Un autre monde
Nous sommes entrés dans les eaux indonésiennes à la nuit tombante, juste après avoir passé le talus continental australien, et une trentaine de milles plus loin nous devions passer au niveau de la fosse qui sépare Timor de l’Australie. C’est là que nous avons vécu notre première expérience indonésienne : nous avons eu l’impression de nous faire entourer par une horde de bikers aquatiques ! A tenter de percer la noirceur de la nuit, j’ai fini par discerner aux jumelles quelques silhouettes d’embarcations, une douzaine peut-être, et à m’apercevoir que la plupart étaient équipées d’une lampe flash bleue, rouge ou blanche – feux que j’avais bien du mal à voir à l’oeil nu, le bruit signalant bien mieux la présence de ces pêcheurs. Quelques coups de lampe frontale pour leur signaler que je les ai vus, auxquels ils me répondent avec leur lampe, et le croisement se fait sans heurts. Dans le restant de la nuit, la veille fut nettement plus assidue qu’auparavant (et plus auditive !), mais les seuls autres pêcheurs croisés étaient, eux, très éclairés. Sans doute s’agissait-il de “squid boats”, des pêcheurs de calamars, qui sont plutôt des arbres de Noël ambulants !
Dans la courant de la matinée nous avons commencé à discerner de mieux en mieux l’île de Rote (ou Roti), la plus méridionale des îles majeures du pays. L’approche fut lente car le vent était léger et afin de pallier toute surprise due au courant et au vent, nous avions gagné bien à l’est, si bien qu’il fallait maintenant regagner de l’ouest au moment d’embouquer le Selat Rote (selat = détroit). La grande île de Timor semble alors s’étendre à perte de vue vers l’est, et parait quelque peu montagneuse, tandis que Rote semble plus basse. Nous virons la pointe sud-ouest de Timor pour passer d’un détroit dans l’autre, et Fleur de Sel trouve alors une bonne brise dans le Selat Semau, qui sépare Timor de l’île du même nom. Nous sommes alors plus proches de la côte et nous avons un meilleur aperçu de notre nouvel environnement. De nombreux bateaux en bois et très colorés, quelques fermes aquacoles (marquées sur la carte !), avec une multitude de flotteurs et des maisonettes flottantes, quelques belles plages, une végétation tropicale mais assez sèche. Vient ensuite une zone plus industrielle, avec une cimenterie et le port commercial de Tenau, peu reluisant mais abritant toutes les formes de bateaux, allant du cargo au ferry, au gros bateau de pêche, au petit bateau à tout faire, au “squid boat”.
Dernier virage, en doublant une pointe corallienne, et nous découvrons la ville de Kupang, grisâtre et décrépite en façade. Impossible, en faisant cette arrivée, de ne pas penser à celui qui, presque 227 ans auparavant jour pour jour, avait fait la même approche, mais dans une chaloupe de 7m, surchargée avec 18 hommes à bord. William Bligh, le capitaine dépossédé de sa Bounty par la célèbre mutinerie, terminait alors une traversée magistrale de 3’618 milles. Depuis le début de mon adolescence, Coupang, dans son ancienne graphie coloniale, restait indissociablement liée à la lecture passionnée (et passionnante !) de Dix-neuf hommes contre la mer, offert par ma Bonne-Maman. Nous venons d’ailleurs mouiller Fleur de Sel à peu près devant l’endroit où, parait-il, Bligh avait accosté au petit matin. Je parle au conditionnel, car il ne reste plus rien aujourd’hui de la Coupang néerlandaise, et la ville moderne de Kupang est à la fois dénuée de grand intérêt et intéressante pour autant. Nous découvrirons dès le lendemain matin de notre arrivée comme elle est à la fois dynamique, tentaculaire, authentique, sale et délabrée.
Nous allons en effet parcourir la ville d’un bout à l’autre dans la journée, car il nous faut faire nos formalités. Dans l’ordre, nous tirons d’abord des roupies indonésiennes (heureusement, les ATM ne manquent pas), puis nous nous efforçons de trouver un endroit où faire imprimer et photocopier des documents, nécessaires pour les officiels. Nous sommes ensuite rejoints par l’équipage (calédonien !) de l’autre voilier au mouillage, Kattum, rencontré la veille au soir, et qui doit faire ses formalités de départ, eux partant dès que possible pour l’Australie. En bemo (minibus public, l’équivalent du collectivo sud-américain) et en taxi, nous partons à la recherche des bureaux de quarantaine, de douane, d’immigration et des autorités portuaires, sans savoir ni où ils se trouvent ni dans quel ordre leur rendre visite. Après plusieurs tentatives, il s’avère que le bon ordre est l’immigration d’abord, située loin à l’est du centre, non loin de l’aéroport, et les trois autres après, situés proches l’un de l’autre, au port de commerce. A chaque fois, la communication n’est pas évidente. Quelques mots d’anglais de la part des officiels, quelques mots en indonésiens de notre part, beaucoup de gestes et de sourires, quelques billets pour les taxes officielles (à la douane et à la capitainerie) ou semi-officielles (à la quarantaine)… Nous y passons l’essentiel de notre première journée, progressant lentement mais sûrement, pour terminer par la visite à bord de deux jeunes douaniers, envoyés par leurs responsables plus âgés. La fouille n’est pas exhaustive et se fait en bonne intelligence, pour se terminer par un sympathique “Welcome to Indonesia”. Seule la visite au bureau du port sera laissée au lendemain, permettant d’obtenir simultanément la clearance internationale d’entrée et la clearance nationale de sortie, et nous sommes contents que tout se soit bien passé, y compris avec le nouveau processus, l’Indonésie ayant abandonné seulement quelques mois auparavant son fameux permis de navigation (le CAIT), onéreux et contraignant.
Durant les deux autres jours que nous passerons à Kupang, nous en profiterons pour faire autant du culturel que du commercial : arpenter les rues poussiéreuses aux trottoirs déglingués, nous rendre jusqu’au musée provincial en bemo, mais aussi dans un grand centre commercial à l’occidentale, trouver une carte SIM pour nous connecter au réseau mobile, faire quelques achats dans un supermarché, manger quelques plats indonésiens dans des cantines locales, et enfin nous rendre au marché de quartier de Oeba pour y trouver quelques fruits et légumes – pas toujours très définissables. Force est de constater que Kupang n’est manifestement pas du tout une ville touristique. C’est ce qui la rend intéressante, car nous sommes ainsi plongés dans la vie d’une petite ville provinciale de 350’000 habitants, la capitale et plus importante ville de la province de NTT (Nusa Tenggara Timur = Iles de la Sonde Orientales), une ville universitaire importante, une ville visiblement mi-chrétienne mi-musulmane (l’appel à la prière retentit dans le mouillage, mais il est relativement feutré, même pendant le Ramadan). Bref, ce fut une plongée dans une certaine Indonésie urbaine, à la fois enivrante et saoûlante, choquante par sa saleté – mais nous découvrirons vite que c’est une constante du pays – tout en étant sympathique et sûre pour autant – nous avons laissé l’annexe les trois jours sur la “plage” sans autre forme de sécurité et on nous a assuré qu’elle ne craignait rien, ce qui fut le cas.
Sans que cela n’ait rien à voir avec l’Indonésie, c’est aussi à ce moment là que nous prenons connaissance de quelques mauvaises nouvelles. Tout d’abord, la connexion Internet nous apprend que notre assureur a décidé de résilier notre police d’assurance bateau, et ce sans motif et sans même respecter la date de fin de contrat. Bien que nous puissions continuer à naviguer sans assurance, c’est tout de même peu rassurant, et nous voici donc d’une part en train de tenter d’éclaircir la situation, et à chercher en parallèle au moins une assurance responsabilité civile. Evidemment, trouver une couverture correcte quand vous êtes au bout du monde, sans possibilité de faire expertiser votre bateau avant des mois, et avec une connexion caractérielle n’est pas tout à fait ce à quoi on pense lorsqu’on évoque une croisière tropicale… Tiens, d’ailleurs, tropical est le mot, car l’autre souci qui pointe le bout de son nez, c’est le fait que notre frigo ne semble plus vraiment tenir le choc. Avec l’envolée des températures (qui nous cause à nous aussi de sacrés coups de chaleur), la température des aliments ne parvient plus à descendre suffisamment bas. Et nos diagnostics nous laissent penser que d’une part la quantité de réfrigérant a du diminuer, sans doute par la microfuite repérée à Nouméa au niveau du passage entre intérieur et extérieur de la glacière, et que d’autre part l’isolation n’est sans doute plus très efficace – cela fait maintenant déjà 6 ans que nous l’avons refaite et elle a du se gorger d’eau de condensation. Mais ici aussi, on réalise à quel point nous sommes au bout du monde, et comme cela va être un sacré challenge de réparer dans un pays où l’on a tant de mal à communiquer. Cela dit, comme de toutes les façons on a du mal à trouver de la viande (l’Indonésie est tout de même le premier pays où l’on ne parvient pas à trouver un poulet surgelé !), il y a moins de périssables à conserver, et les légumes s’accommodent d’une température un peu moins fraîche. Ce sont surtout les produits laitiers qui résistent moins bien.
Mais bref, ne nous laissons pas abattre pour autant, nous avons devant nous tout un archipel à découvrir. Imaginez un peu 18’000 îles, réparties sur 5’000km d’est en ouest ! Eh oui, l’équivalent en Europe irait de l’Irlande à la Mer Caspienne, autant dire toute l’Europe, au sens large, et tout cela en un seul pays, où les gens parlent des centaines de langues différentes. Et dire qu’à peu près au même moment les Britanniques vont voter pour le Brexit, et pourtant nous sommes tellement proches, nous avons tant besoin d’union, et que sont une vingtaine de langues différentes à l’échelle d’un continent ?
Il est clair que nous ne ferons que survoler l’Indonésie, comme tant d’autres pays, et encore, nous ne prévoyons de n’en visiter qu’une toute petite partie : ce que les Occidentaux appellent les Petites Iles de la Sonde, baptisées Nusa Tenggara en indonésien, c’est-à-dire les îles du sud-est. Sans trop nous éterniser à Kupang – ça aurait pu être intéressant de faire une excursion à l’intérieur de Timor, mais pour cela il aurait fallu laisser le bateau seul… – nous nous remettons donc en route vers le nord, pour traverser la Mer de Savu, ce qui nous demande 24 heures environ, par un vent plutôt faible une fois tombés dans le dévent de Timor. Partis en fin de journée de Kupang, c’est donc dans l’après-midi du lendemain que nous faisons notre approche sur les véritables Iles de la Sonde, une chaîne d’îles orientées est-ouest et assises là où plusieurs plaques tectoniques se rencontrent. L’horizon ponctué d’une dizaine de volcans vient d’ailleurs confirmer que nous arrivons sur un point chaud, et le paysage est majestueusement ponctué de cônes. Dans la région de l’archipel de Solor, où nous nous situons, ils sont plusieurs à atteindre 1’500m d’altitude, tout de même. Ca faisait longtemps que l’on n’avait pas vu un tel relief !
Avec autant d’îles, la question de l’itinéraire se pose, et notamment de quelle manière rejoindre la côté nord des îles. Entre de telles montagnes, le vent peut certainement accélérer fortement, de même que le courant dans les détroits qui séparent les îles. Les informations sur le sujet sont peu nombreuses, mais les quelques guides que nous avons laissent penser que le passage sera le plus facile entre Lembata à l’est et Solor puis Adonara à l’ouest, c’est-à-dire par les Selat Lamakera et Selat Boleng. La lecture de blogs d’autres voiliers ayant navigué dans ces eaux, notamment ceux du rallye Sail Indonesia, vient confirmer cette impression, ce passage étant de plus encadré par de bons et jolis mouillages. Après une bonne nuit passée derrière le Tg. Suba (tanjung = cap), la météo s’avère (un peu trop) calme, et reste donc à profiter du courant au bon moment, ce qui n’est pas chose aisée. La marée dans les parages n’a pas une amplitude énorme (2m environ), mais elle a son caractère. De plus, elle n’est pas seule à influencer les courants, puisque la mousson a aussi son mot à dire.
En cette saison – saison qu’il est difficile de nommer sans ambiguité, le mot hiver pouvant prêter à confusion dans un pays à cheval sur les deux hémisphère, l’appellation “mousson de sud-est” n’étant vérifiée que lorsque le vent n’a pas décidé de souffler de l’est, voire du nord-est, ou encore du sud-ouest, l’appellation “mousson sèche” n’étant valable que par ici, alors qu’elle se transforme justement en mousson humide dans toute l’Asie du sud-est, et de même plus localement au vent des îles. Bref, en cette saison que nous ne nommerons pas, mais qui va en gros de mai à novembre, le courant porte la plupart du temps du nord vers le sud au travers des détroits, si bien que le courant peut accélérer à 7, voire 9 nœuds en certains endroits étroits. Par chance, le calcul effectué sur base de l’heure de transit de la Lune (tout comme on le faisait en Patagonie…), s’avère à peu près correct, et nous franchissons le détroit pratiquement à la dérive mais à une vitesse respectable : 1 à 2 nœeuds sur l’eau, 4 à 6 nœuds sur le fond ! Ca nous permet d’économiser le précieux gazole, et de repousser le moment où il faudra ravitailler en bidonnant.
Nous passons ensuite deux jours sur la côte nord-est d’Adonara, un coin assurément pittoresque, où le lever et le coucher de soleil donnent des teintes rosées aux volcans qui nous entourent – le Gunung Boleng et le Gunung Ile Api (gunung = mont et api = feu) – et où les récifs coralliens soulignent le tout de leur trait turquoise en journée. Etonnamment, les jours se succèdent et ne se ressemblent pas : le vent, certainement canalisé par le détroit, souffle fort et sans discontinuer le lendemain de notre arrivée à l’îlot Kroko, si bien qu’il est impossible d’aller faire un snorkeling correct, et nous en profitons pour nous adonner aux tâches ménagères (lessive, cuisine, etc.) Le lendemain calme plat, et la baignade est d’autant plus souhaitable que la chaleur était en train de nous liquéfier. Nous découvrons de nombreux herbiers, des oursins en quantité industrielle et quelques jolies anémones serties dans le corail et peuplées de poissons-clowns. Histoire de changer de cadre, nous faisons quelques milles jusqu’à Pulau Bani (pulau = île) derrière laquelle nous mouillons. Mal nous a pris de passer cette nuit dans ce mouillage non répertorié, car une vilaine houle de nord vient nous bercer sans délicatesse aucune pendant la nuit, si bien que nous nous enfuyons le matin, faisant cap sur Flores.
Cette fois-ci le courant le correspond en rien au peu d’information que l’on a. En fait, la météo non plus, et la houle aurait du attirer notre attention, car peu de temps après le départ le ciel se couvre bien, et nous nous faisons ensuite envelopper plusieurs fois par de bons grains pluvieux. L’avantage, c’est que d’une part nous y trouvons du vent, et qu’en plus le bateau a droit à un bon rinçage, ce qu’il n’avait pas vu depuis le Northwest Cape australien ! Durant cette étape, où nous passons loin à l’ouvert du Selat Larantuka puis où nous doublons la pointe nord de Flores (celle qui a une forme de queue de scorpion, ou plutôt de tête d’hippocampe), le courant n’en fait qu’à sa tête, portant à l’est pour deux nœuds environ, générant une mer détestable contre la houle et le vent. C’est donc avec un immense plaisir que nous sommes venus nous mettre à l’abri pour la nuit derrière le Tg. Gedong. Malheureusement, le mouillage, qui semblait agréable à la lecture, est pris d’assaut par les bateaux locaux venant probablement s’abriter eux aussi. Finalement, ce ne sera qu’une étape quelconque, d’autant que les fonds semblent d’une tenue moyenne sur du corail, et le beau temps étant revenu au petit matin, nous décidons de poursuivre sans tarder.
En longeant la côte de Flores, on admire la luxuriance de la végétation, probablement revigorée par la pluie, et puis à la mi-journée le cirque a décidé de se reproduire. Le vent s’est évanoui quelques heures, pour réapparaître du nord-est et en moins d’une heure, Fleur de Sel se retrouvait sous voilure réduite, fonçant entre les grains blancs s’abattant sur les montagnes. Après avoir doublé Pulau Babi, nous avons ainsi embouqué le Selat Pangabatang, nous dirigeant vers un mouillage repéré sur les photos satellite. Mais voilà, par ce temps là, c’est un peu osé de rentrer dans un lagon non cartographié, par une passe large de moins de 100m. C’est alors qu’un bateau local nous double et se dirige précisément vers l’endroit que nous visions. Il ne nous reste plus qu’à le suivre, en vérifiant la trajectoire sur l’ordinateur, et quelques minutes plus tard nous sommes mouillés sur des fonds qui paraissent de mauvaise tenue, certes, mais dans une baie tranquille et protégée. Nous y dormirons d’un sommeil profond et réparateur, profitant enfin d’une eau bien plate. Notre séjour durera même deux nuits, ainsi qu’une troisième un peu plus loin dans le même lagon de la majestueuse Pulau Besar (= grande île), et nous ferons deux snorkelings assez jolis sur le récif mi-corallien mi-sablonneux qui délimite le sud du lagon. Les récifs sont loin d’être en bon état, car les pêcheurs indonésiens sont sans scrupules, certains pêchant à l’explosif et d’autres déversant du cyanure dans l’eau pour récupérer plus facilement les poissons morts. On comprend dès lors que le corail, vivant lui aussi, ait du mal à survivre. Il parait que les choses s’améliorent, et nous constatons d’ailleurs que la vie tente de reprendre ses droits, mais lors de notre séjour nous entendrons tout de même plusieurs fois les doubles détonations de leur pêche à l’explosif (le premier bruit, léger, arrivant plus vite sous l’eau, le second grondement plus fort dans l’air). Eh oui, nous sommes vraiment dans un autre monde, jamais on n’aurait vu ça en Australie ou en Nouvelle-Zélande, mais n’est-ce-pas aussi ça qui rend l’Indonésie si intéressante ? Voisine de l’Australie, et pourtant si différente…
Nous avons aussi la visite, comme dans d’autres mouillages auparavant, d’un pêcheur local en pirogue. En revanche, contrairement à d’autres qui viennent demander des t-shirts, casquettes, lunettes de plongée ou autres, Karim nous surprend en nous demandant simplement… de l’eau ! On suppose que ça lui permet de tenir le coup pendant le Ramadan sans que personne ne le voie dans son village ! Et puis, notre prochaine étape nous mène non loin de Pulau Besar, au fond de Teluk Wodong (teluk = baie), sous plusieurs hauts volcans, là ou se trouve l’Ankermi Dive Resort. Nous avons en effet décidé de nous offrir une plongée dans ces parages, ainsi qu’un peu de “civilisation”. On peut donc y boire une bonne bière fraîche avant d’y dîner, et nous partons le lendemain dans le bateau de plongée le plus authentique que nous ayons connu : un vrai bateau indonésien, en bois, et pétaradant comme les autres, avec ses deux moteurs “chinois”, à cylindre unique et échappement libre, sans débrayage, et qu’il faut démarrer à la manivelle. Les plongées sont superbes, avec de beaux poissons en tous genres et de toutes les tailles, et surtout des coraux très différents de ceux que l’on connait dans le Pacifique. Entre nos deux incursions dans le monde sous-marin, le bateau nous emmène débarquer sur Pulau Babi, que l’on retrouve dans des conditions bien meilleures que lorsque Fleur de Sel l’avait doublée dans la grisaille. Et puis c’est l’occasion de rencontrer quelques touristes, peu nombreux à venir dans ce coin reculé de l’archipel, une destination très belle mais encore confidentielle.
Profitant d’un motif que l’on commence à reconnaître, du moins les jours “normaux” sans averse, la matinée du lendemain est calme et l’on doit faire appel au moteur pour progresser, puis le vent se lève enfin vers la mi-journée et nous permet de faire la seconde partie du trajet sous voiles. En route, alors que nous devisons tranquillement en nous réfugiant dans les recoins à l’ombre dans le cockpit, nous nous faisons surprendre par un souffle puissant ! Une baleine vient faire surface plusieurs fois sur notre babord, puis sur notre tribord, avant de finalement sonder. L’épisode n’a duré que quelques minutes, mais jamais une baleine n’était venue aussi proche de Fleur de Sel (du moins de jour…) Un moment magique et fugitif.
Plus on approche de l’arrivée, plus le paysage change. Les volcans sont plus loin dans le sud, et le littoral est fait de hautes collines tapissées d’herbe jaunie, donnant une impression d’aridité. Nous allons élire domicile successivement de part et d’autre du Tg. Batu Boga, dans un cadre enchanteur à chaque fois. A l’est, Fleur de Sel vient s’abriter de la houle de nord-est derrière deux petites îles au fond de la baie, et malgré un peu de roulis à marée haute, nous passerons là deux superbes nuits, et nous en profitons le lendemain de notre arrivée pour grimper au sommet des collines. Malheureusement la chaleur est véritablement atroce pour faire un tel effort, même à 9h du matin, et de plus le terrain est difficile et les herbes viennent hérisser nos vêtements de piquants irritants. Mais en dépit de tout cela, la vue au sommet est si magnifique que cela en valait la peine. Les couleurs turquoises et dorée s’entrelacent à merveille, et une fois redescendus nous tentons un snorkeling plus agréable par le rafraîchissement qu’il procure qu’en lui-même, les coraux étant rares et la visibilité très médiocre.
Changeant alors de versant, nous basculons à l’ouest du cap pour aller mouiller dans une baie que l’on pensait déserte mais qui est en fait habitée par deux familles. Alors que nous pensions nous y reposer tranquillement, un bateau rempli de locaux vient nous inviter à passer un moment à terre. Heidi, rendue patraque par le soleil doit décliner, et je m’y rends donc seul. Les deux familles reçoivent des visiteurs nombreux, dont l’un d’entre eux, prêtre catholique à Sumatra, est en visite dans sa famille. Comme il a étudié deux ans en Allemagne, nous parvenons à discuter en allemand, et il nous sert d’interprète, ce qui nous permet de bien mieux nous comprendre qu’avec mon indonésien inexistant. On m’offre un délicieux poisson et de la sauce piquante, une coco verte, un thé tres doux et très sucré, et nous passons tous un excellent moment. Après une bonne nuit, Heidi est requinquée, si bien que nous effectuons un très beau snorkeling sur le cap qui ferme la baie, observant de très nombreux poissons malgré la visibilité moyenne, entre autres quatre beaux poissons-lunes juvéniles, et plusieurs gros napoléons. Nous retournons ensuite à terre en fin d’après-midi et pour répondre à l’accueil chaleureux des habitants, nous leur offrons du matériel scolaire pour les enfants, ainsi que des t-shirts et casquettes. Visiblement, un masque ou des lunettes de plongée serait l’article qui leur plairait le plus, mais nous avons déjà fait don de celui que nous avions quelques jours auparavant. Enfin, nous prenons congé, mais deux fillettes, Anh et Putri nous suivent en pirogue jusqu’au bateau, et nous leur offrons encore du sucre en poudre, du thé et quelques coquetteries.
Il est alors temps d’avancer un peu, et étant partis tôt, nous doublons à la mi-journée le Tg. Karterbileh où l’une des baies nous semble assez bien abritée pour la nuit. Ici encore, le mouillage va s’avérer un peu décevant et pourtant plusieurs pêcheurs viennent aussi y passer la nuit, mais il faut dire que le temps s’est remis a faire des siennes. Une fois terminés nos travaux de l’après-midi – nous avons profité de notre halte pour faire la vidange du moteur et du nettoyage – le temps est devenu lourd, et en soirée des orages éclataient, tandis que la houle se faisait de nouveau sentir. Après une nuit de déluges (quand je vous disais que parler de mousson sèche serait abusif…), nous sommes donc repartis au moteur, la houle ne permettant pas au peu de vent qu’il y avait de maintenir les voiles gonflées. Cap, maintenant, sur le parc national des 17 îles.
Une fois n’est pas coutume, vous l’aurez constaté, les photos relatives à ce parcours sont également en ligne. Vous les trouverez toutes sur http://photos.belle-isle.eu/2016-06-indonesia.