Entre les volcans
Difficile d’y croire en regardant le calendrier : déjà quatre semaines que nous sommes arrivés aux Iles Canaries. Tout a été à la fois très vite et lentement, d’une île à l’autre, de haut en bas, et au rythme des volcans. Explications, ou plutôt petit résumé…
La petite île de La Graciosa a été la première à nous accueillir. Pourtant sur une carte, on pourrait aisément la manquer, toute petite au nord de Lanzarote. Mais après une petite semaine de mer, il n’y a pas mieux pour reprendre ses esprits. Une île de sable et de vieux volcans. Les rues de Caleta del Sebo, le petit port, ne sont pas goudronnées, c’est du sable. De toute manière il n’y a vraiment pas beaucoup de voitures, à peine quelques 4×4. On vient donc se mettre quelques jours au vert ici, ou plutôt à toutes les teintes de jaune à ocre. Avec ses maisons blanches et ses palmiers, on se croirait vraiment arrivés en Afrique. Le Maroc n’est qu’à 80 milles, soit 150 km.
En face, de l’autre côté du détroit El Rio, c’est Lanzarote. L’île de lave, dont on aperçoit les grandes falaises le plus souvent perdues dans les nuages. Il faut dire que pendant nos premiers jours aux Canaries, il n’a pas fait très beau. Les restes de la dépression que nous avons du négocier en descendant. En l’admirant de la mer, avec ses maisons blanches et sa côte noire abrupte, on pourrait penser à l’insensé mariage des villages blancs andalous avec les paysages grandioses des Iles Féroé ! Un peu plus loin, le littoral s’abaisse, et on longe alors de véritables plaines de lave noire, d’où émerge de temps en temps une colline. Surréel.
Au sud, je vous présente Fuerteventura. Cette dame en forme d’aile d’avion a une réputation à maintenir, et elle ne s’en prive pas. On ne va donc pas s’y attarder plus longtemps que ça. Juste assez pour goûter aux fameuses accélérations du vent. Sur la côte sud, c’est écrit dans le guide que lorsque les sommets sont pris dans les nuages, il faut s’attendre à de bonnes bourrasques, et que certains ont déjà mesuré 50 noeuds. Aïe… Les sommets sont justement pris dans les nuages. Malgré la protection de l’île, la mer devient blanche, et nous nous cramponons. Une fois dégagés de l’île, le vent se calme un peu, mais c’est maintenant les vagues qui peuvent s’exprimer. Pas facile à négocier, ce passage…
Nous serons donc contents d’arriver à Las Palmas, sur l’île de Gran Canaria, après une nuit à se faire ballotter. Il faut dire qu’entre les volcans de l’archipel, l’effet venturi est particulièrement saisissant. Explication : le vent arrive en amont à 20-25 noeuds, et bute sur les volcans. Impossible de monter, nous sommes à la lisière des alizés et la couche basse est chapeautée par ce qu’on appelle une inversion. En bref, une cloche à fromage qui refuse catégoriquement que l’air ne s’évacue par au-dessus. Ne restent donc que les passages entre les îles. Et c’est ainsi qu’on peut trouver 5 à 10 noeuds sous le vent des îles, et 35-40 noeuds entre les îles… Sportif ! De Gran Canaria, nous ne verrons pas autre chose que sa méga-capitale (350’000 habitants, tout de même !), histoire d’y faire les derniers achats de matériel pour le bateau.
Mais il faut choisir, et c’est Tenerife que nous avons choisi de visiter plus amplement, en nous offrant une location de voiture pour quelques jours. Heureusement, la traversée sera moins rude, mais si rapide que sur la fin il nous faut ralentir pour ne pas arriver avant le lever du jour. Petit moment de stress néanmoins lorsqu’un cargo semble nous foncer droit dessus en pleine nuit noire. Heureusement il nous évitera, et nos pensées deviennent lointaines lorsque l’AIS nous indique que sa destination est Rio Grande do Sul, au Brésil…
Ténérife, c’est la plus grande, en taille et en hauteur. Et pourtant, en raison du temps nuageux notre regard ne sera pas monopolisé par le Teide, resté pudique. A notre départ en voiture, il semble d’ailleurs toujours être caché. Pourtant, ce n’est pas chose facile de dissimuler un volcan de 3’700 mètres ! Du large, il semble surgir des flots, et s’il n’y avait pas d’océan, il mesurerait plus de 7’000 mètres au-dessus des fonds marins… Ca donne le tournis rien que d’y penser. Rien que d’y monter aussi, d’ailleurs, car la route est loin d’être droite. Nous nous appliquons donc à bien négocier les virages, car ça fait plusieurs mois que nous n’avons pas conduit ! Arrivés à Vilaflor, le plus haut village d’Espagne, un espoir renaît sous la forme d’un coin de ciel bleu, qui prend le dessus quelques centaines de mètres plus haut. Nous voici au-dessus de cette fameuse inversion, dans la couche d’air sec, et nous admirons alors dans toute leur splendeur Las Cañadas et El Teide, un gigantesque cratère volcanique de 50 km de circonférence au milieu duquel surgit le plus haut pic d’Espagne. Le tout dans des teintes noires, jaunes, ocre, et parfois vert, sous un soleil de plomb. Un désert de lave, de sable, de roches, où poussent quelques tajinastes rojos, ces gigantesques fleurs côniques rouges.
Redescendons sur l’autre versant de l’île, celui exposé au nord, bien plus verdoyant que le versant sud et ses cactus. Le temps d’une petite halte dans la charmante ville de La Orotava, dont les maisons sont décorées de fenêtres et de portes en bois, et nous voilà repartis. Il ne faut pas chômer, l’île est grande et nous allons parcourir 250km dans la journée, à une vitesse moyenne ne dépassant pas les 40 km/h… Tout au bout de la côte nord se trouve la Punta de Teno. La route semble interdite en raison des chutes de pierre par temps d’intempéries, mais vu le beau temps, nous nous y risquons quand même, et nous ne le regretterons pas. Il ne faut juste pas avoir le vertige… Mais peut-être le coin le plus extraordinaire sera-t-il autour du petit village de Masca, vraisemblablement le plus perdu de l’île. Impossible de passer les lacets en seconde sous peine de caler, on attaque en première. Les paysages volcaniques aux raides vallées s’effondrant vers la mer nous rappellent Madère. Tenerife nous aura conquis. Pas tels des touristes, dont nous dépasserons les hôtels agglutinés autour des plages un peu plus loin sur la route du retour. Mais par la beauté qu’elle cache un peu plus loin, heureusement bien préservée des hordes de charters qui déboulent en flots continus.
Immédiatement à l’ouest de Tenerife se trouve La Gomera, l’île du silbo. Ses habitants originels, les guanches, communiquaient par un langage sifflé, qui avait le mérite de permettre la communication au travers des vallées encaissées. Car le relief fait qu’on circule bien plus facilement en bateau autour de La Gomera que par la route. Pourtant, à l’approche de l’île, nous aurons encore droit à notre petite dose de survente, avant de pouvoir jeter l’ancre quelques jours devant des vallées inaccessibles et donc désertes. Mais il nous faut retrouver la civilisation (et le téléphone et Internet), car nous attendons de quoi dépanner une deuxième fois notre grand-voile. C’est donc à San Sebastián, le principal port de l’île, que nous élisons domicile. Non, non, le terme n’est pas exagéré, car les nomades que nous sommes finiront par passer plus de 10 jours à San Sebastián.
La ville est charmante, ni trop grande, ni trop petite. On y trouve de quoi bien ravitailler avant de partir vers le Cap-Vert où on ne trouve plus grand’chose. Et puis le colis que nous attendons semble coincé à Madrid. Cette fois-ci c’est un islandais qui vient mettre son grain de cendre, puisqu’on nous dit que le volcan Eyjafjöll a entrainé la fermeture des aéroports canariens. Pas grave, l’île regorge de randonnées plus superbes les unes que les autres. Nous nous faisons donc déposer en bus non loin du Garajonay, le sommet de l’île, pour nous balader dans la laurisylve, et descendre vers la côte nord. Le paysage est beau, nous poursuivons notre randonnée malgré la fatigue, et nous nous retrouvons à descendre une paroi presque verticale sur un petit chemin étroit en longeant une cascade d’une hauteur respectable. Bilan de la journée : nous en avons pris plein les yeux, et plein les genoux aussi !
En attendant le paquet, nous travaillons à l’entretien du bateau, aux multiples petits et moyens bricolages qu’il nous reste à faire, et surtout nous lançons un énorme atelier couture, pour réaliser notamment les moustiquaires du bord. C’est qu’on approche des zones sensibles de ce point de vue… Nous sommes bien occupés, mais au bout de quelques jours, le paquet n’ayant toujours pas bougé malgré la reprise du trafic aérien, nous décidons de passer à l’action. Il nous faudra finalement de nombreux coups de fil, plusieurs emails, et une bonne dose de patience pour finir par recevoir nos précieux coulisseaux. Explication : les Canaries font partie de l’Union Européenne, mais pas de l’union douanière… On doit donc malgré tout traiter avec l’administration, les agents transitaires, etc. alors même que nous sommes toujours en Europe. C’est à devenir fou et philosophe en même temps. Car nous nous élancerons donc directement de San Sebastián vers le Cap Vert avant de poursuivre si tout va bien vers le Brésil. Et les gens ne deviennent pas plus pressés au fur-et-à-mesure que l’on descend vers le sud. A nous, donc, de nous habituer, car nous quittons maintenant vraiment l’Europe, même si nous avions déjà l’impression d’être en Afrique en arrivant.