découvrons le célèbre port d’embarquement des vins de Porto, boisson particulièrement appréciée par l’équipage de Fleur de Sel !
La ville est installée dans un site très encaissé qu’enjambent plusieurs superbes ponts en acier, qui font penser à des Tour Eiffel horizontales ! Les villes, plutôt, puisque Porto (l’antique Portus) fait face à Vila Nova da Gaia (l’antique Cale), et que ces deux villes ont donné leur nom au comté de Portucale, puis au pays. Nous sommes impressionnés par le nombre de personnes qui parlent un très bon français, surtout dans le nord du pays.
Alors que Fleur de Sel se repose tranquillement dans la sympathique marina de Viana do Castelo (dont un des ponts a vraiment été construit par G. Eiffel d’ailleurs), nous passons la journée en balades citadines et à visiter le chais Ramos Pinto, l’une des grandes maisons portugaises de Porto. Avant de rentrer, nous irons encore admirer la librairie Lello & Irmao, dont l’escalier et l’architecture Art Nouveau sont tout simplement incroyables.
Feu vert : Nous avons été bloqués à Viana pendant trois jours, histoire de laisser passer un coup de vent. Les creux dehors faisaient 4m, tandis que le bateau subissait au port les rafales. C’est pourquoi nous avions décidé de visiter Porto au départ de Viana. Car le beau temps revenu (et le plein de Porto effectué !), il fallait saisir l’occasion et s’enfuir, pour passer du nord au sud. De plus, la navigation s’annonce bien puisque quelques minutes avant de partir, nous apprenons la naissance de Marine. Tonton pour la troisième fois, c’est un vrai bonheur ! On s’élance donc le coeur léger pour le grand saut, et 130 milles plus loin, après 30 heures de navigation, nous arrivons à Nazaré. Changement de décor, finis les trains de dépressions, du moins nous l’espérons. Place aux paysages plus méridionaux.
Feu rouge : A Nazaré, le vent souffle, certes, mais c’est surtout la houle qui nous bloque un moment, puisque comme souvent sur cette côte, la houle de nord-ouest, qui s’est formée à un millier de milles de là, vient briser avec force sur la plage et les falaises. Le spectacle est superbe, mais nous sommes contents de ne pas nous faire balloter en mer. Nous en profiterons pour aller arpenter cette très jolie petite ville et sa somptueuse plage. Nous avons la chance de tomber sur un festival folklorique : des habitants portant des costumes et jouant de la musique traditionnelle passent dans les rues et arrivent sur une estrade installée sur la plage pour un spectacle de danses. Nous prenons ensuite le funiculaire pour admirer du haut de la falaise la mer qui brise au pied du phare, et pour découvrir, sous un superbe ciel bleu, le quartier haut de la ville qui fait parfois penser à un village grec blanc.
Vert : Alors que nous sommes sur la falaise, nous voyons au loin un catamaran approcher et se diriger vers le port où il vient s’abriter. Nous ferons connaissance le lendemain avec l’équipage de Balboa II, Jonathan et Cerise, qui sont partis comme nous pour plusieurs années, avec leur petit moussaillon en herbe (ou bien dit-on en algues ?) : Léo, même pas un an et déjà un sourire plus grand que lui. La houle s’étant rapidement tassée, nous décidons de naviguer de conserve vers le sud. Première halte le temps d’un déjeuner ensemble à l’Ilha da Berlenga. Mélange d’Ecosse et de Méditerranée, toute couverte de fleurs qui plus est, cette île est un délice pour les yeux.
Malheureusement, nous ne pourrons pas rester longtemps, à cause de la houle résiduelle, mais aussi parce que 50 milles nous séparent encore de notre prochaine étape : Cascais. La navigation au portant, sous gennaker, est un vrai bonheur, et nous approchons du Cabo da Roca au soleil couchant. C’est la pointe la plus à l’ouest de l’Europe continentale. Avec Fleur de Sel, nous avons cependant été plus à l’ouest, lorsque nous avons contourné les Skelligs, en Irlande, mais maintenant, c’est vers le sud que nous avançons de plus en plus chaque jour.
Rouge : Mauvaises nouvelles cependant, car pendant la navigation vers Cascais, nous avons constaté qu’un chariot de latte de notre grand-voile neuve a cassé, heureusement pas dans une situation critique. Il nous faut donc contacter la voilerie pour qu’elle nous fasse parvenir des pièces de rechange au plus vite. Deuxième mauvaise nouvelle : nous avons remarqué que nous ne captions pas bien la VHF, puis que l’antenne bougeait anormalement. A Cascais, il faut se rendre à l’évidence, nous avons perdu notre antenne 🙁 Nous en serons quitte pour installer notre antenne de rechange, mais encore aujourd’hui nous ne sommes pas certains que la connexion soit bien faite.
Feu rouge : Cascais se trouve dans la banlieue de Lisbonne, et nous profitons de ce passage dans une grande capitale pour prévoir la suite de notre voyage. Nous voulons nous rendre au Cap-Vert, et il n’est pas clair s’il nous faut des visas ou non. Nous nous rendons à l’ambassade cap-verdienne, et décidons de demander des visas, histoire de ne pas avoir de surprise une fois sur place. Ça n’est pas donné, mais surtout nous déchantons lorsqu’on nous indique qu’il faut trois jours ouvrables d’attente.
Nous voilà donc coincés à Lisbonne pour le week-end dans l’attente de nos passeports et des pièces de rechange de la grand-voile. La ville est passionnante et agréable, mais les seules marinas où l’on peut trouver de la place pour les bateaux visiteurs se situent loin du centre. Nous opérons donc un changement stratégique : de Cascais tout à l’ouest, nous passons au Parc de Nations tout à l’est. Cette nouvelle marina est loin des transports, mais ça nous permet de découvrir autre chose que Cascais : ce quartier de Lisbonne, lieu de l’exposition universelle de 1998, est assez surprenant, hyper moderne et plutôt bien réussi. Quel contraste saisissant avec le charme désuet et parfois délabré du vieux centre !
Vert : Ouf, après investigation, le pilote est sain et sauf. Le spécialiste Raymarine nous le confirme, l’électronique et le vérin fonctionnent bien, ça doit être un problème de câblage. Effectivement, nous trouvons le problème et réparons le câble fautif. Heureusement, cette panne est bien moins grave qu’il n’y paraissait. Nous nous voyions déjà obligés de dépenser un millier d’euros pour acquérir un nouveau pilote, notre modèle étant déjà obsolète… La panne de pilote, tous les navigateurs l’ont eue, et tous la redoutent, car si elle survient lors d’une grande traversée, il faut se relayer pour barrer, et à deux c’est vite éprouvant. C’est pourquoi nous avons du rechange et l’alternative du régulateur d’allure. Nous ne pensions pas faire les frais d’une frayeur comme celle-là tout de suite, mais un petit câble en a voulu autrement. Heureusement, c’est réparé !
Rouge encore : Décidément, les mauvaises nouvelles s’accumulent, à peine le pilote réparé, lors de la remontée du Tage, c’est l’alarme refroidissement du moteur qui se déclenche. Nous voici en train de louvoyer contre le courant en passant la somptueuse Torre de Belém et le mythique pont suspendu, Heidi à la barre se concentrant sur les risées pour faire avancer le bateau au mieux au près, et Nicolas le nez dans le moteur. Nous admirons à notre manière le paysage… Symptôme dérangeant : une fuite de liquide de refroidissement. Ça peut être bénin comme ça peut être grave. Nous envisageons le pire, et parvenons tant bien que mal au Parc des Nations. Le voyage ne va tout de même pas s’arrêter là ! Après une nuit de repos, un diagnostic méthodique et quelques réflexions, Heidi suggère que c’est le circuit du chauffe-eau qui pose problème. Bingo ! Un collier avait lâché et le circuit s’était vidé dans la cale. Ouf ! Plus de peur que de mal, après le pilote, encore une fausse alerte. Il reste encore l’antenne VHF qui ne fonctionne toujours pas bien et le chariot de grand-voile à réparer, mais nous espérons surtout que cette série noire va s’arrêter.
Vert : Nous obtenons nos visas pour le Cap-Vert, nous redescendons le Tage, et après encore un peu d’attente, le facteur passe et nous récupérons les pièces pour le chariot de grand-voile. Nous remercions au passage les parents de João, qui ont bien voulu recevoir les pièces, ainsi que notre courrier. Leur aide nous a été inestimable, d’autant plus qu’ils avaient d’autres choses à faire à ce moment là. Notre escale lisboète peut prendre fin. Heureusement, nous connaissions déjà Lisbonne l’un et l’autre. Nous avons pu y faire quelques courtes ballades sous un temps estival pour revisiter l’Alfama et Belém, quartiers que nous aimons bien. Mais cette semaine passée autour de la capitale aura surtout été une escale technique pour régler les soucis que nous avons eus. Clairement les symptômes d’une préparation sur les chapeaux de roues, et il reste donc quelques mises au point à faire. De plus, nous commençons à avoir la bougeotte, car le temps file, et nous souhaitons nous mettre en chemin pour les Canaries, notre prochaine destination.
Feu rouge : Seulement voilà, la météo en a décidé autrement, et les vents habituellement de nord-est sont prévus aux abonnés absents pour la semaine qui vient. Une dépression stationnaire semble vouloir élire domicile au large de Gibraltar, ce qui signifie du vent contraire tout du long. Pas l’idéal pour se lancer dans une traversée de 700 milles, qui pourrait alors durer deux semaines au lieu d’une… Dans ces conditions là, nous choisissons d’aller nous abriter à Sesimbra en compagnie de Balboa II. Ce sera, nous l’espérons, un bon endroit pour prolonger notre périple portugais, et pour revoir Cerise, Jonathan et Léo avant qu’ils ne filent vers la Méditerranée.