Sous le soleil du Fiordland

Sous le soleil du Fiordland

Pour nous faire pardonner notre long silence sur le blog lors de notre visite au Fiordland (dû à un travail acharné sur les photos entre autres – plus de mille clichés supplémentaires sont en ligne), voici enfin un article fleuve pour vous conter quelques secrets de ce coin exceptionnel de Nouvelle-Zélande.

 

Au lever du jour, nous passons déjà les Iles Solander, et c’est bon signe : nous sommes arrivés hors d’atteinte du courant, qui ne nous renverra pas dans le Détroit de Foveaux. Le vent faiblit ensuite, nous abandonnant aux effets de la grande houle, mais cet épisode ne dure pas, et dès la mi-journée le vent reprend. Ainsi, en milieu d’après-midi nous approchons, à pleine vitesse et sous un ciel maintenant limpide, de la fameuse Puysegur Point. Un cap comme il en existe tant d’autres sur la côte du Fiordland, battu sans pitié par les vagues. Seulement celui-ci est surmonté d’un phare et d’une station météo, si bien qu’il est devenu mythique à nos yeux, à force d’entendre les relevés de vent. Trente invariablement, quarante souvent, cinquante parfois, on ne lésine pas sur les nœuds dans ce coin, que l’on imagine encore pire à la mauvaise saison. Alors lorsque Fleur de Sel s’engouffre dans l’étroit passage Otago Retreat, entre la pointe et Coal Island, on est non seulement heureux de regagner l’eau plate après l’épreuve du South West Cape, mais on pousse en plus un ouf de soulagement, après avoir terminé l’étape la moins évidente de notre navigation néo-zélandaise.

Lever du jour sur le Mt Pembroke. Après 3 semaines de Fiordland, Fleur de Sel approche du mythique Milford Sound.
Lever du jour sur le Mt Pembroke. Après 3 semaines de Fiordland, Fleur de Sel approche du mythique Milford Sound.

Nous commençons ainsi la découverte de cette incroyable région qu’est le Fiordland. Et pour éviter d’être trop répétitifs, commençons d’abord par vous décrire la région et notre trajet, avant d’évoquer les autres évènements qui ont rythmé nos semaines dans les fjords.

La région

Le Fiordland, ce sont 12’607 km² de parc national, situés dans le sud-ouest du pays. Les Alpes du Sud viennent à la fois y finir leur course, après avoir traversé l’Ile du Sud de part en part, mais elles viennent également buter sur la côte ouest, repoussant à l’eau l’étroite plaine côtière qui existe plus au nord. Comme on se trouve entre 44º et 46º sud, les dépressions du Grand Sud se succèdent presque sans relâche, amenant vents tempétueux et pluies torrentielles, voire une neige abondante en hiver. Lors des âges glaciaires, de vastes glaciers ont fait leur œuvre sur ce massif le plus austral des Alpes, mais les vallées creusés par ces fleuves de glace ont depuis été envahies par la mer. Une quinzaine de fjords – dont plusieurs ont des ramifications importantes, d’autres se rejoignant pour créer des canaux plus complexes séparés de la mer – entaillent aujourd’hui la partie la plus occidentale de Nouvelle-Zélande, et c’est sur cette côte inhospitalière et grandiose que nous nous sommes attardés trois semaines durant.

Le parcours

Fleur de Sel bien à l’abri dans Preservation Inlet
Fleur de Sel bien à l’abri dans Preservation Inlet

Venant du sud, nous avons commencé notre exploration par Preservation Inlet (nom māori Rakituma, qui signifie « ciel menaçant »), qui s’ouvre au nord de Puysegur Point. Nous y avons exploré deux bras, Isthmus Sound et surtout le bien nommé Long Sound, dans le prolongement du premier, mais accessible par une autre entrée. Nous avons ensuite fait l’impasse sur le fjord suivant, Chalky Inlet (nom māori Taiari, « collier de coquillage »), pour poursuivre vers le nord, en doublant au passage le West Cape. C’est après celui-ci que s’ouvre le complexe composé de Breaksea Sound et Dusky Sound (en māori Tamatea, nom d’un grand explorateur māori), que nous avons bien sillonné : Dusky Sound comporte deux canaux parallèles que nous avons tous deux parcourus en route vers le fond du fjord le plus long (24 milles) et pour en revenir. Nous avons ensuite emprunté une entaille perpendiculaire, le Acheron Passage, d’où part un autre bras est-ouest, le Wet Jacket Arm. Puis nous avons débouché dans le Breaksea Sound, en passant ainsi à l’intérieur de la grande Resolution Island. Au fond de ce fjord, nous avons exploré les deux bras qu’il comporte, le Broughton Arm et le Vancouver Arm.

Un lac alpin ? Presque ! Dusky Sound pénètre profondément dans les Alpes du Sud…
Un lac alpin ? Presque ! Dusky Sound pénètre profondément dans les Alpes du Sud…

Une nouvelle navigation en mer nous a fait passer à l’ouvert du Dagg Sound (nom māori Te Ra, « soleil »), mais nous avons poursuivi sans plus attendre vers Doubtful Sound (nom māori Patea, qui signifie « son du silence »). Ce fjord est relié au Thomson Sound (Te Moeanu en māori), qui se poursuit en formant le Bradshaw Sound (Kai Kiekie en māori, ce qui signifie « manger du kiekie », une plante autochtone). Dans ce complexe, nous nous sommes d’abord dirigés vers le Bradshaw Sound et ses deux bras, la courte Precipice Cove et le plus long Gaer Arm. Puis nous avons regagné Doubtful Sound, laissant sur tribord les deux premiers bras sans les remonter, pour atteindre le Hall Arm, à 22 milles de la mer, et aller ensuite mouiller dans Deep Cove. C’est ensuite que nous avons emprunté le Thomson Sound pour regagner la mer, laissant donc sur bâbord la deuxième grande île du Fiordland : Secretary Island.

Quittant la région des fjords complexes, Fleur de Sel est alors passée devant trois fjords sans y entrer : Nancy Sound (Hine Nui en māori, soit « grande fille »), Charles Sound (en māori Taiporoporo, ce qui signifie « plante marine »), et enfin Caswell Sound (nom māori Tai Te Timu, « jusant » ou « marée descendante »). Notre prochaine escale était dans George Sound (Te Hou Hou en māori, soit « arbre à cinq doigts », bien que les ramifications de ce fjord soient plutôt courtes). A la faveur d’une nouvelle navigation vers le nord, nous avons encore snobé Bligh Sound (en māori Hawea, du nom d’une tribu décimée lors de guerres tribales), Sutherland Sound (nom māori Te Hapua-Kirirua, ce qui signifie « le lagon », un nom approprié pour ce fjord dans lequel la moraine barre l’entrée mais derrière laquelle se cache un vaste plan d’eau), et Poison Bay (un fjord version très courte, appelé en māori Papa Pounamu, « plaine à pierre verte »), pour rallier le dernier des fjords, le célèbre Milford Sound (Piopiotahi en māori, qui fait référence au nom d’une grive locale maintenant éteinte).

Le temps

La météo du Fiordland s’est presque résumée à cela, quelle chance !
La météo du Fiordland s’est presque résumée à cela, quelle chance !

Après le front dont nous avons profité pour traverser de Stewart Island, c’est une aubaine, un anticyclone semble s’installer quelques jours sur le pays, si bien que pour nous le vent repasse sans trop tarder au nord-ouest, mais en éloignant la pluie. Pourtant, le Fiordland, disons-le d’emblée, est réputé pour être une contrée très pluvieuse. Vraiment très pluvieuse, puisque dans les fjords du nord, il peut tomber jusqu’à huit mètres d’eau par an ! Le temps ressemble donc à celui rencontré dans la partie nord des canaux chiliens de Patagonie. Alors quand au premier anticyclone a succédé un deuxième, lorsque nous arrivions à Dusky Sound, nous étions fous de joie à l’idée de pouvoir explorer un deuxième fjord sous le soleil. Mais un troisième anticyclone est venu s’installer pour notre visite de Doubtful Sound, et nous n’en revenions pas ! Le temps est alors devenu un peu plus mitigé, sans pour autant apporter de tempête, mais le plus incroyable a été que nous avons encore eu du beau temps en quittant George Sound et pour visiter Milford Sound, à la faveur – rien de moins – d’un quatrième anticyclone venant élire domicile sur la Nouvelle Zélande !

Fleur de Sel double le West Cape dans un vent de sud soutenu, surfant sur les vagues avec des pointes à plus de 10 noeuds !
Fleur de Sel double le West Cape dans un vent de sud soutenu, surfant sur les vagues avec des pointes à plus de 10 noeuds !

Bref, nous avons profité de conditions exceptionnelles, dont nous avons évidemment essayé de tirer le meilleur parti. Mais il faut noter qu’à la même époque, le pays entier a souffert d’une sécheresse plutôt rude, chose qui n’arrive pourtant que rarement. Evidemment, notre expérience du Fiordland, faite de paysages magnifiques baignés de soleil, n’aura pas été celle plus classique, où les sommets sont perdus dans les nuages, où il pleut parfois à verse des jours durant, et où le vent vient repousser voiliers et pêcheurs confondus dans de petites criques où l’on tente de se protéger des rafales. Mais le prix à payer n’était pas nul, car les cascades étaient presque à sec, dans une contrée où lorsqu’il pleut des parois rocheuses entières se transforment en rideaux d’eau. Ce spectacle restera inconnu à nos yeux, remplacé qu’il fut par celui de montagnes se précipitant dans l’eau du haut de leurs sommets majestueux, mais nous ne sommes pas persuadés d’avoir perdu au change !

Lorsqu’on saute d’un fjord à l’autre, la constante est la houle, qui vient directement du Grand Sud, et nous faisons donc attention à ce qu’elle ne soit pas trop déchaînée avant de nous risquer dehors. Mais lorsqu’on passe l’entrée d’un fjord, subitement la surface de l’eau s’aplatit, et on se croirait vite sur un lac alpin sous le soleil ! Ambiance régate sur le Léman, quel contraste avec la houle des quarantièmes juste à l’extérieur ! En effet, dans les fjords, le plus souvent le vent s’oriente dans l’axe, soit dans un sens soit dans l’autre, même si plus rarement il arrive aussi que le vent souffle perpendiculairement au bras sur lequel on navigue, ce qui nous fait alors enchaîner les rafales et les molles : aux zones plates comme un miroir succèdent parfois sans transition de violentes bourrasques, où Fleur de Sel demande deux ris et continue à avancer à huit nœuds ! C’est un peu de sport, mais c’est plus drôle que les jours sans vent où il faut faire appel aux risées diesel. Ces jours là sont rares, cependant : à mois d’avoir vraiment l’anticyclone pile sur soi, des brises thermiques se développent dans la journée, et la force qu’elles peuvent atteindre avec l’effet de canalisation en plus est véritablement surprenant : 25 nœuds au minimum dans l’après-midi, du moins à l’ouvert des fjords !

La flore et la faune

Un mohua nous regarde d’un air rigolo !
Un mohua nous regarde d’un air rigolo !

On nous avait dit qu’il y avait quatre bassins de croisière sur terre ayantmeun une telle topographie, à savoir la Norvège, la Patagonie, le Fiordland et la zone allant de l’Alaska à la Colombie Britannique. En bref, ce sont de hautes chaines de montagne face à la mer et perpendiculaires aux vents dominants dans les latitudes tempérées, si bien que les sculpteurs glaciaires en ont fait des pays à fjords. Mais l’une des autres choses qui fait l’attrait du Fiordland, c’est la vie qu’on y trouve, aussi bien côté végétal qu’animal. La topographie ressemble en partie à la Norvège, mais il y fait plus humide, et concernant la végétation, les ressemblances sont plutôt à faire avec la Patagonie. La région entière est densément boisée par une rainforest tempérée (il n’existe pas de bon mot français pour traduire rainforest, mais les Québecois disent forêt pluviale, ce qui n’est pas mal), chose qui nous est inconnue en Europe. Ce n’est pas la jungle tropicale, chaude et humide, ici c’est la forêt tempérée, froide et humide. Et comme la Nouvelle-Zélande est peuplée d’espèces pour la plupart inconnues en Europe, nous l’avons déjà remarqué auparavant, c’est ici une forêt assez incroyable, exubérante et merveilleuse à la fois. Point d’espèces caduques par ici, les arbres ne perdent pas leurs feuilles : le Fiordland reste vert toute l’année ! Et comme partout ailleurs en Nouvelle-Zélande, les fougères sont légion dans les sous-bois…

Un bien joli gorfou du Fiordland
Un bien joli gorfou du Fiordland

Lors de nos excursions dans cette forêt sans fin, ce sont principalement des oiseaux que nous avons pu observer. Les tui, les robin, les fantails, les bellbirds (ou korimako en māori) sont des espèces que l’on trouve souvent ailleurs. En revanche, sur Anchor Island, à l’entrée du Dusky Sound, nous avons pu observer de jolis mohua tous jaunes, jamais vus auparavant. Les canards étaient aussi nombreux par endroits, et parmi eux les couples d’une certaine espèce avaient l’un une tête blanche, l’autre une tête noire. En mer, les albatros sont rois, virevoltant dès que le vent se lève, même si l’on aperçoit aussi des sternes, et des variétés de pétrels et de puffins (dont les muttonbirds, une délicatesse appréciée des Māoris). Enfin, dans le George Sound, nous avons observé avec plaisir les nombreux crested penguins (des gorfous), très drôles avec leurs « sourcils » jaunes très marqués.

Les dauphins de Dusky Sound sont venus nos chercher par trois fois pour jouer !
Les dauphins de Dusky Sound sont venus nos chercher par trois fois pour jouer !

Toujours dans l’eau, ce sont aussi les dauphins qui nous ont tenu compagnie plus d’une fois. D’importants groupes de dauphins habitent visiblement dans Breaksea Sound et dans Doubtful Sound. Ceux de Breaksea, qui étaient véritablement très gros pour des dauphins, nous ont approchés plusieurs fois à l’embranchement entre le Broughton Arm et le Vancouver Arm, en nous gratifiant de jolies pirouettes de temps à autre. Le plus surprenant était la présence de nombreux petits dans le groupe, nageant avec leur mère, et qui ne semblaient pas effrayés par notre présence, au contraire, puisqu’ils venaient activement nous chercher pour jouer avec nous. De même dans le Gaer Arm du Bradshaw Sound et dans le Hall Arm de Doubtful Sound, nous avons aussi eu droit à leur visite, peut-être un peu moins nombreux, mais toujours aussi joueurs, et ce par trois fois en deux jours ! La dernière entrevue fut la plus longue, et ils ont accouru dès que nous venions d’éteindre le moteur, le vent nous permettant d’avancer à la voile… N’oublions pas les phoques et otaries, vus en nombre autour de Anchor Island, à l’entrée du Dusky Sound, y compris à terre, à des centaines de mètres du rivage en forêt !

Pas petite cette crayfish !
Pas petite cette crayfish !

La côte extérieure du Fiordland regorge de langoustes, une ressource qui ne manque pas d’être pêchée assidûment. Grâce aux pêcheurs rencontrés, certaines ont atterri dans notre assiette (voir plus loin). Mais à notre sens, le véritable trésor de ces eaux est le blue cod, un poisson à la chair blanche d’une extraordinaire finesse et qui fond littéralement dans la bouche. Grâce à Vanessa et Brett, rencontrés à Stewart Island, nous savions mieux comment les pêcher, et non seulement un voilier de rencontre nous a fait cadeau d’un spécimen, mais nous en avons même attrapé un nous-même ! Cuit façon cemeunière, ce fut un délice.

Point de loup, ni d’ours dans ces forêts sauvages, mais il faut néanmoins mentionner de nombreuses autres nuisances. Les rats, souris, mais aussi les stoats (une sorte d’hermine), les possums et les chats sauvages sont une véritable plaie pour les oiseaux autochtones, incapables de se défendre contre ces mammifères qui n’existaient pas avant l’arrivée des Européens. Des cerfs ont aussi été introduits, mais ils massacrent la forêt à leur passage, et leur chasse est encouragée, parfois par des moyens peu habituels, comme on a pu s’en rendre compte (voir plus loin également). Mais si pour l’homme, aucun de ces bestiaux ne pose vraiment problème, il y en a en revanche un bien plus pénible.

Le rempart ultime contre les sandflies (si seulement !)
Le rempart ultime contre les sandflies (si seulement !)

Présentes par milliards dans le Fiordland, les sandflies sont LA calamité à laquelle il faut s’accoutumer, ce qui est chose quasi-impossible, disons-le d’emblée. Ce petit moustique n’est pas particulièrement rapide, alors on a vite fait de l’écraser. Il est assez gros pour qu’on puisse le voir (contrairement au nono des Marquises). Mais non seulement ses piqûres démangent horriblement (heureusement pendant moins longtemps qu’un borrachudo brésilien), mais surtout, surtout, ils sont partout ! C’est la première fois que nous rencontrons un moustique qui vient nous harceler sur le visage, malgré nos gesticulations, et nous nous sommes fait piquer partout, y compris sur les joues, sur les paupières, sous la plante des pieds, dans la paume de la main, etc. (heureusement nous avons préservé les parties encore plus sensibles, car il paraît que c’est encore plus terrible !) On nous avait dit que les sandflies vont se coucher la nuit, nous nous sommes fait piquer la nuit. On nous avait dit qu’ils ne sortent pas quand il pleut, mais là aussi, nous les trouvions partout. Par temps ensoleillé aussi, d’ailleurs. Et par temps couvert, c’était le pire, la guérilla la plus totale. Ils n’aiment pas le vent, mais alors ils se réfugiaient dans le fond du cockpit ou dans le bateau. Seules les périodes de navigation (ou de marche) étaient acceptables, car ils ont du mal à nous suivre. Mais ralentissez, ou rapprochez-vous du rivage, et vous devenez leur proie.

Les insecticides et les anti-moustiques n’ont pas semblé d’une grande utilité, qu’ils soient à base de DEET ou naturels, même si au final on trouvait toujours de nombreux cadavres par la suite. Et puis nos moustiquaires, postées en permanence sur les hublots et panneaux de pont ont également vite semblé un peu justes. Heidi a donc vite confectionné une deuxième moustiquaire pour le panneau de cuisine, celui que nous ouvrons le plus souvent, pour que les sandflies aient deux couches à traverser au lieu d’une. Au mouillage, le seul répit provenait des spirales anti-moustiques que l’on trouve sous les tropiques, mais il fallait donc accepter de s’endormir avec la fumée. Quant à sortir, il fallait le faire avec un maximum de protection (spray, vêtements longs et fermés, chapeaux, voire moustiquaire de visage), et nous nous sommes habitués à suer dans nos vestes de pluie pour le simple plaisir d’être à l’abri au moins sur les bras. Au final, c’est dommage, car ce moustique nous a souvent refroidi de profiter d’un environnement par ailleurs superbe. C’est d’ailleurs ce que racontent les légendes māories : leurs dieux, une fois crée le Fiordland, ont ajouté les sandflies pour que les hommes ne puissent pas habiter ce lieu de toute beauté.

Les gens

Personne n’a donc jamais vraiment habité au Fiordland. Même les Māoris n’y venaient que de manière saisonnière pour y venir trouver de la pounamu, de la « pierre verte », c’est-à-dire du jade – à défaut de fer, c’était le matériau le plus dur et le plus solide pour fabriquer des outils. Des pionniers européens y ont prospecté à la recherche de minerais variés, des baleiniers et des chasseurs de phoques s’y sont basés par moments, et d’autres encore y ont passé de nombreuses années, mais aujourd’hui encore, il s’agit d’un endroit (presque) vierge.

Le pêcheur de langouste Glory Days 6
Le pêcheur de langouste Glory Days 6

Des pêcheurs fréquentent néanmoins les parages. Les principaux sont les pêcheurs de langouste, qui viennent passer plusieurs mois par an dans ces eaux. Ils posent des casiers à l’extérieur des fjords, en rasant de très près les cailloux, et attrapent de nombreux crayfish. Ils les stockent ensuite dans des casiers-viviers plus grands, disposés dans certaines baies des fjords. Lorsque les cours sont élevés, les langoustes sont alors sorties de l’eau, et transportées par hélicoptère jusqu’à Te Anau, de l’autre côté des Alpes, pour être triées, emballées et expédiées par avion. En 24 heures, les crayfish du Fiordland encore vivants se retrouvent sur les tables de restaurants chinois !

Alors que dans Preservation Inlet le vent devait tourner dans la nuit au passage d’un petit front, nous avons demandé conseil aux pêcheurs de Glory Days 6 et de Southerly. Ils nous ont recommandé de venir les rejoindre à la barge : dans la crique de Weka Island, les pêcheurs ont amarré un ancien ferry, à couple duquel ils viennent s’amarrer. C’est là que nous avons passé la nuit, et surtout la soirée ! A la nouvelle de notre venue, ils ont préparé des « nibbles », des amuses-gueules : de nombreux filets de blue cod, panés à merveille, des queues de langouste, des pommes de terre frites à la graisse de muttonbird, le tout accompagné de nombreuses bières. Mais après ce bon moment passé en leur compagnie, à discuter de tout et de rien, nous avons surtout été surpris, bien repus, en partant nous coucher, lorsqu’ils nous ont expliqué qu’ils allaient dîner. Tout ceci n’était véritablement pour eux qu’un apéritif… Il faut dire qu’ils font un travail très physique, dans des conditions parfois très difficiles.

Les pêcheurs sont nombreux à être basés à Milford Sound, accessible par la route, mais pas affreux pour autant !
Les pêcheurs sont nombreux à être basés à Milford Sound, accessible par la route, mais pas affreux pour autant !

On croise aussi d’autres pêcheurs, amateurs ceux-là. Ce n’est pas le cas dans Preservation Inlet, vraiment peu fréquenté, mais un peu plus haut ce sont surtout eux que nous avons croisés. Certains descendent dans le Fiordland à partir du nord du pays, tandis que d’autres affrètent des bateaux charters basés de manière permanente ici. On les rencontre principalement dans Doubtful Sound, accessible par une route qui part du fond du Lake Manapouri, et aussi dans Dusky Sound, sans doute en raison du grand bassin que propose ce complexe. Evidemment, le Milford Sound, tout au nord, et relié à l’autre côté par une route directe, est aussi une base importante, même si les possibilités sont peut-être moindres.

Les chasseurs aussi, rôdent dans les parages. Tout comme à Stewart Island, les amateurs de gibier traquent les cerfs, et à Doubtful Sound, nous avons même rencontré un groupe qui effectuait un programme d’éradication des cerfs sur Secretary Island. Ils estimaient à quinze la population restante, et chaque cerf supplémentaire devient donc plus difficile à éliminer.

Festin au DOC de Anchor Island (Dusky Sound)
Festin au DOC de Anchor Island (Dusky Sound)

En parlant de gestion de la faune, cela nous amène à une autre rencontre que nous avons faite, celle de personnels du DOC (le Department of Conservation dont nous vous avons déjà parlé plusieurs fois). Alors que nous entrions dans Dusky Sound – après une courte mais très sportive traversée pour virer le Cape West, où le vent accélérait jusqu’à 30 bons nœuds bien tassés – nous approchions de Anchor Island, le premier mouillage de James Cook lors de sa visite, quand nous avons été hélés à la VHF. Nous avons alors appris que de l’autre côté de l’île (par rapport au mouillage de Luncheon Cove où nous nous rendions) se trouvait une station du DOC. L’après-midi même, nous avons donc eu la visite de deux personnes qui nous ont apporté de nombreux légumes et fruits frais, inespéré ! Rendez-vous était pris pour le lendemain, où ils comptaient relever les pièges de ce côté de l’île, et nous avons donc crapahuté avec eux dans la forêt pour vérifier si l’un des pièges à rats, souris, et autres prédateurs indésirables avait attrapé quelque chose. Heureusement, aucune prise n’était à déplorer, cette île étant officiellement « pest-free », c’est-à-dire un sanctuaire pour la vie native, et particulièrement les oiseaux. Ouf !

Pas mal la vue qu’ont les kakapo de Anchor Island ! Sauf qu’ils ne sortent que la nuit… Alors tant pis pour eux !
Pas mal la vue qu’ont les kakapo de Anchor Island ! Sauf qu’ils ne sortent que la nuit… Alors tant pis pour eux !

En fait, une espèce d’oiseau nous intéresse ici particulièrement, le kakapo. Ce petit perroquet vert est quasiment éteint, et il ne reste plus que quelques individus, 127 au total, répartis entre quelques petites îles débordant Stewart Island, et quelques îles du Fiordland. Le DOC tente donc d’empêcher l’extinction totale, phénomène qui a déjà eu lieu pour trop d’espèces néo-zélandaises, reléguées au souvenir et à la légende. Nous ne verrons aucun de ces énergumènes, qui sortent essentiellement la nuit, mais après avoir fait le tour des pièges, installés pour tenter de protéger les kakapo, au cas où un petit mammifère faisait incursion, nous aurons droit de faire le tour de l’île en hors-bord pour rejoindre leur base au nord, où nous découvrons leurs installations bien douillettes (il faut bien ça dans un pays où il pleut tant). Nous sommes invités à partager leur repas, avant de revenir par nous-même le long d’un sentier de randonnée à pied à travers l’île, le long d’un joli petit lac qui en occupe le milieu. Quelle chance d’avoir fait contact avec des gens dont le travail ne ressemble en rien à ceux que nous connaissons ! Laura, par exemple, n’était là que comme volontaire : c’est une généticienne américaine qui terminait sa formation à l’université de Dunedin, et pour son séjour elle aura eu droit, comme nous, à 15 jours de grand soleil dans le Fiordland, y compris les vols en hélico pour se rendre à Anchor Island ! La vue devait être exceptionnelle…

Il se trouve que l’hélicoptère est un moyen de transport très utilisé dans la région, et vu les conditions dans lesquelles il faut normalement passer les cols, dans le brouillard, avec le vent, et sans se perdre ni se prendre une paroi rocheuse, on comprend vite que les kiwis figurent parmi les meilleurs pilotes du monde. Nous avons donc souvent assisté au ballet des hélicos, qui viennent parfois charger les cerfs abattus dans la brousse, régulièrement transporter les langoustes fraîches, mais aussi déposer et récupérer les touristes. Nous nous sommes même fait contrôler par les douanes venues en hélicoptère ! Elles nous ont survolé et nous ont appelé à la VHF pour vérifier nos intentions. Surprenant ! En tous les cas, des hélipads existent dans presque chaque fiord, parfois une petite plateforme en bois construite sur un rocher dégagé juste à côté d’un mouillage tout-temps, parfois sur le toit d’une barge d’amarrage. L’autre moyen aérien pour se rendre dans les fjords est l’hydravion – pratique puisque le point de départ est à Te Anau, de l’autre côté, au bord d’un lac – mais nous n’en avons pas vu.

Billy, le meilleur cuistot du Fiordland
Billy, le meilleur cuistot du Fiordland

Et puis, en parlant d’hélicoptères (vous comprendrez le lien par la suite), la personne sans doute la plus invraisemblable que nous ayons rencontrée dans le Fiordland, c’est Billy. Au fond de Doubtful Sound se trouve une auberge, qui accueille des écoliers. Venus en « classe verte », « classe de mer » et « classe de montagne » tout en un, ces enfants passent quelques jours avec leurs camarades, leurs enseignants et quelques parents pour la logistique. C’est une expérience certainement exceptionnelle pour eux de venir goûter à la fois aux délices et aux exigences du Fiordland, et c’est Billy qui gère l’auberge et finalement toute la « base » alentour, qui comprend aussi les installations utilisées par les bateaux de charter, etc. Lorsque nous sommes arrivés, sur la recommandation d’autres voiliers, nous avons appelé Billy à la VHF. Il nous a indiqué où nous amarrer à couple d’un bateau de pêche, dans un endroit protégé. C’est que Deep Cove, comme le nom l’indique, est profonde ! Pas possible de jeter l’ancre sans se trouver trop proche du rivage. Une fois à terre, grâce à Billy, nous avons pu avoir accès à Internet (lorsque ça a bien voulu fonctionner), et surtout nous avons pu commander quelque ravitaillement auprès du supermarché de Manapouri. Un email à 5h le soir et hop le lendemain à midi, nous recevions un carton de fruits, légumes, lait, etc. Billy, voyant que nous n’avions pas commandé de viande, s’en est ému et a sorti à notre intention un bon morceau de cerf de son congélateur ! Inutile de préciser que lorsque nous l’avons cuisiné quelques jours plus tard, ce fut délicieux…

D’ailleurs, à propos de cuisine, Billy n’a pas eu trop de mal à nous convaincre de repousser notre départ. Nous avions déjà pu faire une petite promenade vers une cascade la veille et nous pensions repartir le jour même, après une bonne douche. En fait de douche, Heidi a même pu profiter de la baignoire, un luxe auquel nous n’avons pas goûté depuis plus d’un an… Mais en plus, Billy nous a invité pour le thé. Seulement voilà, pour qui n’est pas prévenu, « tea » en Nouvelle-Zélande, c’est le dîner ! Il semble adorer la cuisine, et nous concocte un repas à base des plus délicieux steaks que nous ayons goûtés depuis l’Argentine. Nous passons des heures à discuter avant et après le repas. De notre voyage, de notre mode de vie, mais aussi de lui. Billy est un chasseur depuis toujours : il a un fusil depuis l’âge de 9 ans, et dans son salon trônent les bois d’un cerf particulier qu’il a traqué pendant cinq ans… Et puis nous apprenons alors que Billy a fait partie des hélicoptères. Expression intéressante, dont nous ne comprenons pas tout de suite le sens. Il s’agit de capturer les cerfs vivants pour on ne sait pas bien quel acheteur, mais toujours est-il – nous l’apprenons dans la discussion – que le mode opératoire est de sauter d’hélicoptère sur l’animal en train de fuir (quel que soit le terrain), pour le renverser, le ligoter et le treuiller, le tout en quelques instants à peine. Un vrai métier de cascadeur sans les caméras, dont Billy évoque sans ambages les dangers extrêmes, les yeux encore pétillants à l’idée de l’adrénaline mise en jeu. Tout est un peu extrême au Fiordland…

Les activités

Nous n’avons pas pêché autant que les amateurs éclairés en la matière, et nous n’avons pas non plus fait de plongée sous-marine, une activité qui semble-t-il ne manque pas de terrains de jeu dans le Fiordland – l’écosystème est très particulier avec plusieurs mètres d’eau douce chargée en sédiments, qui « flotte » sur l’eau salée, si bien que de nombreux organismes uniques vivent sur les parois des fjords, et notamment du corail ! Mais en revanche, nous nous sommes défoulés les jambes dès que nous le pouvions, du moins dans les endroits où c’était possible et lorsque les sandflies ne nous cloîtraient pas à bord. Notre première randonnée fut merveilleuse, à destination de Puysegur Point. Sur un sentier bien balisé, nous atteignons le phare avec de belles vues sur la côte, les montagnes baignées de soleil, et la mer déchaînée par les brises de mer. Oui, mais voilà, nous n’avions pas prévu que le vent monterait autant, et le retour à bord était un peu limite : nous n’avions pas mis le moteur hors-bord et nous avons atteint Fleur de Sel exténués à force de ramer contre le vent. Il ne fallait pas devoir faire trop de mètres en plus !

C’est parfois acrobatique la randonnée !
C’est parfois acrobatique la randonnée !

Sur Anchor Island, il y a peu de sandflies en temps normal. Nous y étions par calme plat et elles étaient tout de même de sortie, mais nettement moins qu’ailleurs. Nous n’avons donc pas manqué de motivation pour faire les promenades évoquées avec nos compagnons du DOC. De même, à Deep Cove (au fond de Doubtful Sound), elles ne nous harcelaient pas trop, et nous avons pu atteindre les Helena Falls sans trop de problème, le chemin étant facile et permettant de mettre en application le grand principe (légèrement modifié) de Dory dans Nemo, que nous nous chantions aux moments un peu plus difficiles : « Just keep walking » ! Dans George Sound, le temps était couvert et ce fut une calamité, nous sommes restés derrière nos moustiquaires jusqu’à ce que le front passe, et que vienne avec lui l’éclaircie. Nous avons alors pu grimper au sommet des Alice Falls, en cheminant presque dans le lit du torrent (qui n’était pas en crue, loin de là !) Et puis, pour terminer, nous avons aussi pu marcher dans le fond du Milford Sound, alors que nous étions amarrés à la tonne du Deepwater Basin. Pour rejoindre le « village », il faut faire quelques kilomètres à pied, et une fois là-bas, quelques chemins permettent aux touristes de venir admirer différents points de vue, l’un en hauteur, l’autre au bord de l’eau. Mais on n’est plus vraiment dans la nature vierge, puisque les « camper vans » sont garés en ribambelle non loin, et que les bateaux de touristes vrombissent à horaires réguliers pour faire faire le tour du fjord à ceux qui viennent de l’autre côté. Milford sera le seul des fjords à se dévoiler lors de leur périple… Oui, nous avons eu de la chance de pouvoir aller visiter les autres fjords, si sauvages et reculés, même s’ils sont peut-être un peu moins spectaculaires que le plus célèbre d’entre eux.

Exploration des Alice Falls (George Sound), bien vêtus pour nous protéger des sandflies
Exploration des Alice Falls (George Sound), bien vêtus pour nous protéger des sandflies

Cet isolement fait que nous savons que nous ne pouvons compter que sur nous même. Oh, il est vrai que nous ne sommes pas autant au bout du monde qu’en Patagonie. Il y a du monde, on l’a vu. Et puis, nous sommes en Nouvelle-Zélande, donc même au fin fond des zones reculées, les gens s’organisent : la Bluff Fisherman’s Radio, animée par Meri (surnommée « Good as Gold » tant elle adore cette expression), veille. Chaque soir elle appelle les bateaux, à la VHF pour ceux qui sont dans une zone couverte, par BLU pour les autres. On riait même en se disant que ce soir nous étions le poussin nº7, tellement on dirait une mère poule qui compte ses petits. N’ayant pas d’émetteur BLU, seulement un récepteur, nous écoutions néanmoins la vacation radio, notamment lorsqu’on avait demandé à un autre bateau croisé pendant la journée de nous signaler à Meri le moment venu, mais surtout pour tenter d’obtenir le bulletin météo pour le lendemain. Le téléphone satellite capte souvent mal dans les fjords encaissés, en tout cas trop mal pour pouvoir recevoir des fichiers GRIB, les émetteurs VHF n’arrivent pas à couvrir toutes les ramifications tarabiscotées des fjords, et en plus le MetService kiwi faisait des siennes avec les fax météo, qu’il n’émettait qu’une fois sur deux. Donc avec les SMS envoyés par Jean sur le téléphone satellite (qui passent, eux), notre seule information a bien souvent été le bulletin de 20h35, reçu avec une voix nasillarde et électronique, enregistré, écouté et réécouté pour tenter d’en décortiquer le sens.

Lorsqu’il nous arrive de casser quelque chose, en revanche, nous sommes un peu seuls, à moins évidemment qu’il s’agisse de quelque chose de majeur auquel cas nous demanderions assistance. Heureusement cela n’arrive pas tous les jours, mais nous avons par exemple déchiré la grand-voile le long du guindant. Pas très long, mais cela aurait mérité un passage chez le voilier. Seulement, dans le Fiordland, un voilier, autant demander du soleil ! (qui brille souvent, pourtant !) Alors à la faveur d’une journée qui s’annonçait de toutes les manières peu passionnante car nuageuse, et avec un fort vent du nord, ce qui ne nous arrange pas pour progresser vers… le nord, nous avons chaussé la paumelle. Douze heures de travail à deux, la déchirure est recousue, scotchée avec des renforts adhésifs, eux-même recousus. Nous en avons profité pour réviser entièrement la voile, en lui refaisant des retouches ici ou là, et pour déplacer les coinceurs de nerf de chute pour qu’ils soient moins hauts à atteindre. Et au passage, nous nous sommes rendus compte que la ralingue de guindant avait glissé sur une bonne longueur : elle n’avait jamais été cousue. Voici l’explication des vibrations de guindant qui nous enquiquinaient au largue par vent fort. Encore des points de couture, pour régler ça, et le résultat s’avèrera être une merveille. Ouf, il était temps d’arrêter, nous avions les mains toutes piquées ! Eh oui, quand ce ne sont pas les sandflies, ce sont les aiguilles !

 

Les photos sont nombreuses, et pourtant, nous avons fait une sélection :

One Reply to “Sous le soleil du Fiordland”

  1. Quelle merveilleuse description de cette île dont nous avons rêvé. Au fond, ce n’est pas un endroit idyllique pour les humains que je qualifie de “normaux”. Il y a certainement des endroits plus civilisés pour bronzer. Maintenant je vais regarder les photos pour prolonger le rêve. A bientôt d’autres descriptions aussi passionnantes.

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