Retour sous les tropiques

Retour sous les tropiques

Il y a tout juste moins de 300 milles de Rapa à sa voisine australe la plus proche, Raivavae, et nous parcourons cette distance en une soixantaine d’heures, c’est plutôt pas mal. Après avoir abandonné les falaises de Rapa dans le crépuscule, la nuit est superbe, et les étoiles veillent sur nous tandis que le vent nous porte. Il est juste un peu léger et un peu trop adonnant, ce qui nous oblige à faire route un peu plus au nord qu’il ne le faut. Dans la journée du lendemain, nous faisons un bon bord de gennaker, qui nous permet de grappiller quelques dixièmes de nœuds, mais toujours pas possible d’abattre plus. De toutes les manières, à l’approche de la nuit, il est plus sage de l’affaler. Dans la nuit, le vent fait fi des prévisions et continue à tourner au sud, ce qui nous oblige à passer les voiles en ciseaux. Nous voici au vent-arrière, ça roule, mais ça ne change pas grand-chose, car on roulait aussi avant ! En plein océan, nous passons au-dessus d’un mont sous-marin, et notre sondeur capte 30m. Pas de souci, la mer n’est pas forte et le haut-fond ne nous malmène pas. En revanche, sur la ligne de pêche ça ne mord pas mieux pour autant…

Enfin, le vent repart à l’est et forcit un peu, si bien que nous rechangeons la grand’voile de bord, et que nous prenons un, puis bientôt deux ris. Raivavae approche rapidement, mais le temps s’est bien couvert si bien que nous ne l’apercevons pas encore au coucher du soleil. Il fait nuit noire, et la prudence voudrait que nous attendions qu’il fasse jour pour entrer dans le lagon. Mais en ayant préparé notre navigation avec soin, nous savons que la passe n’est pas difficile et que le courant et les vagues ne devraient pas être un problème. De plus, les feux de l’alignement d’entrée fonctionnent, et nous pouvons donc nous y fier. Le radar nous semble confirmer le bon positionnement du GPS, et nous avons en plus la carte satellite et le tracé de Bernard, des Gambier, ce qui commence à relever du pantalon à doubles bretelles et double ceinture. Alors allons-y ! Le tout se passe comme sur des roulettes, et vers les 3 heures du matin, nous pouvons tous les deux nous glisser sous la couette alors que Fleur de Sel tire sur son ancre.

Nous ne découvrons la baie de Rairua qu’au petit matin, une fois le jour bien levé, et tirés du lit non pas par la chaleur du soleil, mais par un bruit anormal. Le temps de sortir et non loin de l’étrave passe la goélette qui vient s’amarrer sans encombre au quai de l’île. Heureusement, nous ne l’avons pas gênée dans sa manœuvre en mouillant là où nous sommes ! Il fait un grand beau temps et l’île, qui n’était hier qu’une masse noire dans la nuit sombre, a revêtu sa parure émeraude tandis qu’elle dessine sa silhouette montagneuse dans un ciel éclatant. Il est temps de gonfler l’annexe et d’aller rendre visite à la gendarmerie, qui attendait notre arrivée. L’accueil y est des plus agréables, mais dès le début d’après-midi, nous voilà levant l’ancre de nouveau, vers le sud du lagon. Vive le dériveur en alu : nous passons d’abord la pointe ouest de l’île où la carte indique 1m20. Il y a en fait plus d’eau entre les têtes de corail, et nous slalomons un peu avant de longer la côte sud. Le vent souffle entre l’est et le nord-est, ce qui fait que les mouillages « habituels », protégés des alizés de sud-est sont un peu exposés. Mais nous trouvons un bon refuge derrière la longue langue de sable du Motu Vaiamanu. Nous sommes au milieu des patates de corail, par deux mètres de fond, et tenus par deux ancres pour ne pas tourner. L’eau est turquoise, Raivavae nous fait face, de l’autre côté du lagon. C’est tout simplement splendide, et nous sommes seuls.

Nous passons deux jours dans ce cadre que d’aucuns qualifieraient de rêve. L’eau est trop trouble pour que la plongée tuba soit véritablement belle, et puis elle est encore un peu fraîche. Le soleil en revanche, tape bien, et la promenade du lendemain sur le motu nous vaudra de bons coups de soleil. C’est que nous longeons la plage le long de la végétation dense, jusqu’à pouvoir traverser la langue de sable, de l’autre côté de laquelle se trouve le « lagon piscine » (aux couleurs si claires que certains semblent fantasmer sur un fond en carrelage et sur une eau chlorée, drôle d’idée…). C’est l’occasion de ramasser plusieurs noix de coco pour refaire notre stock. Mais nous sommes aussi partis les palmes à la main, pour pouvoir plonger un peu si l’occasion se présente. Et nous poursuivons la balade vers le récif, où nous trouvons la parfaite piscine, nous pas celle de tout à l’heure, mais un joli bassin aux parois de corail, et dans lequel la visibilité est excellente. Les poissons abondent, et nous observons des perroquets, des nasons, des papillons-cocher, et de nombreux autres que nous ne savons pas encore identifier. Quel dommage que l’appareil-photo étanche soit hors-service, nous aurions pu prendre de jolis clichés… Le soir, nous œuvrons à recoudre le point d’amure du génois, qui a quelques petites faiblesses, le tout en écoutant la radio néo-zélandaise pour savoir qui a gagné la Coupe du Monde de Rugby. Après ce petit séjour, nous changeons d’emplacement pour aller un peu plus à l’est. Même type de mouillage, sur deux ancres, juste à côté des patates, et la plongée y sera également excellente.

Mais assez traîné, nous avons tout juste un peu d’avance sur notre programme, il est vrai, mais nous souhaitons encore découvrir l’île principale, dont les montagnes aux formes à la fois majestueuses et harmonieuses nous surplombent. Retour à Rairua, donc, mais par la côte nord. Nous nous faufilons entre le Motu Hotuatua, aux formes de pain de sucre, et la pointe est de Raivavae, et puis la navigation nous mène au pied des montagnes. L’épine dorsale de Raivavae, île allongée d’est en ouest, est une crête qui court le long de la côte nord, tandis que le flanc sud descend plus doucement vers le lagon. En contrebas de ces à-pics, un village, son temple coloré et la route qui ceinture l’île. Nous découvrons alors la passe que nous avions vue en teintes de noir, et nous voici remouillés à Rairua. Nous y trouvons Polaire qui, comme son nom ne l’indique pas, est un voilier japonais et nous faisons connaissance avec Hideshige, son skipper solitaire, arrivé quelques heures plus tôt.

Nous avons prévu de tenter de rejoindre les crêtes le lendemain, et nous attaquons donc à pied la route traversière qui mène au village de Vaiuru. Les vues au niveau du col sont belles, mais la végétation semble dense partout. A chaque fois que nous demandons à un habitant comment faire pour rejoindre les crêtes, les renseignements diffèrent, sont vagues, ou incohérents. Nous voici bredouilles, revenant sur nos pas, et essayant de trouver le chemin qui semble exister, mais que personne n’est capable de nous indiquer. Est-ce l’effet du tourisme, qui commence timidement à se profiler alors que Raivavae dispose depuis quelques années d’un aéroport, ou est-ce la culture protestante très marquée, un guide nous précisant qu’il y a quelques années encore, le pasteur exerçait une influence si forte qu’il faisait couper l’électricité au moment des services religieux, de manière à ce que personne ne puisse regarder la télévision à la place ? Toujours est-il que nous trouvons les habitants de l’île plutôt réservés, voire froids pour certains. Ou est-ce simplement le contraste avec Rapa et les Gambier, où l’accueil avait été si formidable ?

Heureusement, nous prenons un verre avec Hideshige à bord ce soir-là, au cours duquel il nous présente, une liasse de feuillets laminés à la main, son tour du monde en cinq ans. Il est drôle, et son voyage est intéressant. Entrons un peu dans le stéréotype : le voilà à tourner autour de Fleur de Sel avec son annexe, appareil-photo à la main, et à nous prendre en photo tous les trois. Et puis après avoir rendu visite aux gendarmes le lendemain, nous voilà prêts à lever l’ancre. Nous ferons route ensemble vers Tubuai, et ce sera l’occasion de poursuivre la séance photo. Tout au moins au début du trajet, car Polaire ne peut pas utiliser son génois, dont l’enrouleur hydraulique est cassé. Et malgré ses 16 mètres, nous finirons par la distancer dès notre génois envoyé.

Partis à la mi-journée du 27 octobre, nous arrivons à la mi-journée du lendemain, car les deux îles ne sont distantes que d’une centaine de milles. Juste au sud de Tubuai, nous franchissons de nouveau le Tropique du Capricorne. Le vent aura été plutôt mou, mais nous finissons par atteindre le récif de Tubuai, que nous longeons sur plusieurs milles avec deux lignes en pêche. Rien n’y fait, toujours rien ne mord. Malheureusement, dans cette île qui est le centre administratif des Australes, le mouillage est quelque peu médiocre. Nous sommes dans le lagon, dans quelques mètres d’eau seulement, mais le récif ne nous protège pas aussi bien qu’à Raivavae, surtout lorsque le vent continue à souffler de l’ENE comme il le fait depuis des jours. Nous essayons de nous faufiler à l’abri du môle de la goélette (qui pour une fois ne s’y trouve pas), mais ça bouge tout de même beaucoup. Cela dit, après nos escales à Robinson Crusoe, à Rapa Nui, et à Pitcairn, nous sommes habitués !

Ici encore, l’accueil est un peu plus distant, mais comparé au millier d’habitants de Raivavae, c’est le double qui peuple Tubuai. C’est presque la ville, et pour la première fois depuis des mois, on trouve une agence bancaire et une pharmacie à Mataura, le bourg principal ! L’île a certainement des attraits, avec ses jolis sommets, et ses plaines marécageuses. Sans parler de lieux historiques, comme la Baie Sanglante, qui fait appel au souvenir de la Bounty, toujours elle… Mais nous décidons de ne pas nous éterniser ici, pour poursuivre vers Rurutu la voisine, qui est sensiblement différente de ses consœurs. Tubuai et Raivavae sont les plus courues des Australes, ce qui signifie qu’en saison les voiliers ne sont pas inconnus, mais à cette période-ci, nous étions deux, ce qui était déjà beaucoup. La veille du départ, nous sommes d’ailleurs invités à dîner à bord de Polaire, qui nous offre une jolie carte de nos trajets respectifs, ainsi qu’un joli profil graphique de Fleur de Sel. La version numérique de la demi-coque… Voilà l’explication des photos.

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