Revoir l’Ecosse…
L’atterrissage eut lieu de nuit. Le Butt of Lewis sera donc resté caché dans la pénombre, ne daignant nous montrer que le faisceau de son phare, très pratique au demeurant. Ce n’est qu’un peu plus loin que le jour a pointé le bout de son nez. Mais déjà depuis la veille au soir, on se sentait en Ecosse. Il a suffit d’une voix, d’un accent, à la VHF. Le bulletin météo diffusé par Stornoway Coastguard nous fait bien sourire, et en l’entendant, on se serait presque crus à la maison. Effectivement, en approchant de Stornoway, la plus importante ville des Hébrides Extérieures, nous reconnaissions baies, pointes, phares et jetées, pour y être passés l’année dernière sur notre route vers le nord. C’est la première fois que nous croisons notre route, que nous revenons quelque part, et c’est un peu une parenthèse que nous fermons. La parenthèse du nord, de la Scandinavie, des peuples, terres et mers nordiques.
Petit retour en arrière : nous avons quitté Stornoway le 24 août 2008 au matin cap au nord-est, pour profiter d’une accalmie de 12 heures entre deux coups de vent. La mer était agitée mais le soleil brillait. Il s’agissait de foncer plein vent arrière pour doubler le Cape Wrath, dont le nom signifie colère en anglais, mais à l’origine virage en vieux norrois. Pour la petite histoire, l’accalmie dura moins que prévu, et nous avons passé le fameux cap de manière… peu confortable pour ne finalement arriver qu’à la nuit tombée dans le précaire abri du Loch Eriboll. Mais le virage était pris, et nous avons ensuite atteint les Iles Orkney. L’ambiance avait changé. De terres celtiques, où l’on parle Gaëlique sur la côte ouest de l’Ecosse, nous étions passés en terres nordiques, aux antécédants vikings. Le pavillon des Orkney est une croix scandinave, le dialecte local est influencé par le vieux norrois. Bref, c’en était assez pour nous mettre l’eau à la bouche.
Nous avons donc continué cette année vers les Shetland, archipel écossais lui aussi, mais plus scandinave encore, avant de traverser la Mer du Nord vers Bergen. La remontée de la côte norvégienne nous aura occupés de la mi-juin à fin juillet, avec comme point d’orgue l’archipel des Lofoten. Nous étions alors au coeur des terres viking. Enfin, la route du retour nous aura menés aux Iles Féroé, elles aussi scandinaves : elles ont été peuplées par des colons “norvégiens” qui s’étaient déjà installés aux Shetland et aux Orkney depuis plusieurs générations. Après les difficultés que nous avons racontées précédemment, en raison de l’automne précoce à ces latitudes, nous voici donc de retour aux Hébrides, un an plus tard, presque jour pour jour.
Notez qu’il y a plus désagréable comme adieu, puisque nous avons troqué le soleil de minuit pour 10 heures de noirceur, certes. Mais nous avons aussi retrouvé les Highlands et les Hébrides, qui sont plus sauvages que la Norvège (eh oui, les apparences sont trompeuses !) Ici, pas de réseau mobile sans un seul trou de couverture sur l’entier de la côte comme en Norvège, ou avec une réception à plus de 25 milles comme aux Féroé : dans plusieurs mouillages, il n’y a tout simplement pas de réseau ! Pas de Wi-Fi aussi répandu dans les petites villes. Et parfois même, en raison des lochs encaissés ou des “ombres” derrière les montagnes, pas de réception VHF, Navtex ou BLU. Alors pour les communications, surtout concernant la météo, on complète les informations reçues avec les moyens du bord, : baromètre, reniflage des nuages et pifomètre 🙂 Ici, nous avons aussi retrouvé les landes tourbeuses recouvertes de bruyère et les vieux châteaux en ruine assis au bord des lochs. Un autre monde, et une transition parfaite vers l’Irlande.
Transition en douceur, puisque nous nous sommes octroyés 8 jours de ballade écossaise, entre Stornoway et Barra. Entre les deux, nous avons eu la chance de pouvoir faire le tour de la grande île de Skye par l’intérieur, chose que le vent nous avait refusé l’année passée. C’est un bon complément à notre apprentissage de ces eaux : nous aurons notamment traversé le Minch (bras de mer séparant les Hébrides intérieures et extérieures) pas moins de 6 fois ! De Stornoway, nous sommes descendus à grande vitesse, dans un temps à grains musclés vers Kyle, le détroit qui sépare Skye de la terre. 70 milles avalés dans la journée, Fleur de Sel a bien travaillé !
Après avoir passé la nuit en face du château d’Eilean Donnan, nous avons refait du sud-ouest en passant la charmante île d’Ornsay, afin de rejoindre les Small Isles. Elles sont quatre, au sud de Skye, et sont particulièrement sauvages. Nous avons choisi Canna, en face de Rum (rien à voir avec la boisson !), dont l’abri est le meilleur, parait-il.
Cependant, nous avons été contents d’avoir une bonne ancre et de particulièrement soigner le mouillage, car les grains ont été tellement violents pendant la nuit qu’au petit matin une surprise désagréable nous attendait. Notre voisin Harmony s’est fait drosser sur les rochers après avec chassé et désespérément tenté de mettre l’eau 2 ancres supplémentaires. Voir un bateau couché à terre est une peine que nous avons vécu avec compassion pour son équipage. Heureusement, les sauveteurs en mer (Lifeboats) n’avaient pas d’urgence et sont venus prêter main forte dans l’après-midi, alors que la marée remontait. Grâce à leur motopompe, ils ont pu étaler la voie d’eau et la colmater avant de remorquer le voilier blessé vers un port sûr. Notre seconde nuit à Canna, après une bonne douche chaude (la dernière avant quand ?), aura été nettement plus calme !
Enfin, c’est à Barra, tout au sud ouest des Hébrides, que nous nous sommes maintenant positionnés pour attaquer les 120 milles (220 km) qui nous séparent du Donegal, au nord-ouest de l’Irlande. Environ 24 heures si le flux de nord-ouest prévu se présente bien, en espérant qu’il ne soit pas trop soutenu…